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Réseau luxembourgo-portugais : un trafic juteux au ministère


Huit prévenus sont jugés depuis lundi par le tribunal de Luxembourg. Parmi eux, un ex-fonctionnaire des Classes moyennes. Il aurait touché près d'un demi-million d'euros dans une affaire de faux certificats. (Photo : archives LQ)

Entre 2002 et 2007, un fonctionnaire du ministère des Classes moyennes, désormais retraité, aurait ainsi touché près d’un demi-million d’euros.

Depuis lundi matin, huit prévenus, dont trois ayant travaillé à l’époque au ministère des Classes moyennes, comparaissent devant la 18e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement, notamment pour corruption, usage de faux et trafic d’influence. Le parquet leur reproche d’avoir été impliqués dans ce mécanisme de fabrication de faux certificats permettant à de nombreux Portugais d’accéder à une autorisation d’établissement.

L’affaire a éclaté en 2007», rapportait lundi matin l’enquêtrice de la police judiciaire en charge de ce dossier très volumineux. Au cours de l’enquête, plus de 57 rapports ont été rédigés. Entre 2002 et 2007, pas moins de 200 Portugais auraient profité de ce mécanisme de fabrication de faux certificats pour obtenir une autorisation d’établissement au Luxembourg.

Au mois de mars 2007, le ministère des Classes moyennes avait déposé plainte. Pour accéder à l’autorisation d’établissement (pour une activité professionnelle), les Portugais ou les ressortissants d’autres pays devaient en effet prouver qu’ils avaient exercé à titre d’indépendant dans leur pays pendant une certaine durée. Ils devaient présenter toute une série de certificats prouvant leurs qualifications.

«Le ministère des Classes moyennes demandait des diplômes. Mais comme les demandeurs n’avaient pas la formation requise, les prévenus Joseph L. et Antonio S. ont trouvé un autre moyen», résume l’enquêtrice. De l’enquête il ressort que Joseph L., fonctionnaire à l’époque au ministère, fréquentait régulièrement les cafés portugais. En outre, il avait un numéro de téléphone spécial sur lequel on pouvait le joindre pour qu’il organise une autorisation.

C’est à la fin des années 90 que Joseph L. aurait fait connaissance avec Antonio S., qui travaillait dans un café. Ce dernier a avoué au juge d’instruction en 2007 avoir des contacts au Portugal qui falsifiaient des diplômes et certificats de la Confederacão da Indústria Portuguesa (CIP). Cette institution était officiellement agréée pour délivrer des certificats.

Une fois le document falsifié signé, Antonio S. le récupérait et le faisait remplir par Teresa S., employée dans une fiduciaire au Luxembourg. Ensuite le dossier était transmis à Joseph L. qui l’introduisait via Simone B. ou Raymond S. – deux autres prévenus qui travaillaient comme Joseph L. à l’époque au ministère – à la commission consultative ad hoc.

«Comme le dossier était complet, le client obtenait son autorisation en deux à trois jours, récapitule l’enquêtrice. Autrement, il fallait compter un mois», poursuit-elle en notant qu’en général cette commission consultative était surchargée. Plus de 100 dossiers pouvaient ainsi passer lors d’une seule et même séance. «Vu cette surcharge, très peu de dossiers étaient discutés.»

Jusqu’à 28 000 euros pour une autorisation

À un moment donné, le ministère a constaté qu’il arrivait que la période où un demandeur se déclarait indépendant au Portugal se chevauche avec celle où il était salarié au Luxembourg. Pour contourner cette embûche, Joseph L. et Antonio S. ont donc d’office introduit un certificat d’affiliation du Centre commun de sécurité sociale. Sur ce faux, la période de chevauchement avait été retirée. «Comme le dossier comportait déjà le certificat, le ministère ne se donnait plus la peine de le demander», poursuit l’enquêtrice.

L’enquête a établi que les Portugais concernés ont déboursé entre 3 000 et 28 000 euros afin d’obtenir leur autorisation d’établissement. Entre 2002 et 2007, le fonctionnaire Joseph L. aurait ainsi touché des versements s’élevant à un total de près d’un demi-million euros. En général, les demandeurs portugais versaient un acompte. Une fois que le dossier était passé en commission et que l’autorisation avait été accordée, ils réglaient la dernière tranche du paiement. Joseph L. était informé via sa collègue Simone B. qui lui remettait la lettre d’autorisation. «Avec cette dernière, il avait un moyen de pression pour récupérer le solde dû», explique l’enquêtrice.

Dès la première audience, Me Gaston Vogel a dénoncé «les responsabilités énormes de l’État dans ce dossier». «Les certificats proviennent toujours des deux mêmes écoles au Portugal, alors que les candidats viennent des quatre coins du pays. Et ils sont toujours remplis par la même personne. Ce sont des anomalies incroyables qui devaient frapper les membres avertis de la commission», considère l’avocat du principal prévenu.

Le procès, qui doit s’étirer sur quinze audiences, se poursuit ce mardi matin. Huit autres témoins doivent encore être entendus. À noter que ces dernières années, les tribunaux ont déjà jugé un bon nombre de bénéficiaires et d’intermédiaires dans cette affaire de faux certificats portugais.

Fabienne Armborst

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