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Mais au fait, c’est quoi l’Eurovision ?


Plus grand show musical télévisuel du monde, l’Eurovision a ses fans comme ses détracteurs. Le Français Benoit Blaszczyk en est devenu un spécialiste. Il décortique l’évènement, de sa portée politique jusqu’à son identité LGBT+.

Depuis Marie Myriam, dernière vainqueure pour la France avec la chanson L’Oiseau et l’Enfant en 1977, il est devenu accro. Benoit Blaszczyk a aujourd’hui 55 ans, et son métier de professeur de mathématiques à Lille tient sûrement ses origines aux votes et aux chiffres venant conclure les concours de l’Eurovision. À Malmö, cette année, ce sera sa treizième édition consécutive où il se rend sur place, dans sa qualité d’homme à tout faire de l’OGAE (Organisation générale des amateurs de l’Eurovision), réseau francophone de 44 clubs dans le monde (dont le Luxembourg), fort de ses 13 000 membres. Il détaille les spécificités d’un concours régulièrement pointé du doigt, mais regardé par 180 millions de personnes. Vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas.

Pourquoi l’Eurovision aime tant le kitsch ?

Benoit Blaszczyk : C’est vrai, dans les années 1990, quand l’Eurovision a perdu un peu de son prestige, il y avait cette tendance au kitsch. Mais aujourd’hui, c’est avant tout du grand spectacle! Il y a de belles ballades, des efficaces morceaux pop et plein d’autres choses. C’est très moderne et, mieux encore, c’est un produit qui se rajeunit de plus en plus.

Pourquoi l’Eurovision est-il si populaire ? 

C’est quand même 200 millions de téléspectateurs quand la Russie est là, et 180 environ sans elle… Disons que l’Eurovision, c’est une grande famille : on se connait tous, on se retrouve une fois par an, c’est la fête pendant une semaine, voire plus. Tout artiste qui y participe une fois dans sa vie complète le groupe. Ce qui l’anime, c’est une forme de bienveillance. L’Europe d’après la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas se taper dessus à coup d’armes, mais plutôt s’affronter à coup de chansons. Dis comme ça, c’est peut-être utopique et naïf, mais oui, c’est l’idée. Quand vous voyez les taux d’audience en Islande (entre 96 et 97 % de parts de marché) ou en Suède, ça pose la notoriété de l’évènement, rassembleur, fédérateur. Dans certains pays, c’est une véritable religion.

Pourquoi l’Eurovision est devenu une vitrine de la communauté LGBT+ ?

Il y a plein de théories là-dessus. J’aime évoquer le Luxembourg et Jean-Claude Pascal : il gagne avec Nous les amoureux, qui parle entre les lignes de son homosexualité cachée. C’était en 1961, il y a soixante-trois ans! L’Eurovision, c’est aussi les paillettes, la fête, le lâcher-prise… Dans les années 1990, quand il a failli disparaître, la communauté gay se l’est approprié en disant « pas touche, c’est à nous maintenant! » Et depuis, il y a eu quelques figures emblématiques : la transexuelle Dana International qui gagne le concours en 1998 (pour Israël), la lesbienne Marija Šerifović en 2007 (Serbie) ou encore Conchita Wurst en 2014 (Autriche), drag queen devenu le symbole intouchable de l’évènement. Et puis, l’Eurovision est toujours à la pointe du progrès : et qui a lancé la mode des shorts Boxer ou de la barbe, devenue tendance? Les gays! Dernier exemple concret : parmi les 505 membres d’OGAE France, il y a 74 filles…

Pourquoi l’Eurovision est-il si politique? 

Quand on interdit à la Russie et par ruissellement, à la Biélorussie, de participer au concours en 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine, l’Eurovision montre ce qu’il est : un « soft power ». Il y a des choses qui se passent en Europe, et il s’en veut le relais. Dans l’édition de cette année, il y a le problème avec Israël qui fait des remous… Autres exemples : il y a cinquante ans, la Révolution des Œillets au Portugal a été lancée par la chanson de l’Eurovision (E depois do adeu). Dans le même ordre d’idée, après la chute du mur de Berlin en 1989, il y a eu des chansons sur le sujet l’année suivante. Ou, encore en 2018, quand le groupe français Madame Monsieur chante Mercy, c’est pour évoquer l’exil et les noyés de la mer Méditerranée. L’Eurovision, ce n’est pas que des chansons « boum-boum, tralala » : certaines marquent le temps, l’Histoire. Elles sont empreintes de l’actualité, heureuse ou malheureuse.

Beaucoup souhaitent que l’Eurovision redevienne une tradition au Luxembourg

Pourquoi les votes favorisent-ils toujours l’entre-soi ?

C’est en effet très géostratégique. On ne pourra jamais empêcher l‘Arménie de voter pour l’Azerbaïdjan, ni l’inverse. Idem pour Chypre et la Grèce, ou les pays nordiques. Les Scandinaves, en effet, c’est une grande famille, d’autant plus vrai cette année avec la Suède, organisatrice, qui fait chanter à domicile deux jumeaux… norvégiens! C’est comme ça. En France, du temps de Charles Aznavour, on recevait des points de l’Arménie.

Y a-t-il une recette musicale qui fonctionne ?

S’il y en avait une, ça ne ferait pas 47 ans que le France n’a pas gagné (il rit). Non, il n’y a pas de formule miracle, mais plutôt plein de style de chansons. Quand Netta l’emporte avec Toy en 2018, c’est typiquement l’exemple du morceau ultrarythmé, tape-à-l’œil, alors que l’année d’avant, le Portugais Salvador Sobral fait figure d’ovni avec Amar Pelos Dois, toute douce avec son piano et ses violons. Il n’y a pas d’homogénéité dans le succès. C’est souvent l’instant qui décide, un flash, un coup de foudre. Finalement, la seule équation qui existe, c’est que la chanson doit durer trois minutes.

L’Eurovision, ce n’est pas que des chansons « boum-boum, tralala » : certaines marquent le temps, l’Histoire

Pourquoi l’Eurovision parle autant d’amour ?

Ça tombe bien, on a fait des statistiques il y a quelques jours : le mot « amour », en français, a été employé dans dix-neuf titres de chansons (avec celle de Slimane cette année), dont sept pour le seul Luxembourg, qui détient le record. Plastic Bertrand, en 1987, double même les plaisirs avec Amour, amour… C’est en effet un sujet très porteur, plutôt facile à décliner.

Est-il vrai que certains pays cherchent à perdre pour ne pas organiser à la maison une cérémonie trop coûteuse ?

C’est totalement faux : tout le monde est là pour jouer et pour gagner. Je vais vous donner une réponse à la Stephane Bern quand on le questionne sur l’Eurovision en France. Il dit : « on organise bien des Jeux olympiques et des Coupes du monde de football. Il doit bien avoir un peu de sous qui trainent pour un Eurovision. » Oui, bien sûr, ça ne coûte pas rien, mais même une victoire n’implique pas d’organiser l’édition d’après à la maison. C’est ce qui s’est passé avec l’Ukraine en 2022, qui a confié l’organisation à Liverpool en raison de la guerre.

L’Eurovision construit-il encore des carrières ? 

Regardez le groupe italien Måneskin : il gagne en 2021 et depuis, il remplit des stades! Oui, ça a lancé des carrières, comme celle de France Gall en 1965 ou d’ABBA en 1974, et plus récemment encore celles du Suédois Måns Zelmerlöw en 2015 et du Français Amir en 2016. Mais ça peut en détruire aussi parfois. Certains chanteurs et chanteuses disparaissent en effet des radars du jour au lendemain : qui entend encore parler de la Danoise Emmelie de Forest ou de l’Israélienne Netta?

Pourquoi les gens réclament un candidat qui ressemble le plus à leur pays ?

Déjà, il faudrait déjà définir ce qu’est l’identité d’un pays dans un XXIe siècle mondialisé… Qu’importe! J’ai un regret : celui que de nombreux pays décident de chanter en anglais. C’est, en gros, 95 % du répertoire de l’Eurovision chaque année. Il n’y a plus trop cette couleur locale, en dehors, pour cette édition 2024, de la Grèce ou du Portugal notamment, aux accents folkloriques. Après, faut-il envoyer quelqu’un qui ressemble à son pays? Je ne sais pas. Mais France Gall était-elle luxembourgeoise et Céline Dion suissesse ?

Pourquoi l’Eurovision apprécie tant le Luxembourg ?

Parce que c’est un pays fondateur parmi les sept de 1956. Il fait partie des grands qui étaient là dès le départ. Depuis 1993 et son départ, c’est un manque. J’étais d’ailleurs à la Rockhal pour le LSC, histoire de fêter son retour : le show était bien produit, et l’after avec Xavier Bettel et son mari qui chantent et dansent, ça veut dire beaucoup… Mais je rêve aussi du retour de Monaco et d’Andorre. Et pourquoi pas celui du Vatican? Il a le droit de participer… Mais oui, le retour du Luxembourg fait du bien. Bon, au départ, je n’étais pas grand fan de la voix de Tali, qui me rappelle celle de Zaz que je n’aime pas (il rit). Mais sa chanson est très efficace : vous l’écoutez deux fois, et la mélodie vous reste en tête. J’espère qu’à partir de cette année, l’Eurovision, ça va redevenir une tradition au Grand-Duché. Tout le monde le souhaite.

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