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Vignes : une nouvelle génération bio


Nicolas et Mathieu Schmit (domaine Schmit-Fohl) représentent cette nouvelle génération de vignerons qui se convertissent au bio.

Portée par une poignée de précurseurs, mais longtemps en stagnation, la viticulture bio décolle enfin sur la Moselle luxembourgeoise. Une évolution à mettre au crédit des jeunes, plus proches de la nature.

Les chiffres, donnés par l’Institut viti-vinicole de Remich (l’antenne du ministère de l’Agriculture sur la Moselle), parlent d’eux-mêmes. Il y a 10 ans (2013), les vignes bios poussaient sur une surface de 23,96 ha. Cette année, elles occupent 63,66 ha. Si l’on intègre à ces chiffres les surfaces en conversion (il faut trois ans de pratiques bios avant que le vin puisse en porter officiellement la mention), le pays est passé de 35 hectares bios en 2013 à 172 aujourd’hui, pratiquement cinq fois plus : c’est considérable. Désormais, 13,2 % des 1 300 hectares plantés au Luxembourg ne reçoivent plus de traitements phytosanitaires.

Cette évolution, particulièrement nette ces dernières années, a toutefois mis du temps à se dessiner. Mis à part quelques pionniers, dont Yves Sunnen (domaine Sunnen-Hoffmann, à Remerschen), le bio a tardé à séduire la profession au Luxembourg. Sa situation au nord de la viticulture européenne, avec un climat humide qui nécessite une grande attention aux maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium), n’est pas un atout. Il est nettement plus simple et moins risqué de produire des vins bios dans le sud de l’Europe.

«Souvent, les gens me demandent pourquoi on traite la vigne alors qu’il y a un siècle, on ne mettait rien, fait remarquer Serge Fischer. Mais c’est très simple : parce que nous n’avons pas les mêmes maladies qu’autrefois. Comme le phylloxéra, le mildiou et l’oïdium sont venus des États-Unis et les plantes ne disposent pas de défenses naturelles pour lutter contre elles. Nous devons donc les aider. »

Alors, pourquoi observe-t-on une croissance du bio aussi franche ces dernières années ? «On ne peut pas l’expliquer par une évolution du matériel ou des outils, qui n’ont pas significativement progressé, avance Serge Fischer, responsable du service Viticulture de l’Institut viti-vinicole. Par contre, on note une corrélation avec la reprise de plusieurs domaines par la jeune génération.»

Jeff Konsbrück (Winery Jeff Konsbrück, à Ahn), Nicolas et Mathieu Schmit (domaine Schmit-Fohl, à Ahn), Ben et Max Duhr (domaine Mme Aly Duhr, à Ahn) sont les têtes de pont qui portent une nouvelle philosophie du travail en vigne et à la cave et cherchent à travailler avec la nature plutôt qu’à la contraindre. Tous sont trentenaires, tous sont aux commandes de domaines de grande taille (12 hectares pour Schmit-Fohl, 12,8 pour Jeff Konsbrück, 17 pour Mme Aly Duhr) et tous sont à l’origine de la conversion intégrale de leurs parcelles.

Une prise de risques

«Je trouve qu’ils ont raison à 100 %», apprécie Jean-Paul Krier, un ancien vigneron bio, qui a laissé tomber les produits chimiques en 2011. «Autant commencer tôt, pour ne pas prendre de mauvaises habitudes, explique-t-il. Moi, je me suis converti après avoir été en conventionnel pendant des années et ce n’est pas facile de changer sa manière de travailler.»

Choisir le bio est une décision forte, qui porte une prise de risques importante. En effet, le bio interdit tous les produits systémiques, ceux qui sont absorbés par la plante et transportés par la sève. Seuls les produits de contact, comme le soufre et le cuivre, sont autorisés. C’est-à-dire que dès qu’une pluie survient et lave les feuilles, la plante n’est plus protégée et elle doit être traitée à nouveau.

Être en bio signifie donc de sortir son tracteur plus régulièrement, surtout lors des années compliquées, d’autant que les produits de contact ne sont jamais curatifs, mais uniquement préventifs. Si une maladie apparaît, il n’y aura aucun moyen de la faire disparaître, seulement des solutions pour limiter sa propagation. Le bio nécessite donc une attention de tous les instants. «Le bio commence dans la tête, sourit Jean-Paul Krier. Lorsque j’inspecte mes vignes, aujourd’hui, mes yeux ne voient pas les mêmes choses qu’avant. Je suis beaucoup plus attentif, beaucoup plus à l’écoute des premiers signaux qui pourraient indiquer la venue d’un problème. Le risque d’avoir une grosse perte est beaucoup plus important en bio qu’en conventionnel.»

Des coûts qui augmentent

Puisqu’il demande plus de travail, le bio coûte plus cher à produire. «Pour un domaine normal, la conversion nécessite l’embauche d’un ouvrier supplémentaire», indique Serge Fischer. Par voie de conséquence, les vins se vendent donc aussi plus cher. Jeff Konsbrück expliquait l’année dernière qu’il avait dû augmenter le prix de ses vins de 15 à 25 % pour parvenir à un seuil de rentabilité acceptable pour son entreprise.

Au niveau des ventes, produire du vin bio ne nuit pas… même si Jean-Paul Krier a perdu quelques clients lorsqu’il s’est converti. «Ils ne voulaient pas entendre parler de ça et n’ont plus jamais acheté chez moi! C’était une petite minorité, heureusement, et de toute façon, j’en ai gagné davantage ensuite.»

Le vigneron pense également que l’obligation d’indiquer tous les intrants sur les contre-étiquettes qui sera effective dès le mois de décembre aidera les vignerons bios. «Nous n’ajoutons pratiquement rien dans nos vins, à part une toute petite dose de soufre pour les conserver, ce n’est pas le cas de tous ceux qui sont en conventionnel, fait-il remarquer. Cela ne pourra que nous aider, les gens visualiseront encore un peu plus la différence entre eux et nous.»

Autant commencer tôt, pour ne pas prendre de mauvaises habitudes

La questionD’autres domaines vont-ils encore se lancer ?

Serge Fischer, responsable du service Viticulture de l’Institut viti-vinicole, pas que la croissance du bio se poursuive sur ce même rythme effréné pendant très longtemps. «Il y aura certainement quelques domaines supplémentaires, mais d’autres vignerons vont peut-être arrêter et retourner en conventionnel. Je ne pense pas que la superficie de vignes cultivées en bio augmente encore énormément.»

Ce momentum pourrait cependant se poursuivre encore un peu, car certains domaines sont déjà avancés dans cette réflexion. Le Clos des Rochers (18 hectares, Grevenmacher), propriété de la famille Clasen, qui dirige Bernard-Massard, est cultivé selon les principes du bio depuis plusieurs années, mais Antoine Clasen hésite encore à franchir le pas. Au domaine L&R Kox (10 hectares, Remich), Corinne Kox y songe également, au moins à moyen terme. Et ils ne sont pas les seuls.

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