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[Critique cinéma] «Strange Way of Life» de Pedro Almodóvar


Après The Human Voice (2020), Pedro Almodóvar retrouve avec Strange Way of Life la forme du court métrage, qu’il saisit comme on occupe un terrain de jeu.

Cette fenêtre créative est devenue un espace où l’Espagnol libère ses propres désirs trop longtemps gardés d’auteur de cinéma, le désir étant par ailleurs la notion centrale de son œuvre (jusqu’au nom de sa société de production, El Deseo, fondée en 1986 avec son frère Agustín). À 70 ans, avec son adaptation très personnelle d’une pièce de Jean Cocteau, Almodóvar réalisait son premier film en langue anglaise. Il y revient pour une autre œuvre courte, qui le voit investir les contrées du Far West. Forcément une curiosité. Pour celui qui fut un temps pressenti pour réaliser Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005), c’est même une douce revanche.

Almodóvar assimile les codes du « film d’hommes » et se livre à une fine analyse de la masculinité

Dans Strange Way of Life, pas d’émois entre jeunes fermiers effarouchés. Nos deux cow-boys et amants sont de vrais hors-la-loi, mais dont l’heure de gloire est depuis longtemps passée. Vingt-cinq ans, plus précisément, que Jake (Ethan Hawke) et Silva (Pedro Pascal) se sont rangés des diligences et se sont dit «adiós». Le premier est même devenu shérif; l’autre est resté vivre au Mexique, de l’autre côté du désert. Si Almodóvar a surtout filmé et raconté les femmes, son incursion dans le genre cinématographique masculin par excellence n’a pas vocation à être un pastiche. Et, bien qu’il soit allé tourner dans les mêmes décors d’Almería qu’a filmés Sergio Leone, il se fend d’un western qui penche plutôt vers la tradition américaine, avec ses grandes étendues de terre, ses lieux et personnages fétiches, son duel au soleil et son manichéisme. Des codes que l’auteur assimile et qu’il commente au détour d’un plan, d’un mouvement ou d’une ligne de dialogue.

Ainsi, le cinéaste amoureux des femmes réduit les seules traces d’une présence féminine à trois prostituées mexicaines. Encore par tradition, eu égard au genre du film. Elles quittent l’écran aussi vite qu’elles sont apparues, lorsque les deux héros s’enlacent et s’embrassent dans une orgie dionysiaque. «Laissez tomber, ce n’est pas pour nous, ça», lâche, en espagnol, l’une des filles. Le cinéaste, amateur de jeux de mots et de sens pluriels, laisse à une femme le soin d’affirmer qu’il s’agit là d’un film d’hommes. Elles sont là par habitude, parées de robes qu’auraient pu porter Victoria Abril ou Rossy de Palma.

La notion de «film d’hommes» qui colle au western est donc l’angle avec lequel Almodóvar scrute la masculinité. Malgré ses trente minutes, Strange Way of Life dresse un discours complexe qui prend pour point de départ ses deux personnages. Avec Jake, le réalisateur invoque la figure du mâle alpha : l’ancien bandit devenu shérif étanche sa soif d’adrénaline en pourchassant les malfrats et en se livrant à du sexe torride, et, en vrai cow-boy, ne peut être vaincu qu’à la force du colt. Silva, lui, est entouré de mystère : son retour après 25 ans coïncide avec l’avis de recherche sur son fils, meurtrier d’une femme du village, proche de Jake. Autre rare héritage du western italien, une caméra qui filme les acteurs en gros plan, ici pour scruter les possibles failles dans les visages de Pedro Pascal et Ethan Hawke – on pense plus à Penélope Cruz dans Volver (2006) qu’à Clint Eastwood.

Dans un Far West aux influences couvrant un éventail qui va des peintres Georgia O’Keeffe et Maynard Dixon au roman-photo, Almodóvar fait une fine analyse des attributs mentaux et sociétaux de l’homme, voué à la trahison, à la violence et à la solitude – à l’inverse de la solidarité dont font preuve les femmes de son cinéma. La mélancolie du temps qui passe, fil rouge de l’auteur depuis Julieta (2016), est encore à l’œuvre dans ce drame en trois actes. Il y a bien longtemps que Pedro Almodóvar, bientôt 74 ans, a compris les raisons de l’amour que les femmes se portent entre elles; avec Strange Way of Life, il déchiffre la place de l’amour entre deux hommes qui n’ont connu que la passion.

« Strange Way of Life » de Pedro Almodóvar

Avec Pedro Pascal, Ethan Hawke…

Genre western

Durée 31 minutes

 

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