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[Littérature] Adonis en visite au Louvre


Adonis

Le Louvre, espace de l’alphabet à venir

Seghers

Voici un recueil né d’une commande de la présidente-directrice du musée du Louvre, à Paris. Une proposition faite à Adonis, 94 ans, né Ali Ahmed Saïd Esber à Qassabine (Syrie), en France depuis 1985 après avoir connu la prison syrienne et la guerre au Liban. Résultat : Le Louvre, espace de l’alphabet à venir.

Un livre étourdissant en version bilingue arabe et français. Un long poème en sept tableaux à l’ombre de la mort et à l’aube du monde. Adonis évoque sa déambulation dans le département des antiquités orientales du musée, avec un penchant tout particulier pour les œuvres de Mésopotamie.

Il raconte le début de la visite : «C’est le Louvre, demeure qui embrasse les racines de la Genèse / J’erre en lui, je m’illumine, je fuis / je vois l’Histoire onduler comme une vague dans ses murs / Et subitement j’écoute Joyce : « L’Histoire est un cauchemar dont j’essaie de me réveiller »».

Auteur, ancien conseiller du créateur Azzedine Alaïa et présentement conseiller pour les programmes contemporains du Louvre, Donatien Grau qui l’a assisté dans la traduction en français rappelle qu’Adonis est aussi philosophe et s’intéresse à l’Histoire, même s’il n’est pas historien. Qu’il est aussi l’un des poètes les plus importants aujourd’hui dans le monde.

De son côté, l’hebdomadaire The New Yorker parle de «l’homme qui a renouvelé la poésie arabe». Tout comme le Palestinien Mahmoud Darwich (1941-2008), il a modernisé la langue et la poésie arabes, tout en demeurant convaincu qu’il n’y a ni dieu ni prophète. Rappel de Grau : ne pas oublier qu’Adonis a traduit en arabe Saint-John Perse ou René Char, ce qui a nourri sa langue et son écriture serrées, denses, tendues.

Se laisser bercer par les mots d’Adonis – un pseudonyme qu’il a pris dès ses premiers écrits en référence au dieu d’origine phénicienne, symbole du renouveau cyclique. L’accompagner dans sa déambulation : «Le caché et l’apparent, le secret et le visible / ne dorment et ne se réveillent que dans un seul lit et sur un seul oreiller / Te voilà au Louvre, où s’unissent le visible et l’invisible, où les éléments tissent à l’air ses hauts coussins», ou encore : «Le Louvre a dit : / dans les horizons du Tigre, de l’Euphrate, et du Nil / un soleil ne se lève qu’en triade fondatrice / l’alphabet, l’argile de l’Euphrate et du Tigre, l’eau du Nil (…) / C’est le Louvre, demeure des infinis du sens / Demeure à faire mourir la mort».

On va cheminer, en la compagnie du poète, dans les mondes de Gilgamesh et d’Isis, entre Nil, Tigre et Euphrate. Sur leurs rives, l’alphabet est né. «Que dit-on à une civilisation née dans les bras de l’Euphrate et du Tigre quand elle s’est égorgée sur leurs rives?», écrit Adonis.

S’arrêter, dès le deuxième tableau, à la rencontre d’Enheduanna. Explication de Donatien Grau : «Le premier poète de l’Histoire était une poétesse. On est au IIIe millénaire avant notre ère!». Précisément au XXIIe siècle avant Jésus-Christ. Elle est la première poétesse qui a écrit sur l’amour et qui a signé de son nom, rappelle Adonis qui écrit : «Et voici Enheduanna qui me réveille / au commencement étaient le deux / et l’amour / Me voici qui lis le présent à l’aide de son langage – elle a dit : / Je m’approche de la lumière et c’est l’éclat qui me brûle / Je m’approche de l’ombre – dans toute chose réside la tempête (…) / Ah, quel âge avait-elle à ce moment-là?».

Avant de quitter le musée du Louvre, en bouclant la déambulation, n’oubliant pas qu’il est aussi philosophe, Adonis pose des questions : «Pourquoi la mort n’a-t-elle pas d’âge comme la vie?», ou encore : «Pourquoi le destin s’échappe-t-il toujours des mains humaines?». Les réponses seraient-elles dans cet espace de l’alphabet à venir?

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