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[Critique ciné] «Monkey Man» : un poing c’est tout


(photo DR)

À quoi bon raconter sa vie quand on peut faire parler les poings ? Très loin des verbiages lassants de la série The Newsroom (2012-2014) ou de l’anglais raffiné de The Personal History of David Copperfield (Armando Iannucci, 2019), Dev Patel s’exprime à travers l’ultraviolence dans le but de se confronter – seul – à la brutalité d’un système politique.

Avant Monkey Man, on imaginait mal l’acteur de Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2008) et Lion (Garth Davis, 2016), d’apparence frêle et rêveur, massacrer à tour de bras des golgoths surentraînés, style John Wick. Dans le premier film qu’il écrit et réalise, Dev Patel se taille, justement, la part du lion – ou plutôt celle du singe, puisque son outsider de héros tire son inspiration d’Hanuman, divinité hindoue et «fils du Vent» qui, entre autres, a mangé le soleil qu’il a confondu avec un fruit, subi une malédiction qui l’a privé de ses pouvoirs divins, les a recouvrés puis a mené une bataille contre une armée de démons, dont l’issue victorieuse lui valut d’être immortel et élevé en symbole de sagesse, de force et de courage.

Dans cette déclinaison de la légende du Râmâyana, l’homme à tête de singe est un combattant des bas-fonds de la grande ville – fictive, mais non moins corrompue – de Yatana, qui, sous son masque de gorille, accepte de se faire tabasser devant un public pour une faible poignée de roupies. Les quelques billets qui pourraient l’aider à survivre sont tout aussi facilement dépensés dans sa quête personnelle, une vengeance qu’il couve depuis son enfance.

Et qu’il va devoir mettre à l’œuvre en s’infiltrant auprès des hommes de main de Queenie Kapoor (Ashwini Kalsekar), baronne de la drogue et gérante d’un bordel fréquenté par les puissants, dont Rana (Sikandar Kher). Ce dernier est la cible de «Monkey Man» : des années plus tôt, le redoutable chef de la police a piloté le massacre du village du jeune homme, tuant en outre la mère de ce dernier sous ses yeux.

Sur le ring, l’acteur Dev Patel mord la poussière; derrière la caméra, le réalisateur, lui, ne retient aucun coup. Produit entre l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et l’Asie du Sud (Inde et Singapour), Monkey Man est un projet de cœur pour le Britannique d’origine indienne, qui écrit, produit, réalise, joue… et exécute ses propres cascades – au risque d’y laisser quelques orteils brisés, une main fracturée et une épaule déchirée, sans que cela jamais n’estompe sa fougue créative.

 

Le réalisateur débutant montre ici qu’il a tout d’un grand, citant ouvertement ses références (de la saga John Wick à Bruce Lee, en passant par les films de John Woo ou encore The Raid) tout en les inscrivant dans une entreprise nouvelle et toute personnelle. En premier lieu car Patel, sans s’interdire le plaisir de faire un film sanglant à souhait et déconseillé aux âmes sensibles, place celui-ci, dans toute sa beauté et son exubérance, sous les auspices du cinéma de Bollywood – d’où est issue par ailleurs la quasi-intégralité de l’excellente distribution.

Ensuite et surtout, Dev Patel se révèle être un brillant scénariste, appliquant à l’action survoltée la bonne vieille recette du film de genre comme cheval de Troie s’ouvrant au commentaire social. Son personnage tragique, arraché à l’innocence d’une vie cachée et heureuse pour grandir dans la misère urbaine, traverse la première heure du film en véritable «underdog», s’approchant trop rapidement du soleil, jusqu’à ce que celui que sa mère surnommait «Hanuman» se brûle les ailes. C’est paradoxalement dans sa seconde moitié, où l’action prend toute la place, que Dev Patel justifie, à chaque coup, sa violence.

La revanche est intime, certes, mais politique aussi : le héros est recueilli au sein de la communauté marginalisée des «hijras», qu’un gourou tout-puissant veut chasser de leurs terres. Guidés par Alpha (Vipin Sharma), ces anciens guerriers représentent le «troisième genre», soit des personnes trans, non genrées ou à l’identité sexuelle flottante – et qui, en Inde, subissent en plus de l’exclusion sociale la lourde répression de la police. C’est auprès d’eux qu’«Hanuman» retrouve ses pouvoirs. Ce sont eux aussi qui l’aident à reconstituer le puzzle de ses souvenirs, brouillés par la colère. Au cours de sa quête, «Monkey Man» traverse plusieurs marges de la société indienne; seule celle qui montre un cœur pur lui permettra de devenir une légende.

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