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[Album de la semaine] Slift, de bruit et de fureur


Retrouvez ce jeudi la critique de l’album de la semaine.

Depuis quelques temps, Toulouse, «ville rose» chère à Nougaro et à Zebda, montre qu’elle en a dans le buffet à travers une poignée d’ambassadeurs pour qui le rock est une chose frontale qui mord à la jugulaire. Citons, par exemple, le brûlot de Cathedrale en 2020 qui aurait pu tout aussi bien venir de Londres, de Manchester ou de Dublin (Houses Are Built the Same). Ou encore le récent missile longue portée balancé par Princess Thailand (Golden Frames). Mais avec Slift et son troisième album, on change clairement de dimension. La galaxie entière semble même trop petite pour contenir ses histoires épiques, ses hurlements féroces et ses guitares abrasives, aussi puissantes qu’un vortex.

C’est pourtant d’un tout petit point de l’univers, ridicule microcosme, qu’est née l’aventure : le lycée, lieu propice à la naissance de belles histoires. Deux frangins (Jean et Remí Fossat) et un camarade (Canek Flores) décident de former un groupe. On est en 2016. Jusque-là, rien de très original, surtout que les premières chansons composées par le trio sont terre à terre. Les envies de hauteur se feront sentir plus tard, surtout avec Ummon (2020) qui concrétise leur quête céleste avec des concepts proches de l’heroic fantasy et des histoires de titans quittant la Terre à la recherche de leur créateur. Juste avant, leur session KEXP enregistrée aux Trans Musicales de Rennes était devenue virale, accumulant 1,5 million de vues sur YouTube. Autant dire que les étoiles étaient alignées.

C’est à la fois dingue et virtuose, libre et maitrisé, démesuré et chirurgical

Une marche en avant qui, de surcroît, sera désormais soutenue par le mythique label de Seattle, Sub Pop (écurie de Nirvana), qui avait accueilli il y a trente-cinq ans un autre groupe français, sonique lui aussi, les Thugs. Slift, à la notoriété croissante et au soutien de poids, avait donc tous les arguments à sa disposition pour se lâcher. Il a pris l’invitation au pied de la lettre avec le gargantuesque Ilion. Soit huit titres qui courent sur près d’une heure et demie, un titre qui tire son nom de la ville de Troie (en grec ancien) et en ceux-ci, un concept alambiqué : «Représenter la chute de l’humanité et la renaissance de toutes les choses dans le temps et l’espace.» Oui, sur le papier, ça fait peur! Pourtant, pas besoin de connaître l’Odyssée, ni d’avoir un dé à douze faces sous la main pour comprendre les intentions. Elles parlent d’elles-mêmes.

Ainsi, à l’écoute, dès le premier morceau, on comprend que la traversée ne sera pas linéaire. Il y a déjà cette voix, au bord de la cassure, comme étouffée par des morceaux qui démarrent fort et ne se relâchent jamais. Il y a également ces moments de souffle, suspendus, psychédéliques pour ne pas dire mystiques. Il y a enfin ce déferlement ébouriffant d’énergie, de bruit et de fureur, sorte de fusion entre l’intensité du metal, la hargne punk-hardcore et toutes les ficelles mélodiques comme techniques du rock (post, math, heavy, kraut…). Pour résumer, c’est à la fois dingue et virtuose, libre et maîtrisé, démesuré et d’une précision chirurgicale, valse des contraires permise par une lourde assise rythmique qui ne faillit jamais, permettant à la basse et à la guitare, en surchauffe, de n’en faire qu’à leur tête.

Dans ce voyage homérique aux airs de montagnes russes, et où la concision n’est pas de la partie, les références s’accumulent au gré des chansons à tiroirs et des audaces stylistiques : Godspeed! You Black Emperor, And You Will Know Us By the Trail of Dead ou encore Goat, pour ne citer que les plus évidentes d’entre elles. Préférons toutefois deux modèles hexagonaux : Lysistrata pour l’urgence, et Gojira, fleuron du metal tricolore, pour ce qui est de la technicité alliée aux considérations écologiques et humaines. Il est donc élémentaire de tenter l’expérience pour, au bout, se demander comment trois personnes sont capables d’autant de fracas. Oui, aucun mur ne résiste à leur puissance dévastatrice. Sans obstacle devant lui, Slift peut désormais voir encore plus loin.

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