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Tacita Dean au Mudam : à la vie, à la mort ! 


Le Mudam présente actuellement les œuvres qui ont accompagné le travail de Tacita Dean sur la Divine Comédie. (Photo : fredrik nilsen studio)

L’artiste britannique a conçu les décors d’un ballet autour de la Divine Comédie, célèbre poème de Dante. Les œuvres qui ont accompagné ce travail, et d’autres, également protéiformes, sont montrées au Mudam.

On ne compte plus aujourd’hui les versions et appropriations du chef-d’œuvre de Dante, la Divine comédie (1303-1321). En effet, des générations d’écrivains, de peintres, de sculpteurs, de musiciens, de réalisateurs et autres auteurs de BD s’en sont inspirées. Parmi eux figurent notamment les peintres Sandro Botticelli et Salvador Dali, le compositeur Tchaïkovski, les créateurs de la saga X-Men ou les écrivains Dan Brown et Bret Easton Ellis. Il fallait que Tacita Dean passe par là, elle qui a pris part à The Dante Project, une nouvelle production basée sur ce poème universel, présentée pour la toute première fois à la Royal Opera House à Londres en octobre 2021 – sur une chorégraphie de Wayne McGregor et sous la direction de Thomas Adès.

«Ce type de travail était tout à fait nouveau pour moi!»

Elle signe alors les décors et les costumes, même si elle reconnaît, lors de la présentation de son exposition au Mudam, qu’elle n’avait jamais accepté ce genre de commande auparavant – alors qu’elle a commencé sa carrière au début des années 1990. «Ce type de travail était tout à fait nouveau pour moi!», confirme-t-elle. Pour cette traversée en trois «actes» du royaume des morts (l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis), il fallait un geste honnête, une signature personnelle qui raconterait en creux l’appétit d’une créatrice pour la diversité des formes.

L’un des deux commissaires, Christophe Gallois (en tandem avec son ancienne directrice Suzanne Cotter), appuie l’idée : «En réponse à ce périple dans l’au-delà, elle propose trois voyages : un à travers les médiums, un second du noir et blanc à la couleur, et un dernier de la figuration à l’abstraction.»

Des allusions au Brexit

Ainsi, utilisant un médium différent pour chaque acte (le dessin, la photographie et le film), les œuvres créées par Tacita Dean évoluent du négatif au positif, filent du monochrome à la couleur, avant de se perdre dans des limbes abstraits. À ce stade, quelques détails s’imposent : il y a d’abord Inferno (2019), le plus grand dessin sur tableau noir (à la craie) que l’artiste ait réalisé à ce jour, revenant là à ses premiers travaux. Il dépeint une chaîne de montagnes dont l’orientation et les tonalités ont été inversées. Une œuvre «fragile, éphémère», proche de l’environnement glacial décrit par Dante, et qui se réfère de façon plus «directe» au poème avec ses mots à peine lisibles, suffisamment toutefois pour saisir les allusions sur le Brexit – comme le valide un autre dessin, en marge, où l’on voit Adam et Eve chassés du jardin d’Éden.

Arrive Purgatory / Threshold (2020), grande œuvre photographique épinglée au mur. En écho à l’état transitoire du purgatoire, Tacita Dean, 57 ans, créé différentes images oscillant entre le négatif et le positif. Au centre de celles-ci, un arbre, symbole que l’on retrouve souvent dans son art. Mais pas n’importe lequel : le jacaranda, qui décore les rues de Los Angeles (l’un de ses ports d’attache avec Berlin) et dont le feuillage vire au violet vif à l’arrivée du printemps. Magie du négatif, il passe alors au vert, mais dans une couleur pas vraiment naturelle, «artificielle, surréaliste, irréelle», ajoute Christophe Gallois. Les décors urbains aux alentours, soulignés d’une couche de blanc, renforcent l’étrangeté du panorama.

23 minutes de trip «hypnotique»tav

Au centre de l’espace, un pavillon abrite, histoire de boucler la boucle, une projection du film en 35 millimètres Paradise (2021), dernière œuvre de la trilogie réalisée pour The Dante Project, montrée au Mudam pour la première fois en tant qu’œuvre autonome, en dehors du ballet. Soit 23 minutes de trip «hypnotique», «abstrait» et forcément «aérien», avec d’un côté, une bande-son qui simule, grâce au système MIDI, la partition pour orchestre écrite par Thomas Adès. De l’autre, des images rappelant les motifs circulaires et planétaires décrits par Dante, avec des couleurs intenses empruntées à la palette de William Blake. Des variations psychédéliques également présentées sous la forme de dix sérigraphies.

Ce type de travail était tout à fait nouveau pour moi!

À ses déclinaisons sur la rédemption et les vertus humaines s’ajoutent une seconde partie, rassemblée dans et autour un petit pavillon, complétant la monographie dédiée à l’artiste. Si cette dernière déclare parfois, lors de ses conférences, qu’«un monde qui n’oublie pas est un monde qui se noie dans son incapacité à oublier», elle restitue, avec le film One Hundred and Fifty Years of Painting (2021) la conversation entre les peintres Luchita Hurtado et Julie Mehretu, deux de ses amies. Un geste qui fait aujourd’hui figure de devoir de mémoire puisque la première est décédée peu après, en août 2020. Une discussion «intime et libre» qui parle de la vie, la mort, de la migration, de la maternité, du changement climatique et, bien sûr, de la peinture – deux toiles exposées en parallèle soutiennent l’argumentation.

Enveloppant le pavillon, LA Exuberance (2016) et LA Magic Hour (2021) sont deux séries de lithographies réalisées avec le concours des maîtres-imprimeurs américains de Gemini G.E.L. «C’est très élaboré, techniquement parlant», souffle Christophe Gallois, qui ajoute dans un sourire : «D’habitude, on est toujours déçu par les représentations de couchers de soleil.» Ceux-ci, d’une qualité picturale remarquable, sont en effet saisissants. Créées à partir de dessins, sans recours à la photographie, ces œuvres traduisent bien l’émerveillement qu’a eu Tacita Dean, selon ses aveux, devant le ciel de Los Angeles, à son arrivée d’Europe. On aimerait en dire autant de son travail exposé au Mudam, mais il est vrai que The Dante Project déstabilise. Un décor de théâtre a-t-il sa place dans un musée? La question est ouverte avec toutefois une dernière précision : le ballet est présenté au palais Garnier à Paris en 2023. De quoi affiner cette vue d’ensemble.

Mudam – Luxembourg. Jusqu’au 5 février 2023.

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