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Le loup, pas si méchant que ça…


Laurent Schley voit le passage des loups au Luxembourg comme une preuve que les politiques de protection sont efficaces. (Photo : archives editpress/alain rischard)

Laurent Schley, directeur adjoint de l’Administration de la nature et des forêts, est un spécialiste du loup, internationalement reconnu. Or, on en voit de plus en plus au Luxembourg.

Le 24 avril 1893, le juge Édouard Wolff abattait le dernier loup luxembourgeois dans la forêt d’Olingen, près de Roodt-sur-Syre. À l’époque, on avait salué cet exploit comme une libération. De quoi ? On ne savait plus vraiment, qu’importe, le dernier loup était mort et cela méritait bien une ovation. On s’en souvenait 44 ans après lorsque, pour honorer le juge Wolff qui allait décéder un an plus tard, le Saint-Hubert Club du Grand-Duché de Luxembourg inaugurait en compagnie du vieil homme une plaque commémorative à l’endroit où ce dernier loup était tombé.

Il a fallu attendre 2017 pour revoir un loup dans le pays, soit 124 ans d’absence. Mais depuis cette année, jamais on n’en avait vu autant. En décembre 2022, un loup a vraisemblablement mangé un mouton vers Troisvierges. Le 22 janvier 2023, des poils ont été retrouvés dans une clôture en fils de fer barbelés à Troine (Wincrange).

En juillet, un mouton a été tué à Lieler, dans le Nord. Et en août, pas moins de deux preuves de son passage (grâce à un piège photographique et une vidéo) ont été récupérées entre Echternach et Beaufort, dans le Müllerthal.

Pourtant, jusqu’à présent, «aucune meute de loups ne s’est installée au Luxembourg», affirme le Dr Laurent Schley, directeur adjoint de l’Administration de la nature et des forêts, également membre de la commission pour la sauvegarde des espèces au sein de prestigieuse International Union for Conservation of Nature (IUCN), un organisme où des experts du monde entier sont cooptés par leurs pairs.

Sangliers et cervidés au menu

Pour comprendre la dispersion géographique des loups, il faut savoir que seuls ceux qui forment un couple, puis leur progéniture occupent un territoire. Quand un des jeunes est en âge de quitter la meute, il part chercher un(e) partenaire et peut parcourir des centaines de kilomètres. Un exemple illustre ce comportement : des analyses génétiques ont démontré que le loup qui avait perdu des poils dans les barbelés de Troine le 23 janvier dernier est le même que celui qui avait été pris en photo le 9 septembre 2021 en Basse-Saxe (Allemagne). Le photographe avait récupéré des crottes du canidé, ce qui a permis de le comparer avec celui des poils. Or, entre la Basse-Saxe et le Luxembourg, il y a 500 bons kilomètres.

Il ne fait aucun doute que les campagnes luxembourgeoises lui conviendraient

Il n’existe donc pas de meute luxembourgeoise, mais cela pourrait bien arriver un jour. En Belgique, une troisième meute de loups s’est installée dans les Hautes-Fagnes, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière luxembourgeoise. La dernière a même été rendue publique tout récemment, le 14 septembre. D’autres sont établies aux Pays-Bas, en Allemagne, en France… bref, tout autour du Grand-Duché.

«Le loup peut se plaire dans beaucoup d’environnements différents et il ne fait aucun doute que les campagnes luxembourgeoises lui conviendraient, souligne Laurent Schley. Ce qu’il lui faut, c’est du gibier et nos forêts en regorgent. À tel point que les sangliers causent près d’un million d’euros de dégâts par an dans les cultures et que la régénération de nos forêts est compromise par les cervidés qui mangent les jeunes pousses.»

Puisque depuis plus d’un siècle, le gibier se développe sans prédateur naturel, le retour du loup pourrait-il permettre de rétablir les équilibres environnementaux? «Cela nous aiderait certainement, même si cela ne règlerait pas tous les problèmes», prévient le biologiste.

Il reste deux écueils principaux. Le premier tient de la géographie humaine. «Avec la Belgique, le Luxembourg est le pays le plus morcelé d’Europe, celui où les obstacles artificiels comme les routes, les voies ferrées ou les zones d’habitations sont les plus nombreux», souligne Laurent Schley. D’ailleurs, un jeune loup des Hautes-Fagnes vient d’être tué sur la route en Belgique. «Si cela arrivait à un jeune père ou à une jeune mère, ce serait certainement la fin de la meute.»

La question ?Pourquoi le loup revient-il ?

Pour une bonne et simple raison : parce qu’il est protégé ! Contrairement à beaucoup d’autres espèces disparues ou en voie de disparition, le loup ne s’est pas volatilisé parce qu’il a perdu ses habitats, mais parce qu’on l’a massacré pendant des siècles.

Or, en 1992, l’espèce a été protégée dans le cadre de la directive européenne « Habitats ». Sans jamais avoir été réintroduit artificiellement, le loup a recolonisé l’Europe petit à petit, depuis les endroits où il vivait encore, essentiellement depuis l’Europe de l’Est et, à moindre mesure, l’Italie.

Et il faut aussi convaincre la population que les humains peuvent vivre avec les loups. L’ANF multiplie en ce moment les réunions d’information dans les communes les plus concernées. Laurent Schley était par exemple mercredi à Berdorf devant une soixantaine de personnes.

Victime de sa mauvaise réputation, le loup est considéré comme un grand méchant, qu’il n’est pourtant pas tant que ça. «Je comprends tout à fait la douleur des éleveurs quand ils voient un de leurs agneaux tué, c’est une scène extrêmement dure. Mais je crois qu’il faut regarder cela à la bonne échelle. Dans l’alimentation du loup, le bétail ne représente que 5 %. Les autres, on ne les voit pas parce que les carcasses restent en forêt.»

Sans compter que les chiffres de la mortalité habituelle dans les élevages, des données rarement évoquées, n’ont rien à voir avec les quelques bêtes mangées par les loups. Entre 2005 et 2018, selon l’Administration des services vétérinaires, de 9 000 à 13 000 veaux et de 1 000 à 3 000 chèvres, moutons et agneaux sont décédés chaque année dans les fermes.

Cette mortalité est sans doute moins traumatisante que celle causée par les loups, mais au fond, la finalité est la même. D’autant qu’un nouveau règlement grand-ducal codifiant les subsides reversés aux agriculteurs en cas d’attaque de loups vient d’être mis en application le 11 septembre dernier, leur garantissant un somme égal à la valeur de l’animal.

Carte d’identité

Nom : Laurent Schley

Âge : 50 ans

Poste : directeur adjoint de l’Administration de la nature et des forêts

Profil : Laurent Schley a étudié la conservation et la biologie de la faune en Grande-Bretagne (bachelor à la Keele University, master à la University of Kent à Canterbury et doctorat à la University of Sussex à Brighton. En 1996-1997, il travaille à la Surrey Wildlife Trust avant de revenir au Luxembourg, à la Fondation Hëllef fir d’Natur en 1999-2000. Il rejoint l’ANF en 2000, puis en devient le directeur adjoint en 2013.

Un commentaire

  1. Ré- introduisons le loup en Grande-Bretagne et en Irlande où il existait au point qu’une race de chien Le wolfhound était spécialisée dans sa traque, j’ai discuté avec un berger du Donegal dont les brebis étaient disséminées dans la montagne, quelle n’a pas été sa surprise devant notre tolérance « bêlante »…
    Après la Grande Famine, il aurait à supporter la destruction de son cheptel..
    Les Spécialistes autoproclamés ne vivent pas de la terre mais à ses crochets.

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