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Nouvelle constitution : « Le processus ne s’est pas fait à huis clos »


«La grande majorité des gens estime que ceux qui ont durement travaillé pendant 20 ans sur cette lourde thématique n’ont pas tout faux et reconnaît la plus-value du nouveau texte», affirme Mars Di Bartolomeo. (Photo : Editpress)

Le président de la Commission des institutions, Mars Di Bartolomeo, revient sur le très long processus pour doter le Luxembourg d’une loi suprême digne du XXIe siècle. Elle entrera officiellement en vigueur samedi.

Après la fête nationale du 23 juin, le Grand-Duché va vivre dans quelques jours un autre événement marquant. Samedi, les autorités du pays vont se réunir, en présence du Grand-Duc Henri, devant la Chambre des députés pour célébrer l’entrée en vigueur de la Constitution révisée. Il s’agira de l’aboutissement de tractations politiques qui auront duré deux décennies. Mars Di Bartolomeo (LSAP) a mené les derniers travaux aux côtés de Simone Beissel (DP), Léon Gloden (CSV) et Charles Margue (déi gréng).

Au bout de près de 20 ans de travaux parlementaires, la Constitution révisée va enfin entrer en vigueur ce samedi 1er juillet. Quel est le sentiment qui prédomine chez vous, en tant que président de commission parlementaire ayant réussi à faire aboutir ce très long processus?

Mars Di Bartolomeo : Le sentiment qui prédomine est celui du travail en équipe bien fait. On s’est laissé le temps nécessaire pour aboutir à un résultat qui ne constitue pas de révolution, mais une forte évolution. Le lien avec la Constitution existante demeure intact. Près de la moitié des articles déjà en vigueur ont été repris, ce qui a été d’autant plus facile que la loi suprême a été, au fil des décennies, ponctuellement adaptée une quarantaine de fois. Nous nous sommes dès lors consacrés à modifier des dispositions qui – vu de l’extérieur – ont pu faire croire qu’on se trouvait encore au XIXe siècle.

Justement, la Constitution modernisée entre en vigueur pile 175 ans après que le Grand-Duché s’est doté, en 1848, d’une première Constitution libérale et parlementaire. Le contexte est aujourd’hui tout autre. Néanmoins, peut-on tirer des enseignements de ce tournant de l’histoire?

Il s’agit en premier lieu de gratifier le pays et notre communauté d’une carte de visite proche des réalités. En même temps, il existe une certaine joie de pouvoir offrir, 175 ans plus tard, le plus grand cadeau d’anniversaire possible à cette première Constitution, un clin d’œil à l’histoire. Le rajeunissement du texte n’est pas une fin en soi, mais sert à doter le Luxembourg d’une loi suprême qui corresponde à la réalité du XXIe siècle.

Quelles sont les principales caractéristiques de la Constitution révisée?

L’objectif est de clarifier les rôles et renforcer les différentes institutions. Des précisions sont notamment amenées sur l’identité du pays et sa communauté, sur nos valeurs, sur nos objectifs et priorités, ainsi que sur la coopération entre les différentes institutions. Et puis, il s’agit aussi de regarder plus loin que le Luxembourg, en ancrant dans la Constitution notre engagement dans le projet européen et au respect des autres traités internationaux. L’idée est de doter le Grand-Duché d’une identité cohérente.

«Nous nous sommes consacrés à modifier des dispositions qui – vu de l’extérieur – ont pu faire croire qu’on se trouvait encore au XIXe siècle», retrace Mars Di Bartolomeo, durant le processus de révision. Photos : tania feller

Est-il possible d’en dire plus sur la valeur que cette loi suprême modernisée peut avoir pour le Grand-Duché?

De prime abord, une Constitution garde toute son importance, car elle constitue la base de toute loi et du vivre-ensemble. Une Constitution ne doit pas diviser les gens, mais les rassembler. Je pense que nous avons réussi à le faire, en nous donnant le temps nécessaire. L’objectif a été de dégager de bons accords sur des points qui sont largement partagés. La force d’une Constitution est de refléter ce qui nous unit et non pas de creuser des fossés au sein d’une communauté.

Les dissonances politiques ont cependant été importantes. Le CSV a notamment commis une volte-face en 2019, qui a fondamentalement remis en question les travaux effectués. L’ADR et déi Lénk se sont aussi montrés très réticents. Est-ce que cela n’entache pas la Constitution modernisée?

Il n’est pas possible de dégager une unanimité sur tous les points. Ce qui m’importe néanmoins est, qu’en dépit de toutes les manœuvres politiques auxquelles on a pu assister, le résultat final de 20 ans de travaux a pu être confirmé quasiment dans son intégralité. Pour moi, un retour à la case départ aurait été une catastrophe politique. Le fait d’avoir réussi à sauvegarder l’unité des grands partis autour du projet de révision a permis de clôturer les travaux sans remise en question fondamentale de ce qui avait déjà été élaboré. Il y a eu certaines adaptations, mais pas dans un sens négatif. Ce qui m’attriste le plus est que, dans le débat public, une petite minorité du Parlement ait opéré avec des demi-vérités, voire des mensonges.

Vous faites allusion à quoi?

Il a été clamé que l’on allait introduire par la petite porte le droit de vote pour les résidents étrangers et, ainsi, aller contre le non exprimé lors du référendum constitutionnel de 2015. C’est du n’importe quoi. Il suffit de lire les articles en question pour constater qu’il est exclu de procéder ainsi. L’autre interprétation selon laquelle une différenciation est faite entre les Luxembourgeois et les non-Luxembourgeois est également erronée. Un article stipule bien que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. Juste derrière, il est précisé que tout non-Luxembourgeois vivant sur le territoire jouit des mêmes droits.

Je ne peux cautionner les propos selon lesquels nous avons décidé des cruautés sans aucune implication du public

En fin de compte, les quatre chapitres de révision ont été adoptés par une très large majorité à la Chambre. S’agit-il d’un signe de réconciliation?

Le résultat des votes illustre le fort soutien des représentants du peuple aux travaux effectués. Je tiens d’ailleurs à rappeler que le processus de révision ne s’est pas fait à huis clos. Il y a eu le référendum de 2015 sur trois questions précises. Son résultat est intégralement respecté. Ensuite, des forums de discussion ont été organisés avec l’université. Les citoyens et la société civile ont également eu la possibilité d’introduire leurs propositions lors de la campagne Är Virschléi. Toute une série d’éléments essentiels ont été repris dans le texte révisé, dont le renforcement de la protection de l’environnement, du climat, des animaux et bien d’autres. Je ne peux donc cautionner les propos selon lesquels nous avons décidé des cruautés sans aucune implication du public.

Les 12 chapitres et 132 articles peuvent néanmoins toujours paraître très complexes. Plus simplement exprimé, quel est l’apport de la Constitution révisée pour les citoyens?

Je ne peux qu’inviter tout un chacun à consulter la Constitution révisée, d’autant plus qu’elle est devenue plus lisible. D’ailleurs, le texte a été envoyé à tous les ménages en trois langues. Nous avons fait l’effort de mieux regrouper et compléter les articles concordants. Plus concrètement, nous avons complété les droits fondamentaux et libertés publiques, dont l’inviolabilité de la dignité humaine, le droit à l’intégrité physique, le respect de la liberté individuelle, le droit de fonder une famille, peu importe sa forme, et l’inscription de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’État s’engage en outre à garantir que toute personne puisse vivre et se loger dignement. L’attachement au dialogue social est également souligné.

La Chambre des députés va aussi bénéficier de plus de droits et de pouvoir. Est-ce que cela peut renforcer l’émancipation du Parlement, souvent considéré comme simple machine à voter des lois?

La Chambre s’est déjà considérablement renforcée au cours des dix dernières années. Pour tenir compte de la complexité grandissante du travail législatif, le Parlement doit se donner les moyens de remplir son rôle de première institution du pays. La création de la cellule scientifique va dans ce sens. Désormais, le droit d’enquête de la Chambre sera renforcé. Il ne faudra plus que 20 députés au lieu d’une majorité de 31 pour demander une commission d’enquête, un instrument qui doit néanmoins être utilisé à bon escient. Trop de commissions d’enquête tuent la commission d’enquête. S’il existe une institution qui sort vraiment renforcée du processus de révision, c’est bien la Chambre des députés, qui a mieux adhéré à son rôle de constituant. Elle pourra interagir à pied d’égalité avec le gouvernement, et s’éloigner, ainsi, de l’image d’un Parlement dominé par des béni-oui-oui.

L’objectif primaire de la révision est de doter le pays d’une Constitution adaptée aux réalités du XIXe siècle. Dans cet ordre d’idées, est-il encore défendable de maintenir la monarchie constitutionnelle comme forme de l’État?

Une proposition de Constitution alternative, prévoyant l’introduction de la République, est restée très minoritaire. On ne peut cependant pas nier que l’actuelle Constitution dressait l’image d’une monarchie loin des réalités. En fait, le Grand-Duc a déjà largement anticipé ce qui est désormais inscrit dans le texte révisé. Il est déjà un chef de l’État moderne. La suppression d’articles largement dépassés et l’inscription de nouvelles dispositions n’affaiblissent pas le statut du Grand-Duc. Tout au contraire, la fonction de chef de l’État gagne en valeur, grâce à une définition plus claire et transparente de ses responsabilités, de ses droits et obligations, mais aussi des moyens qui lui sont mis à disposition.

Ces adaptations sont-elles vraiment suffisantes pour ne pas changer de forme d’État?

Lors de la rédaction d’une Constitution, il faut aussi tenir compte de l’adhésion de la communauté vis-à-vis d’une forme d’État. Un État qui serait dessiné aujourd’hui à partir d’une feuille vierge prendrait probablement une autre forme. Mais, vu le contexte historique, je reste convaincu que si l’on organisait aujourd’hui un référendum, les citoyens voteraient toujours en faveur d’une monarchie constitutionnelle, qui est aussi respectueuse des autres institutions, qui représente tellement bien le pays vers l’extérieur et qui dispose d’un rayonnement symbolique aussi fort.

D’aucuns critiquent que les ministres et élus ne vont plus jurer fidélité au Grand-Duc lors de leur assermentation. S’agit-il d’une suite logique ou d’une sorte de crime de lèse-majesté?

Il existe un parallélisme à dresser. Lorsqu’il monte sur le trône, le Grand-Duc jure de respecter la Constitution. Pourquoi, donc, les élus ne devraient-ils pas en faire de même? Sachant que la loi suprême constitue la base pour toute loi, il est tout à fait justifié que les élus et ministres jurent d’observer la Constitution et non pas fidélité à une personne. Le Grand-Duc est lié à la Constitution, les députés et membres du gouvernement le sont également.

Au départ, les grands partis avaient promis l’organisation d’un référendum pour offrir aux citoyens la possibilité de valider ou rejeter la Constitution révisée. En 2019, on a fait marche arrière. Ne regrettez-vous pas que le dernier mot n’ait pas été accordé à la population, mais à leurs représentants élus?

Le consensus sur l’organisation d’un référendum est tombé, à la suite de la volte-face du CSV. On avait alors le choix de mener quand même à bien la révision de la Constitution ou de capituler. Il fallait vivre avec cette réalité et s’engager à mener à bien des efforts de près de 20 ans. Je n’ai pas changé d’avis, mais en même temps, je n’ai pas remarqué d’indignation populaire à cause de la non-tenue du référendum. Il suffit de regarder le faible succès des comités d’initiatives réclamant une consultation populaire. En fin de compte, je pense que la grande majorité des gens estime que ceux qui ont durement travaillé pendant 20 ans sur cette lourde thématique n’ont pas tout faux et reconnaît la plus-value du nouveau texte.

Quelle sera la durée de vie de cette Constitution révisée?

Une Constitution, tout en étant le fondement du vivre-ensemble, n’a rien de statique. La prochaine commission des Institutions aura pour mission de prendre soin du bébé et d’évaluer s’il existe des failles ou s’il y a lieu d’adapter des éléments. Comme par le passé, des modifications nécessaires vont avoir lieu. Nous n’avons pas réalisé un prodige, qui perdurera 200 ans, mais rédigé un texte qui tient compte du consensus qui existe aujourd’hui. Demain, d’autres éléments pourraient trouver le même consensus.

PRÉCISION Une erreur de sens s’est invitée dans la réponse à la question sur les dissonances politiques ayant accompagné le processus de révision. Lorsque Mars Di Bartolomeo précise qu’il y a eu certaines adaptations, il fallait lire que ces adaptations ne se sont pas faites dans un sens négatif. Nos excuses aux intéressés.

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