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« Les Lettres persanes » à Neimënster : Montesquieu à la page


Non, rien n'a fondamentalement changé dans ce bas monde depuis l'écriture des Lettres persanes, la première œuvre écrite par Montesquieu, entre 1717 et 1720, et publiée anonymement. (photo Virginie Puyralmond)

Le metteur en scène Guillaume Clayssen montre toute la pertinence des Lettres persanes de Montesquieu, aux résonances modernes : féminisme, démocratie, malaise entre civilisations, crise identitaire… Tout y est ! À voir absolument ce samedi 12 novembre à Neimënster.

D’un texte étudié dans les lycées célébrant l’esprit des Lumières, la Compagnie des Attentifs fait une «nécessité» pour mieux saisir les problématiques d’aujourd’hui.

Il y a des textes que tout le monde connaît, devenus incontournables au fil du temps, sans pour autant que l’on saisisse toute l’ampleur de leur portée contemporaine. C’est le cas des Lettres persanes , roman épistolaire volumineux (165  lettres) de Montesquieu publié en 1721, exposant le regard critique et drôle que portent deux Perses en voyage dans l’Europe de l’époque. Abondamment repris dans les écoles francophones, célébrant alors l’ironie de l’esprit des Lumières dans un pied de nez aux conventions, l’ouvrage s’est imposé d’une autre manière au metteur en scène Guillaume Clayssen quand il l’a relu il y a de ça « 4-5 ans ».

« Je ne pensais pas qu’il serait aussi puissant et troublant par son actualité », soutient-il, constat d’autant plus solide depuis qu’il présente sa pièce, créée en début d’année, un peu partout en France. « Le public est très surpris » par la pertinence et la clairvoyance des propos de Montesquieu. L’histoire? Elle est simple  : propriétaire d’un sérail, mais menacé dans son pays par des ennemis de la vertu et de la sincérité, Usbek décide de quitter sa terre natale et sa culture musulmane.

Il obtient alors du roi l’autorisation d’aller en Occident étudier les sciences. Ce voyage le mène jusqu’à Paris. Un compatriote, Rica, fait aussi le voyage en Occident. Tous deux portent alors un regard à la fois étonné, critique et ironique sur les coutumes et mœurs des Européens, en particulier des Français. La clairvoyance et la lucidité de ces deux personnages donnent à penser qu’il s’agit d’hommes raisonnables. Mais on apprend assez vite qu’il n’en est rien – Usbek règne en effet en tyran sur son sérail. Moralité  : il est plus facile de porter des jugements sur les autres à bonne distance que de se remettre en question soi-même.

« C’est ce qui m’a vraiment motivé pour reprendre ces lettres , soutient Guillaume Clayssen. Je veux montrer en quoi il nous est nécessaire d’avoir le regard de l’autre pour se connaître soi-même. » Ainsi, pour lui, Montesquieu magnifie une « idée anthropologique forte » qui sera, par exemple, celle d’un Claude Lévi-Strauss plus tard. «Ce sont des Occidentaux qui vont dans des sociétés lointaines pour les connaître. En retour, ils en apprennent sur nos propres valeurs. »

«C’est une œuvre totale!»

Dans le marasme actuel, avec montée des extrémismes et choc des civilisations entre Orient et Occident (renforcé par les attentats et la montée de l’État islamique), la tentation de créer un « pont, à la fois temporel et humaniste » entre le monde contemporain et cette œuvre du XVIII e  siècle était forcément évidente. « Étant donné la crise identitaire, politique et sociale, il me semblait indispensable de rappeler, comme Montesquieu, que les étrangers sont nécessaires, ne fut-ce que pour accéder à cette vérité sur nous-mêmes. »

Des rapprochements pertinents qui, de surcroît, s’observent au cœur des Lettres persanes à travers de nombreuses thématiques  : la lutte contre l’intolérance, les dictatures d’État, la libération de la femme, sans oublier la récente crise migratoire… De quoi, alors, se demander, en quoi l’humanité a évolué en 300  ans. Une question qui déstabilise le metteur en scène  : «Je suis d’un optimisme difficile! Déjà, à l’époque, on n’était pas dans une vision béate du XVIII e  siècle. Certains philosophes plongeaient dans les ténèbres de leur temps pour chercher à y extraire une philosophie d’émancipation du genre humain. Malheureusement, les ténèbres sont toujours d’actualité, plus que jamais. »

D’où son envie, à lui également, d’ouvrir un véritable « espace de dialogue » pour que la situation, toute proportion gardée, s’améliore. Pour ce faire, il convoque cinq acteurs –  dont deux sont aussi chanteurs  – et un musicien, afin de porter ce texte « vertigineux » et de donner de l’épaisseur aux vides propres au roman épistolaire. « Il y a une difficulté très créatrice dans le fait d’adapter des lettres au théâtre. Une lettre, c’est quelque chose de discontinu. Ce n’est pas un dialogue ou alors, il est différé.»

Il a alors fallu « créer du rythme » et Guillaume Clayssen n’a pas lésiné sur les moyens pour une mise en scène « baroque, un peu folle, pas académique »  : musique et chant, donc, mais aussi vidéo, guitare électrique, mégaphone et installations performatives… « C’est une œuvre totale! », conclut-il, pour un éclairage sensible d’un texte foisonnant qui interpelle et qui, au détour d’une correspondance, lâche  : «Les histoires sont pleines de pestes universelles.» Le vivre ensemble n’est pas gagné!

Grégory Cimatti

Les Lettres persanes. Neimënster (salle Krieps) – Luxembourg. Samedi 12 novembre à 20  h. Infos et billets sur le site de Neimënster.

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