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[Gardiens de la nature] La Jeekelshaff, une histoire de Tchernobyl à Pétange


Guy Arend possède un troupeau d’une centaine de bovins, uniquement de race angus.

Éleveur bio à Pétange, Guy Arend est un agriculteur passionné de 63 ans qui ne sait pas encore ce que son exploitation deviendra lorsqu’il prendra sa retraite.

Le beau corps de ferme est situé le long de la rue d’Athus, dans le bourg de Pétange. «Lorsque mon grand-père l’a construit, en 1934, le bâtiment était isolé, en dehors du village et au milieu des pâtures», explique Guy Arend, qui habite à côté tandis que son fils et sa famille occupent l’ancienne demeure. «Aujourd’hui, nous sommes entourés par les maisons, avec la collectrice du Sud juste derrière. La situation n’est plus aussi favorable qu’autrefois, c’est comme ça.»

Il se dit qu’il aurait peut-être dû bâtir une nouvelle ferme, en face, au pied des collines que l’on aperçoit en face de la cour, au milieu de ses prés. «Mais j’y étais attaché, je n’ai pas réussi à m’en défaire…»

Peut-être que s’il avait eu la certitude que la génération suivante lui succéderait, il aurait sauté le pas. Son fils travaille aujourd’hui au service écologique de la commune de Differdange et sa fille est éducatrice.

Aucun des deux n’a prévu de devenir agriculteur. Il y a bien le projet de son fils et de son gendre de reprendre l’exploitation comme activité secondaire, mais rien n’est vraiment fixé.

médaillon

La ferme est bio depuis 1986, «l’année de Tchernobyl». L’évènement n’est d’ailleurs pas complètement sans rapport avec la conversion entamée par Guy Arend. Militant engagé de la cause écologiste, il avait déjà participé aux combats contre le nucléaire et la construction de la collectrice du Sud.

«En 1981, François Mitterrand avait promis que s’il était élu, il abandonnerait le projet de centrale à Cattenom. Mais le mois suivant son élection, il confirmait sa construction. En 1983, avec beaucoup d’écologistes de la Grande Région, nous avons participé à de grandes manifestations à Kœnigsmacker, près du site de la centrale. Les forces de l’ordre nous avaient empêchés d’approcher, c’était très tendu», se souvient celui qui faisait déjà partie de la section du Mouvement écologique de Pétange.

Trente-huit plantes dans les prés

La même année que la catastrophe qui a anéanti la centrale nucléaire soviétique (aujourd’hui en Ukraine) et ses alentours, et pollué une bonne partie de l’Europe, sa ferme devient donc officiellement biologique. Sacré symbole! Guy Arend est en tout cas très fier que le Sicona ait récemment dénombré 38 variétés de plantes dans ses prés. «En conventionnel, on en trouve rarement plus de six ou huit.»

Ses pâtures ne sont jamais engraissées artificiellement et il pratique le fauchage tardif, pour laisser le temps aux pollinisateurs de bien profiter des fleurs. «Il y a énormément d’insectes et de papillons dans mes prairies, sans compter tous les micro-organismes que l’on ne voit pas sous terre.»

La biodiversité s’épanouit aussi dans les 10 km de haies qui entourent ses champs. «J’ai cinq hectares de prés clos uniquement par des haies», précise-t-il.

Guy Arend possède 95 hectares de terres, dont une vingtaine sont réservées à la culture de céréales (épeautre, avoine et triticale, un croisement entre le blé et le seigle). Une grande partie d’entre elles sont conditionnées par la Lëtzebuerger Saatbau Genossenschaft (LSG) à Roost, qui les vend en tant que semences pour les autres agriculteurs bios.

Depuis 2005, toute la production de son exploitation tourne autour de l’élevage de bovins de race angus, qui se régalent de l’herbe fraîche de mi-avril à mi-novembre et du foin produit sur place le reste de l’année.

En complément, le fermier leur accorde aussi une petite partie de ses céréales : «L’épeautre leur donne un beau poil.»

Avant 2005, l’exploitation était orientée vers le lait. Mais le caractère erratique des cours l’a fait changer d’avis. «J’ai acheté mon premier troupeau d’angus à un agriculteur allemand qui a dû tout arrêter à cause d’un problème de santé.»

Aujourd’hui, il possède une quarantaine de vaches, autant de veaux qui vivent auprès de leur mère et une vingtaine de bœufs. Tous les mois, il fait abattre un veau de 12 mois et un bœuf de 600 kg. Certaines vaches restent dans le troupeau jusqu’à l’âge de 15 ans.

Les angus, des bovins plutôt petits, offrent une excellente qualité de viande. Et «grâce à leur taille, les dimensions des côtes à l’os ou des steaks sont idéales, car on mange moins qu’avant», sourit Guy Arend. Il est sensible aussi au fait que «ces vaches sont de très bonnes mères qui s’occupent bien de leurs petits».

Le vêlage, de plus, se passe souvent sans complication. «On a sélectionné les charolaises ou les limousines pour qu’elles soient très solides, mais, du coup, leur arrière-train est devenu plus étroit et elles ont de plus en plus de mal à mettre bas. Avec les angus, on n’a pas ce problème. En dix ans, je n’ai dû faire que deux césariennes, ce n’est rien.»

Le tableau pourrait paraître idéal, mais il ne l’est pas. L’exploitation a perdu une grande part de sa rentabilité avec l’application depuis 2021 d’une loi publiée en 2011. Celle-ci autorise la vente de viande hachée et de morceaux pour ragoût uniquement s’ils ont été préparés par un maître boucher diplômé dans une boucherie répondant aux normes d’hygiène les plus strictes.

«Avant, nous transformions la viande dans notre cuisine à la ferme en faisant très attention et nous n’avons jamais eu de problème, souligne Guy Arend. Nous fournissions notamment les cantines des maisons relais et des écoles avec un hachis d’excellente qualité. Ce manque à gagner représente 60 000 euros par an, c’est énorme… Heureusement que les investissements sont rentabilisés, je ne pourrais pas continuer sinon.»

Le fermier a écrit aux précédents ministres de l’Agriculture pour leur exposer sa position. Il promet d’interpeller Martine Hansen très bientôt. «Le problème de cette loi, c’est qu’elle réserve le marché aux plus grands acteurs, analyse-t-il. Moi, je ne peux pas investir dans de nouvelles installations. Je gagne de l’argent avec les morceaux nobles, parce qu’avec leur prix supérieur, il me reste un peu d’argent même après le passage des intermédiaires : abattoir, maître boucher… Mais pour les bas morceaux qui servent à faire le haché et les ragoûts, l’intérêt économique est nul.»

Sa viande est vendue et distribuée sous le label «Bio Maufel», une initiative qui regroupe des éleveurs bios au sein de l’IVLB (Interessegemeinschaft fir Vermaartung vu Lëtzebuerger Bio-Fleesch).

Créé en 2009, l’organisme achète à prix fixe et contrôle la qualité de la viande issue d’une trentaine d’exploitations luxembourgeoises bios. On la retrouve notamment dans les magasins Naturata et les boucheries Niessen.

Qu’est devenue la boutique?

Une boutique à la ferme était autrefois ouverte à la Jeekelshaff. Elle est fermée depuis trois ans. «On y vendait notre viande et d’autres produits bios, mais c’est devenu très compliqué avec le covid, regrette Guy Arend. Il y avait des problèmes avec les masques et les livraisons à effectuer pour les clients qui ne venaient plus sur place. Cela faisait trop de travail pour moi.»

Le fermier remarquait aussi que si les gens préféraient de plus en plus les produits bios, ceux-ci étaient davantage achetés dans les grandes surfaces et chez les discounters qu’auprès des producteurs locaux.

CARTE D’IDENTITÉ

NOM : Guy Arend

ÂGE : 63 ans

FONCTION : Agriculteur

PROFIL : Guy Arend obtient son diplôme d’ingénieur agronome à Hohenheim, en Allemagne, près de Stuttgart. Il reprend ensuite la ferme de son père et la convertit au bio dès 1986.

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