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Roumanie : les prisons communistes luttent contre l’oubli


De Jilava à Pitesti, cinq anciennes prisons attendent leur inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. L’occasion de dépoussiérer le passé et rappeler toute la cruauté du régime communiste.

Jilava, ancienne prison communiste de Roumanie. Niculina Moica pousse le lourd portail rouillé, désolée devant la décrépitude des lieux où elle a été détenue pendant plusieurs mois à l’âge de seize ans. Le gouvernement du pays d’Europe orientale, longtemps dans l’orbite soviétique, vient en effet de ressortir des cartons un projet d’inscription de cinq de ces geôles au patrimoine mondial de l’Unesco. Pour l’ex-prisonnière aujourd’hui octogénaire, ce serait un signal positif qui permettrait d’en stopper la dégradation.

«Quel dommage !», lance-t-elle ainsi au vu de la façade délabrée, des lits en ferraille abandonnés et des lugubres couloirs qu’on ne peut visiter que sur autorisation de l’administration pénitentiaire. «Ailleurs dans le monde, de tels endroits sont ouverts au public. Ici, on les laisse tomber en ruines !», déplore Niculina Moica. Cette responsable de l’association des anciens prisonniers politiques de Roumanie se bat depuis des années pour transformer le site en musée.

«C’est un témoignage crucial de la réalité du régime communiste», explique-t-elle. «De la façon dont les gens ont été torturés, des conditions pitoyables de détention, de la nourriture exécrable, du froid…» Condamnée en 1959 pour participation à une organisation anticommuniste, l’adolescente a passé cinq ans derrière les barreaux, dont une partie dans cette prison située à dix kilomètres de Bucarest.

C’est un témoignage crucial de la réalité du régime communiste

À l’origine forteresse destinée à défendre la capitale au XIXe siècle, le lieu est devenu un symbole de la répression politique entre 1948 et 1964. Les cellules y étaient sombres et humides, enfouies à dix mètres de profondeur. «On avait l’impression d’entrer dans un trou», se souvient Niculina Moica, arrivée la veille de Noël sous une bruine glaciale. «J’ai cru qu’on allait me fusiller.» Sous le régime communiste (1945-1989), on recensait quelque 44 prisons et 72 camps de travail forcé pour plus de 150 000 prisonniers politiques au total, selon l’institut chargé d’enquêter sur les crimes communistes en Roumanie.

Si certains sites hébergent encore des détenus, nombreux ont été fermés, démolis ou encore rachetés par des entreprises, qui y ont par exemple installé des bureaux. Seuls deux d’entre eux, avec l’aide de fonds privés, ont été convertis en musées. À quasiment deux heures de route de Bucarest, le Mémorial de la prison de Pitesti se réjouit ainsi de la relance du processus de l’Unesco. «Si cela aboutit, plus personne ne pourra contester l’importance de ces endroits», espère Maria Axinte, 34 ans, à l’initiative de ce projet muséal en 2014.

Des centaines de photographies suspendues au plafond rappellent le martyre vécu par plus de 600 étudiants, dont certains forcés sous la violence à se muer en tortionnaires. Le site, classé monument historique l’an dernier, accueille quelque 10 000 personnes chaque année. Mais la jeune femme regrette «un manque d’intérêt de l’État et une méconnaissance» des enjeux. Interrogée, la ministre de la Culture, Raluca Turcan, au pouvoir depuis juin 2023, assure prendre les choses en main et promet de remettre le dossier à l’Unesco d’ici la fin de l’année.

Cette dernière, fustigeant ses prédécesseurs pour avoir totalement négligé le passé, évoque alors «un devoir moral» et «une obligation de faire connaître aux futures générations cet aspect douloureux de notre histoire récente». D’autant que la nostalgie du communisme grandit parmi les Roumains : sur fond de forte inflation affectant le pouvoir d’achat, ils sont près de la moitié à estimer que le régime était «bon pour le pays», selon un récent sondage portant sur 1 100 personnes. Soit trois points de plus qu’il y a dix ans.

Des dizaines d’autres célèbrent même, le 26 janvier, l’anniversaire de l’ancien dictateur Nicolae Ceausescu, portant des fleurs sur sa tombe. «Maman disait que c’était mieux du temps du communisme» : Niculina Moica entend parfois cette phrase quand elle se rend dans des lycées. «Va demander à ton grand-père alors!», rétorque-t-elle, avant de leur parler de cette «maudite cellule» de Jilava. Au point que, encore à ce jour, après chaque visite de l’ancienne prison, elle prend une douche pour effacer le sentiment de souillure.

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