Ambiance bien plus calme, mercredi après-midi à Luxembourg, au deuxième jour du procès des lanceurs d’alerte LuxLeaks. L’audition des témoins s’est poursuivie, notamment celle du commissaire de police chargé de l’enquête, sans que l’enjeu de fond ne puisse réellement être abordé pour l’instant.
L’effervescence de la veille est retombée en cet après-midi pluvieux. Les caméras ont déserté le parvis de la Cité judiciaire et dans la salle d’audience, les regards étaient braqués sur Roger Hayard, commissaire du service de police judiciaire de Luxembourg, appelé à témoigner comme chargé de l’enquête.
Ni caméra ni trompette, ambiance bcp + calme qu’hier à la Cité judiciaire #Luxembourg au 2e jour procès #LuxLeaks pic.twitter.com/Yu6OI3rGrX
— Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte) 27 avril 2016
Antoine Deltour présumé « anticapitaliste »
Au sujet d’Antoine Deltour, l’ex-employé de PricewaterhouseCoopers (PwC) à l’origine de la fuite des données, l’enquêteur a étrangement affirmé qu’il était « anticapitaliste » d’après des propos sur l’injustice fiscale tenus par le lanceur d’alerte sur Facebook. Mais aussi qu’il lisait des articles de Mediapart, dont le directeur est un « personnage qui a publié des articles qui condamnent la place financière » luxembourgeoise (sic), ou encore qu’il était abonné à des newsletters écologistes (re-sic)… Rires dans la salle.
Appelée à témoigner, sa compagne a dû rappeler qu’Antoine Deltour n’était « pas un militant politique », contestant son profil présumé « anticapitaliste ». Elle a décrit quelqu’un de « consciencieux et apprécié dans son travail, discret, calme, timide, droit ».
Sur les faits, il a été confirmé qu’Antoine Deltour avait agi seul, « par conviction », sur aucun ordre et qu’il n’avait pas touché d’argent pour avoir transmis les documents fiscaux.
Enquêteur a relevé qu’Antoine Deltour se disait « anticapitaliste » sur son profil Facebook, qu’il lisait Mediapart et presse écolo #LuxLeaks
— Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte) 27 avril 2016
Antoine Deltour aurait par ailleurs donné « des instructions claires » au journaliste Édouard Perrin, à qui il a confié les copies des documents, de ne pas citer le nom de PwC ni celui des clients. L’ex-employé du cabinet d’audit a déclaré aux enquêteurs regretter que le Luxembourg ait été stigmatisé dans cette affaire, alors que les pratiques des tax rulings sont répandues dans bien d’autres Etats européens.
Roger Hayard a également confirmé que PwC avait mené une grande partie de l’enquête en interne avant de la confier aux policiers. Une collusion qui n’aurait pas affecté le sérieux de la procédure, comme le pense la défense, le commissaire qualifiant le travail de la firme de « neutre et objectif ».
Déroulant la procédure, l’enquêteur a indiqué que ce serait Raphaël Halet (ex-employé de PwC) qui « a cherché à contacter » le journaliste Edouard Perrin puis « lui a transmis les documents ». En revanche, selon le commissaire, c’est bien le journaliste de Cash Investigation qui « orchestrait le tout » et « décidait du mode opératoire de la transmission ». Une interprétation hâtive selon sa défense.
Le commissaire a aussi déploré le fait qu’Édouard Perrin n’avait jamais souhaité répondre aux enquêteurs, invoquant à chaque fois la protection qu’il devait à ses sources en tant que journaliste, même si celles-ci étaient connues des policiers. Une démarche qui a visiblement agacé l’enquêteur Hayard, d’autant qu’il s’agissait, a-t-il poursuivi sans détour, de «dénoncer des conventions fiscales peut-être douteuses moralement, mais en parfaite harmonie avec les lois du pays».
L’utilité des LuxLeaks reconnue par Juncker, selon De Masi
C’est ensuite l’eurodéputé allemand Fabio De Masi (Die Linke) qui s’est présenté comme témoin de la défense. Celui qui est également membre de la commission TAXE, créée par le Parlement européen après l’éclatement du scandale LuxLeaks, a expliqué que « de nombreux États de l’UE ne suivaient pas l’obligation d’échange des tax rulings, pourtant inscrite dans une directive européenne de 1977 ».
C’est d’ailleurs à la suite de la divulgation des données des LuxLeaks que « l’Europe a décidé d’introduire l’échange automatique des tax rulings ». Une utilité publique reconnue par Jean-Claude Juncker lui-même, a souligné l’eurodéputé, vite coupé par le président de la chambre, Marc Thill, qui a jugé que son témoignage « sortait du cadre » de l’affaire jugée… « Das reicht » (« ça suffit »), lui a-t-il lancé, alors que Fabio de Masi était invité par la défense à chiffrer le préjudice fiscal causé par ce type de tax rulings en Europe.
Les coupes franches du président de la chambre
Même coupe franche du magistrat lorsque s’est présenté à la barre Benoît Majerus, un citoyen luxembourgeois ayant publié une tribune (intitulée « Pas en notre nom ») dénonçant les pratiques fiscales révélées par l’affaire LuxLeaks. Et de l’inviter rapidement à quitter la barre : « Je croyais que vous veniez témoigner en tant qu’enseignant à l’université, pas comme une personne quelconque. » Circulez.
Est-ce à dire que la question des lanceurs d’alerte et de l’intérêt général n’aura pas droit de cité dans ce procès ? Il est encore trop tôt pour le dire, et les avocats de la défense entendent bien dérouler leur argumentaire lors de leurs plaidoiries (lire l’interview de Me Colin Bernard ci-dessous).
Au milieu de visages crispés, une petite touche amusante s’est invitée au gré des traductions opérées pour Fabio De Masi, s’exprimant dans la langue de Goethe. Le président du tribunal s’y est même prêté volontiers. Mieux que l’interprète, visiblement, qui s’est parfois perdue dans les subtilités de langage…
Instant ironique au procès #LuxLeaks quand l’interprète traduit « lanceurs d’alerte » par « lanceurs de rumeurs »…avant de se reprendre — Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte) 27 avril 2016
L’audience reprendra jeudi matin à 9 heures.
Sylvain Amiotte
Défections de témoins en pagaille, Marius Kohl porté pâle
Antoine Deltour s’est assis sur le banc des prévenus sans l’un de ses deux avocats, Me Bourdon, souffrant, qui sera encore absent jeudi. D’autres défections ont été annoncées, au grand dam de la défense qui se retrouvera sans témoin jeudi : celles de la commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager, de Pascal Saint-Amans (« M. Fiscalité » à l’OCDE) et surtout de Marius Kohl, le fonctionnaire préposé au bureau des Sociétés de l’administration ficale luxembourgeoise, qui validait les tax rulings révélés par les LuxLeaks.
Trois témoins qui devaient appuyer la ligne de défense des lanceurs d’alerte, celle d’une démarche guidée par le souci de l’intérêt général. Marius Kohl, qui s’est désisté officiellement « pour raisons médicales », est retraité et n’a fait aucune intervention publique depuis le scandale. La défense a largement déploré son absence (lire notre encadré ci-dessous).
Marius Kohl n’avait déjà pas répondu à l’invitation de la commission TAXE. Son opportun certificat médical de 14 jours fait réagir — Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte) 27 avril 2016
« Les questions de fond seront abordées en temps voulu »
Me Colin Bernard, avocat de Raphaël Halet (ex-employé de PwC) : « Aujourd’hui, j’attendais surtout l’audition du témoin Marius Kohl. Malheureusement il est malade, je lui souhaite un bon rétablissement. J’attendais qu’un fonctionnaire qui pratique les tax rulings au Luxembourg nous apporte quelques éclaircissements sur la manière de procéder. Ce ne sera pas fait. (…)
On sent bien qu’il y a des débats qui ne sont pas véritablement voulus. C’est un procès où, selon la juridiction, on sortirait vite du cadre. Quel est le cadre ? Je pense qu’il sera rétabli à un moment ou à un autre de la procédure, au moment des plaidoiries.
Cela ne sert à rien de se précipiter, il y a un moment où toutes les questions seront abordées : celle du lanceur d’alerte et du droit à sa protection sera forcément abordée. Et pour qu’elle le soit de manière pleine, il faudra s’intéresser à l’intérêt général européen, donc aux tax rulings, et pas seulement à ceux du Luxembourg. »
Lire aussi : Procès LuxLeaks (1er jour) : « Oui, les documents étaient faciles d’accès »
Si le président de chambre est, comme vous le dites, caricatural de parti pris, les avocats de la défense ne manqueront pas de demander sa récusation vous ne croyez pas?
Les extraits d’audience que j’ai pu consulter sont à se cacher de honte. D’abord les a priori policiers, s’ils auraient pu amuser la galerie par leur subjectivité en d’autre temps, se révèlent extrèmement inquiétants. Ensuite, ce président de cour, caricatural de parti pris, donne la nausée. Ca ressemble vraiment à de l’enfumage pour que tout le monde oublie le vrai motif, la vraie injustice qui révolte tous les citoyens. Mais ca ne marchera pas.