Des fouilles paléontologiques dans la carrière Rinnen, à Consthum, ont permis de mettre au jour le fossile d’un scorpion aquatique mesurant 1,50 m de long. Celui-ci sera bientôt exposé au natur musée.
À première vue, cela ne ressemble qu’à quelques gros cailloux soigneusement rangés dans des caisses. Mais pour l’œil averti, ces roches striées de marques noires, témoins d’un lointain passé, ont bien plus de valeur. Dans le petit bureau du Musée national d’histoire naturelle (MNHN), les dernières trouvailles de Ben Thuy commencent à prendre de la place. Le paléontologue est revenu chargé de plusieurs centaines de fossiles de ses dernières fouilles à la carrière Rinnen, près de Consthum dans le nord du pays.
La plus belle pièce est assurément un scorpion aquatique dont les restes ont été éparpillés sur le site par le mouvement des roches. «Il est en cinq segments. Nous avons probablement la moitié du corps dont la queue, la partie médiane et, avec un peu de chance, la tête», espère Ben Thuy. Au vu des parties retrouvées, celui-ci devait mesurer environ 1,50 m. «Ce n’est pas le plus grand, un spécimen de 2,30 m a déjà été retrouvé. Celui-là était sûrement un adolescent, mais il est déjà de bonne taille !»
Ces scorpions des mers, très éloignés de ceux que nous connaissons, ont vécu il y a 406 millions d’années quand le Luxembourg se situait dans l’hémisphère sud, près de l’Équateur (lire encadré). La dernière mission de fouilles a permis de révéler de nombreux fossiles de ces prédateurs aquatiques. «On en a trouvé pas mal de petites tailles, mais on ne s’attendait pas à trouver un spécimen articulé.» Possédant des détails qui n’avaient encore jamais été conservés, celui-ci permettra d’affiner la représentation anatomique de l’animal. Sa taille conséquente aidera aussi à faciliter les observations. «Et cela permettra une installation plus impressionnante pour le public.»
«Puzzle géant»
Car le destin de ce scorpion est bien d’être d’être exposé. Après les avoir sorties de leur carrière, le spécialiste a inventorié toutes ses découvertes avant de les envoyer au Dinopark, en Allemagne, où elles vont être préparées. «L’opération consiste à dégager ce qui reste caché dans la pierre puis à rassembler les pièces. C’est comme un puzzle géant.» Une phase délicate qui demande de la place, des experts et des équipements que ne possède pas le MNHN. «En plus, là-bas, les étapes de préparation seront visibles par le public.»
À la fin de ce processus de plusieurs mois, les fossiles nouvellement assemblés seront rapatriés au Grand-Duché pour être exposés au musée. «Pour l’instant, on ne voit rien du tout, concède le conservateur de la section de paléontologie du MNHN. Mais un expert, qui connaît l’anatomie de l’animal, voit les structures et sait ce qu’il faut dégager. À la fin, on aura une bestiole assemblée.»
La carrière renferme encore beaucoup de merveilles paléontologiques
Mais au-delà des scorpions géants, d’autres découvertes, moins spectaculaires, mais plus intéressantes du point de vue scientifique, ont été mises au jour. «Nous avons trouvé des restes d’animaux uniques au monde comme des onychophores (des vers à pattes existant encore aujourd’hui) qui sont les seuls de cette époque. Ils sont plus vieux de 100 millions d’années par rapport à ceux trouvés précédemment.» Une araignée fossilisée, également parmi les plus vieilles du monde, vient aussi se joindre à la future collection.
Ce joli bilan a donc de quoi ravir l’équipe qui s’est échinée à dégager une couche fossilifère d’une vingtaine de centimètres durant quatre jours. Composée d’experts et de bénévoles scientifiques, venus du Luxembourg, de Belgique, des Pays-Bas et d’Allemagne, elle a dû faire face à de nombreuses difficultés.
En plus d’un éboulement, il a fallu lutter contre la dureté de la roche et la présence d’eau qui montait inexorablement dans la zone de fouilles. Mais pour chacun, le résultat en valait la peine, en particulier lors de la découverte du scorpion géant. «Tout le monde était heureux, se souvient Ben Thuy. C’est tout de même un investissement en temps et en ressources. Si, à la fin des fouilles, les participants sont contents, c’est déjà succès.» D’autant que beaucoup d’entre eux posent des congés pour venir, ce qui demande une logistique bien huilée pour éviter de faire déplacer des gens pour rien.
Pour le moment, le travail à la carrière Rinnen est terminé. D’autres sites comme Bascharage, qui a déjà permis de découvrir un calamar vampire, ou le chantier du futur vélodrome de Mondorf ont, eux aussi, d’autres secrets à révéler. Le MNHN se doit donc de rester à l’affût, car on ne sait jamais quand une opportunité peut se présenter. «Il y a toujours de nouvelles perspectives, même à court terme, s’enthousiasme Ben Thuy. Mais on va garder un œil sur Consthum. C’est certain que la carrière renferme encore beaucoup de merveilles paléontologiques.»
Un site riche en fossiles
La carrière Rinnen est un lieu incontournable pour les paléontologues. Lors du Dévonien, une période géologique datant d’il y a 400 millions d’années, le site se trouvait au niveau du delta d’un fleuve dont les méandres ont permis de conserver de nombreux débris de plantes et d’animaux. «Ce sont les premiers êtres vivants à avoir conquis la terre ferme», explique Ben Thuy. Plusieurs campagnes de fouilles ont déjà fait ressortir plusieurs arthropodes comme les fameux scorpions aquatiques ou les premières araignées terrestres.
La carrière a aussi un autre grand avantage : des responsables conscients de sa valeur scientifique, chose précieuse pour les paléontologues. Souvent perçus comme des trouble-fêtes, au même titre que les archéologues, ils sont synonymes de ralentissement, voire d’arrêt des chantiers pour certaines entreprises. «Ici, nous avons un accord à l’amiable avec Rinnen pour fouiller le site sans déranger les travaux.» Ils ont même déjà donné un coup de pelle quand l’équipe de Ben Thuy en avait besoin. «Juste avant de commencer les dernières fouilles, il y a eu un écroulement sur la couche fossilifère. J’ai pensé quelques minutes à annuler les fouilles avant d’appeler le chef de la carrière; quinze minutes après, des engins étaient là pour nous aider à déblayer.»