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Ben Thuy, l’homme qui fait parler les fossiles


Ben Thuy est spécialiste des échinodermes. Il a consacré un doctorat à ces animaux dont font partie les étoiles de mer. (Photo : julien garroy)

Ben Thuy est paléontologue au musée national d’Histoire naturelle de Luxembourg. Il nous raconte son quotidien entre études et découvertes.

Il y a 170 millions d’années, le Luxembourg et la Lorraine se trouvaient dans des mers chaudes et peu profondes, une île s’était formée depuis le Brabant belge jusqu’à Landres, en Meurthe-et-Moselle. On peut dire que la région ressemblait aux Bahamas à cette époque», décrit Ben Thuy, paléontologue au musée national d’Histoire naturelle (MNHN) de Luxembourg. C’est dans ce monde, dont il ne reste plus que des ossements et des fossiles, qu’évolue cet expert des êtres qui vivaient dans un passé très, très lointain.

Un temps qui a refait surface dans les médias, il y a quelques jours, notamment par la voix du Luxembourgeois. Les restes d’un pliosaure, un reptile marin découvert près de Metz en 1983 et exposé en permanence au MNHN, ont pris une nouvelle ampleur après avoir été identifiés comme appartenant à un nouveau genre : le Lorrainosaurus. «Ces fragments ont attiré l’attention d’un expert allemand qui a ensuite réalisé une étude mettant en évidence la valeur extraordinaire de cette espèce», précise Ben Thuy. 

Jurassic Park a fait la différence

Bien avant de participer à des recherches internationales sur des bribes d’os vieux de millions d’années, ce spécialiste âgé de 37 ans a vu sa passion tracer son chemin. Le big bang de cette dernière a lieu en 1995 dans une salle de cinéma devant un film : Jurassic Park. Avoir le souffle coupé en découvrant un si réel brachiosaure se levant sur ses pattes arrière, sentir son cœur battre la chamade au rythme des pas des vélociraptors traquant deux enfants dans une cuisine…

L’œuvre de Steven Spielberg marque pour toujours le jeune Ben. «Jurassic Park a fait la différence. Il s’agissait du premier film mettant en scène des dinosaures de manière réaliste en tenant compte des standards scientifiques de l’époque.» Déjà fasciné par la nature et animé par l’envie de «déterrer des choses», le futur paléontologue, originaire de Steinsel, part en exploration dans les carrières du Grand-Duché accompagné par son père.

Avec ce soutien familial, la science reste bien ancrée dans l’esprit du garçon qui, pendant ses années de secondaire, participera au concours des jeunes scientifiques. «Lors de ce concours, j’ai présenté un rapport sur un fossile que j’avais trouvé enfant, avec mon père. Il s’agissait d’un fossile d’oursin dont les détails et la beauté m’ont fasciné», se souvient-il. Cette découverte des premiers âges va continuer à le guider durant toute sa carrière. Après des études en sciences avec une spécialité paléontologie menées près de Stuttgart, Ben Thuy finalise son cursus à Göttingen en rédigeant un doctorat sur les ophiures. Une espèce d’échinodermes, branche qui regroupe les animaux marins comme les étoiles de mer ou encore… les oursins.

Les trois axes du paléontologue

«La vie de paléontologue n’est pas évidente à mener», souligne le spécialiste. «II est nécessaire de changer souvent de lieux, de pays… On enchaîne les CDD qui durent au mieux cinq ans. J’ai vu beaucoup de collègues vivre ainsi pendant longtemps sans jamais réussir à fonder une famille.» Alors que le jeune homme vit une histoire d’amour avec une paléontologue allemande, le couple décide de tout faire pour rester ensemble.

Une décision difficile s’impose alors à eux, quitter la science. Pendant plusieurs années, Ben Thuy et sa compagne enchaîneront les boulots alimentaires, permettant de ramener «de quoi vivre pour élever notre fille». Jusqu’au jour où, par un coup du hasard, une place de paléontologue se libère au sein du musée national d’Histoire naturelle. Une chance que Ben Thuy ne laisse pas filer.

Depuis 2015, ses journées dans les couloirs de l’institution s’articulent autour de trois grands volets. Le premier concerne la collection et le travail de conservation. Il s’agit d’étudier, d’enrichir et de valoriser cette accumulation de pièces rares. «Cela passe par différents moyens dont les fouilles», détaille le paléontologue. «Actuellement, le Lorrainosaurus a permis d’attirer l’attention d’autres chercheurs et experts.» La deuxième mission du Luxembourgeois concerne les recherches scientifiques. Celles-ci peuvent porter aussi bien sur la collection qui se trouve au Grand-Duché que sur d’autres collections éparpillées autour du globe. Enfin, Ben Thuy réalise un travail de communication qui mélange des conférences, de la médiation et de la divulgation. «Il s’agit de rendre accessibles des pièces du musée», résume-t-il.

Les os, des trésors d’informations

Aujourd’hui, le chantier le plus important du Luxembourg se trouve au nord du pays, dans la carrière Rinnen, à Consthum. De nombreux spécialistes se rendent régulièrement dans ce petit site de fouilles qui se trouve au pied d’une paroi de schiste. Ici, les couches ont la particularité, contrairement aux sites du sud du territoire, d’être verticales à cause de la tectonique des plaques.

Il reste encore beaucoup de merveilles à trouver

En septembre 2022, le musée national d’Histoire naturelle y effectuait des fouilles pour y déterrer, entre autres, des fossiles de scorpions aquatiques, une espèce présente il y a 406 millions d’années. «Cette zone regroupe les plus anciens fragments d’animaux marins et terrestres du pays. Les études n’ont pas encore été publiées, mais nous y avons découvert les ossements d’un animal datant du dévonien (-419 à -359 millions d’années). Il reste encore beaucoup de merveilles à trouver.» 

Les petits morceaux d’os dénichés dans cette carrière révèlent une quantité invraisemblable d’informations aux paléontologues et leur permettent de tirer des conclusions pour reconstituer la vie. De la simple forme des fragments à l’analyse chimique des ossements, les fossiles renseignent sur le climat dans lequel évoluaient ces animaux, leur milieu ou encore la nourriture qu’ils ingéraient.

Après tant d’années passées à remuer la terre, la passion du passé se vit au jour le jour pour Ben Thuy. À la question, «quel fossile rêvez-vous d’étudier?», il répond «Un fragment qui appartient à quelque chose d’inconnu et que nous venons de trouver dans le nord du pays».

Des pierres et du metal

Outre sa passion pour les ossements anciens et les fossiles vieux de plusieurs millions d’années, Ben Thuy voue une passion sans faille pour le metal. «C’est complétement irrationnel et émotionnel. Ça me parle et ça m’aide à mieux comprendre et exprimer ce que je ressens.» Fan du groupe français Gojira, le paléontologue ne se contente pas d’écouter ce genre de musique puisqu’il est également batteur dans un groupe.

En 2018, il rassemblait ses deux passions en donnant le nom du groupe Arch Enemy et de sa chanteuse, Alissa White-Gluz, à deux fossiles. Il existe deux exemplaires d’ophiures nommés «Melusinaster alissawhitegluzae». L’un est conservé au MNHN et le second se trouve dans le studio de la chanteuse suédoise. Un autre fossile a été baptisé du nom du groupe, en l’occurrence le «Melusinaster arcusinimus». Tous ont été trouvés en Allemagne et au Luxembourg. «C’est vraiment un honneur», avait déclaré à l’époque la chanteuse, comme le relate le MNHN sur son site.

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