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Gloden et la PJ : du dispositif «anti-mendicité» vers une crise institutionnelle ?


La ministre de la Justice, Elisabeth Margue (à g.), ne voit pas le risque d'une crise institutionnelle. La procureure générale Martine Solovieff (à d.) maintient ses critiques sur le retrait d'agents de la PJ pour partir «chasser» des mendiants. (Photo : fabrizio pizzolante)

Les explications livrées ce jeudi matin par la procureure générale d’État devant les députés laissent conclure à un manque flagrant de communication entre police et parquet sur la mise en place du dispositif renforcé des forces de l’ordre pour partir, notamment, à la «chasse» aux mendiants. Les partis de l’opposition chargent lourdement le ministre Léon Gloden, qui semble plus que jamais isolé dans ce dossier. Le Luxembourg est-il proche d’une crise institutionnelle ?

Il ne faut pas aller trop vite en besogne. La ministre de la Justice, Elisabeth Margue (CSV), a tout à fait raison de le rappeler. «Je pense que l’on va un peu loin si l’on évoque une crise institutionnelle», tranche-t-elle à la sortie d’une réunion des commissions parlementaires des Affaires intérieures et de la Justice.

«Il faut faire attention à ne pas donner l’impression comme quoi on serait face à une telle crise, même si cela est dans l’intérêt de certains. Il est cependant clair que des erreurs matérielles ont été commises dans la mise en place du dispositif de police renforcé», relativise également Fernand Kartheiser (ADR), dont le parti est sur le point de devenir le dernier soutien de Léon Gloden.

La ministre de la Justice mal à l’aise

Car, Elisabeth Margue, plutôt mal à l’aise, semble aussi prendre un peu plus ses distances avec le ministre de tutelle de la police. «Il est clair que si un dispositif ordonné par le ministre des Affaires intérieures nécessite l’intervention du parquet, il faut qu’il soit consulté en amont. En outre, il m’importe que le parquet dispose des moyens nécessaires, y compris des agents de la Police judiciaire, pour avancer dans ses travaux», développe la ministre de la Justice.

Ces propos se trouvent en lien direct avec le retrait – a priori, sans consultation préalable du parquet – de 110 enquêteurs spécialisés de la Police judiciaire (PJ) afin d’être intégré au dispositif «anti-mendicité», devenu un dispositif de lutte contre une plus large panoplie de phénomènes, dont le trafic de stupéfiants, l’immigration dite «illégale», le proxénétisme et la salubrité publique.

Gloden toujours dans ses bottes

En fin de semaine dernière, la procureure générale d’État, Martine Solovieff, était montée au créneau pour fustiger la décision du ministre des Affaires intérieures de priver le parquet de 110 agents de la PJ, alors que plus de 1 200 dossiers pénaux sont à traiter.

Il a eu beau clamer ce jeudi midi avoir assisté à une «bonne réunion» et un «dialogue constructif». Le ministre Léon Gloden semble connaître de plus en plus de mal à défendre sa politique sécuritaire, en tête la validation du règlement anti-mendicité dans les quartiers Ville-haute et Gare à Luxembourg-Ville.

Une motion prend de froid CSV et DP

L’étau s’est encore resserré dans l’après-midi, lorsque le député Meris Sehovic est monté, vers 15 h 30, à la tribune de la Chambre pour déposer une motion, signée par son parti, déi gréng, ainsi que le LSAP, les Pirates et déi Lénk. «Nous réclamons le retrait immédiat et intégral de l’ensemble des agents de la Police judiciaire mobilisés pour le dispositif spécial en Ville», souligne l’élu vert.

En attendant un vote de la motion, adressée au gouvernement – a priori ce jeudi soir – on a pu voir l’agitation gagner les fractions du CSV et du DP, ainsi que les ministres Elisabeth Margue et Serge Wilmes, seuls représentants du gouvernement présents à la Chambre au moment du dépôt de la motion.

«Je suis énormément choqué»

Avant le dépôt de cette motion, le LSAP, déi gréng et les Pirates avaient déjà fait part d’un «grave problème dans nos institutions», après avoir écouté les explications de la procureure générale d’État.

«Je sors énormément choqué. C’est du jamais vu. La procureure générale et le procureur d’État de Luxembourg nous ont confirmé ne pas avoir été impliqué dans la mise en place du dispositif policier spécial. De plus, ils affirment que ce même dispositif n’est pas du tout outillé pour accomplir les missions qui lui sont conférés», s’indigne Meris Sehovic (déi gréng), jugeant que la «situation est grave».

«En à peine trois mois, le ministre Gloden a cassé plus de porcelaine que Villeroy & Boch ne peut produire un an», ajoute le député-échevin d’Esch-sur-Alzette, où il forme une coalition avec le… CSV et le DP, les deux partis de la majorité gouvernementale.

Une communication assurée par… SMS

L’élu sudiste dénonce aussi, au même titre que son collègue député Dan Biancalana (LSAP), les contradictions dans lesquelles ne cesserait plus de se perdre le ministre des Affaires intérieures. Marc Goergen (Parti pirate) estime que Léon Gloden «est sans cesse à la recherche d’un plus grand tapis pour tout cacher ce qu’il a mal géré dans ce dossier».

«Le fait que les plus hauts magistrats du pays aient appris par voie de presse la mise en place de ce dispositif n’est pas une façon de travailler entre institutions. Au vu de l’envergure de ce dernier, il ne suffit pas de dire qu’il existe un souci de communication entre police et justice. Et puis, il ne se peut pas que le ministre communique par personnes interposées et par SMS avec les dirigeants de la police et le parquet», s’insurge Dan Biancalana.

Un SMS «perdu» retrouvé par la justice

Dans la foulée de la réunion jointe des commissions des Affaires intérieures et de la Justice, la procureure générale d’État, Martine Solovieff, a tenu à rectifier une information. Dans un mail envoyé à la Chambre et aux deux ministres de tutelle, dont Le Quotidien a obtenu une copie, la haute magistrate précise avoir bien réceptionné un SMS de la part du directeur général de la police, Philippe Schrantz.

Le contenu ? L’information que le ministre des Affaires intérieures avait ordonnée le retrait des agents de la PJ du service «Ecofin», mobilisés à tort. Or, le message aurait été envoyé sur un «deuxième portable avec lequel je ne suis généralement pas en contact avec Monsieur (…) Schrantz», informe Martine Solovieff, qui présente ses excuses pour cette «erreur malencontreuse».

Gloden est-il opérationnel ou pas?

En attendant, le ministre Gloden continue à clamer qu’il n’est pas dans ses intentions de s’immiscer dans le volet opérationnel du travail de police. «En fait, nous constatons qu’il a déjà avoué pour la deuxième fois de s’être immiscé dans le domaine opérationnel. Une première fois en décembre, où il a ordonné, à la tribune de la Chambre, de se limiter à la poursuite de la mendicité organisée et agressive. Maintenant, il a ordonné de retirer une partie des enquêteurs de la PJ, qui auraient été mobilisés à tort», énumère Marc Goergen.

Rien de tout cela ne semble impressionner le ministre en charge de la Sécurité intérieure. «Il nous faut bien améliorer le dialogue, trop déficient, entre la police et le parquet. Ce sera chose faite. Pour le reste, ce gouvernement va continuer à s’engager pour la sécurité de l’ensemble des citoyens de ce pays, en déployant davantage de policiers sur le terrain», conclut Léon Gloden.

En attendant un prochain rebondissement ?

Une commission d’enquête parlementaire n’est pas catégoriquement exclue

La liste des contradictions et autres errements est encore bien plus longue. La patience des partis de l’opposition – hormis l’ADR – arrive à bout. Interrogé par nos soins, le LSAP de Dan Biancalana n’exclut pas d’instaurer éventuellement – avec déi gréng, les Pirates et déi Lénk – une commission d’enquête parlementaire. «Nous retirons de la réunion de ce jeudi des éléments précieux sur le fonctionnement de la justice, de la police et du ministère des Affaires intérieures. On va certainement entreprendre des pas supplémentaires, peu importe leur forme», avance le député-maire de Dudelange.

«Pour l’instant, je ne veux et peux rien exclure. Il nous faudra discuter et analyser en interne les explications reçus par le parquet. Mais, on va certainement cherche le contact avec les autres partis de l’opposition», note Meris Sehovic.

Marc Goergen affirme vouloir rester «très prudent» par rapport à la mise en place d’une commission d’enquête. «C’est un instrument tranchant. Le ministre a encore la chance de faire marche arrière. Mais, s’il continue à s’entêter et mettre, ainsi, en danger le fonctionnement de la police ainsi que la sécurité du pays, il faudra bien réfléchir à une commission d’enquête», développe l’élu.

Le groupe de déi Lénk ne veut également «rien exclure à ce stade». Marc Baum met, lui aussi, en avant les errements du ministre Léon Gloden. «Ça part dans tous les sens. Est-ce que le ministre est intervenu, et si oui quand? Quand est-ce que la procureure a été informée? Il existe des contradictions qui seront à élucider, aussi pour savoir si le ministre a dit toute la vérité. La motion déposée ce jeudi est un début», explique le député, interrogé par nos soins.

Depuis la révision de la Constitution, en vigueur depuis le 1er juillet 2023, il suffit que 20 députés soient réunis – contre une majorité de 31 élus auparavant – pour réclamer une commission d’enquête parlementaire. LSAP, déi gréng, Pirates et déi Lénk comptent avec 20 pile sièges ce seuil minimal de sièges.

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