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En Argentine, le tango « queer » casse les codes machistes


Le «tango queer» rompt avec les codes traditionnels de cette danse, formant des couples d'hommes, de femmes, qui alternent les rôles.(photo AFP)

En Argentine, un tango d’un genre nouveau vient bousculer les codes machistes. Dans un milieu conservateur et très masculin, le «tango queer» cherche à casser les codes. Ici, ce ne sont pas, comme toujours, les hommes qui guident, les femmes qui suivent, et les couples peuvent être composés de personnes de même sexe.

C’est l’essence du tango : l’homme dominateur mène la danse et la femme soumise se laisse conduire. Le «tango queer»* rompt avec les codes traditionnels, formant des couples d’hommes, de femmes, qui alternent les rôles. «Le tango, c’est le reflet de la société, où l’homme a le pouvoir», explique à ses élèves Yuko Artak, danseuse et professeur de «tango queer» du côté de Buenos Aires.

«Nous, nous voulons démontrer que le tango, ce sont deux personnes qui dansent, peu importe qu’il s’agisse de couples femme-femme, homme-homme ou homme-femme», poursuit sa partenaire Liliana Chenlo. Des couples d’hommes, de femmes ou mixtes écoutent. Ils sont adeptes d’un tango dépouillé des clichés liés au genre.

«Un, deux, trois», Yuko entraîne Liliana. Le couple enchaîne les pas, virevolte puis s’arrête. Liliana conduit à son tour. Une révolution dans le monde conservateur du tango. Lors de son apparition à la fin du XIXe siècle dans les bordels de quartiers de Buenos Aires, le tango d’abord été dansé entre hommes, mais ensuite, au début du XXe siècle, il est sorti des maisons closes et s’est imposé comme une danse très codifiée homme-femme.

«M’habiller en homme pour danser? Jamais!»

L’homme, menton haut, emporte sa partenaire dans un pas cadencé, millimétré, sensuel. «Le but est de tailler une brèche dans ces codes, de rendre possible un échange des rôles, de rompre avec l’exclusivité du meneur», explique Yuko, une Argentine de 35 ans. Les puristes avaient déjà froncé les sourcils quand Astor Piazzolla, créateur d’un nouveau genre baptisé Libertango, avait bousculé les traditions avec un style musical aux accents de jazz. Le «tango queer» les a fait sauter au plafond…

En mars, deux femmes dansant ensemble ont été exclues d’une milonga (NDLR : club de tango) sur une place de Montevideo, l’autre capitale du tango, sur la rive opposée du Río de la Plata. «Les gens ont l’esprit assez fermé sur ce point», reconnaît Liliana Chenlo avec un large sourire. Pourtant, «il s’agit de le vivre au plus profond de soi : peu importe le sexe de la personne avec qui tu danses, ce qui compte c’est de sentir le tango!».

Alexis et Ignacio, un couple de trentenaires, assistent au cours de tango queer. Couple à la ville, ils se sont laissés séduire par cette approche de la danse emblématique de l’Argentine. «C’est bon de pouvoir sortir de la masculinité forcée et de voir le tango comme un mouvement», confie Ignacio. Cette année, Yuko et Liliana ont propulsé ce tango audacieux sur le parquet du Mondial de tango de Buenos Aires. Elles ont rapidement été éliminées de la compétition la plus prestigieuse du monde en la matière, mais l’important pour elles était de participer.

Ce rendez-vous mondial attire à Buenos Aires les meilleurs danseurs du monde, venus de 45 pays, s’entrouvrant aux nouvelles expressions. Mais le tango queer reste encore confidentiel en Argentine, peu de milongas pratiquent cette forme nouvelle. «C’est très important de pouvoir participer au Mondial, de donner de la visibilité à cette idée du tango qui, même très minoritaire, a le mérite d’exister et n’a pas l’habitude de monter sur la scène», estime Yuko Artak.

À Buenos Airtes, elle et sa partenaire ont cependant fait une concession : Liliana, vêtue d’un pantalon rouge et d’un corset noir, a mené la danse et il n’y a pas eu l’inversion des rôles sur la piste, «pour ne pas désorienter le public, ni les jurés», disent-elles à l’unisson. En revanche, pas de concession sur la tenue, fait remarquer Liliana Chenlo. «M’habiller en homme pour danser? Jamais!»

Dans les couloirs, elles improvisent quelques pas avant de monter sur la scène. Des danseuses s’approchent pour les féliciter, d’autres leur sourient. «Mais ce sont deux femmes!», s’offusque Julian Sotelo, un retraité de 74 ans, costume à fines rayures, assis dans les premiers rangs en voyant Yuko et Liliana. «Ce n’est pas du tango…», soupire le vieil homme. Et oui, la route vers une plus grande ouverture d’esprit risque d’être longue.

Le Quotidien / AFP

* Queer : étrange, peu commun en anglais. Mouvement en rupture avec les normes hétérosexuelles.

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