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Frieden : «Ce débat sur la mendicité est largement exagéré»


Le Premier ministre, Luc Frieden, veut que «chaque être humain puisse vivre en dignité. La base légale du règlement anti-mendicité sera revue.»

Le Premier ministre, Luc Frieden, a demandé aux ministres compétents de vérifier la situation législative et d’y apporter les clarifications qui s’imposent. Le sujet n’est pas essentiel pour le gouvernement.

«Cela me choque énormément.» C’est Paulette Lenert qui s’exprime ici, estimant que le pays est entré dans une crise institutionnelle profonde. «C’est clair comme de l’eau de roche et la procureure générale d’État, Martine Solovieff, a eu des mots très forts, pour dire une bonne fois pour toutes, que le règlement communal de la ville de Luxembourg interdisant la mendicité ne repose sur aucune base légale», poursuit-elle.

La veille, les partis de l’opposition (LSAP, déi gréng, déi Lénk et Parti pirate) ont exigé une prise de position de Luc Frieden, un Premier ministre resté à l’écart du débat jusqu’ici. Dans le cadre d’une interview réalisée par Le Quotidien et à paraître en intégralité lundi prochain, Luc Frieden est sorti de sa réserve en répondant aux questions liées à cette polémique qui n’en finit pas de prendre de l’ampleur.

«Je voudrais d’abord qu’on situe cette polémique dans un contexte plus large. Pour moi, ce qui est important, c’est que chaque être humain puisse vivre en dignité. Je voudrais que chacun puisse avoir un lit chaud, être nourri, avoir des services sociaux et de santé à sa disposition. C’est un premier point. Ensuite, l’État de droit doit fonctionner. C’est le respect de règles que le Parlement se donne. Là où l’État de droit n’est pas respecté, il faut que les autorités interviennent. Ce sont deux principes importants que j’essaie de combiner. Dans le détail, il s’agit ici d’un règlement de police de la Ville de Luxembourg qui doit correspondre à la législation. Il appartient aux tribunaux de décider si tel est le cas, sinon il appartient au Parlement, dans une démocratie, de clarifier les textes.»

Le Premier ministre a-t-il donné des consignes à ses ministres de la Justice et des Affaires intérieures ?

«J’ai demandé aux ministres compétents de clarifier les choses, de vérifier la situation législative et d’y apporter les clarifications qui s’imposent après analyse dans le cadre d’une réforme du code pénal. Le sujet n’est pas essentiel pour le gouvernement, c’est la lutte pour une vie digne et le respect de l’État de droit qui sont les deux catégories essentielles pour ce gouvernement. Je trouve que la place accordée à ce débat sur la mendicité est largement exagérée dans le débat général et les sujets qui s’imposent pour l’avenir du pays.»

Changer la loi, c’est aussi ce que pense Paulette Lenert, ancienne vice-présidente du Tribunal administratif. «Il faut respecter la jurisprudence, c’est pourtant le pilier d’un État de droit, sinon, il faut changer la loi», dit-elle. Depuis l’existence de cette faute d’étourderie dans le texte de loi qui a abouti, en 2008, à abolir l’infraction de mendicité simple, personne n’a jugé utile de corriger l’erreur.

«Il n’y avait aucun besoin d’intervenir. L’ancien gouvernement a simplement respecté la jurisprudence, ce qui est une différence fondamentale. Il n’y avait pas de majorité pour instaurer à nouveau cette infraction», explique l’ancienne ministre et actuelle députée socialiste.

À l’époque, personne ne voyait la nécessité d’agir, tout était clair, les tribunaux nationaux s’étaient prononcés, la Cour européenne des droits de l’homme aussi. La mendicité simple ne pouvait pas être poursuivie «Jamais dans l’histoire du Luxembourg une autorité politique ne s’est opposée ainsi à une décision du tribunal», exprime Paulette Lenert, en fouillant dans sa mémoire d’ancienne juge.

Elle n’en revient pas de la manière dont les élus traitent la jurisprudence, en commençant par la députée-maire de la capitale, Lydie Polfer, qui estime que la législation, c’est l’affaire des députés et qu’ils n’ont jamais voulu rayer la mendicité de la liste des infractions et que l’erreur dans le texte était flagrante.

Les institutions qui parlent

Avec la précédente sortie du procureur Georges Oswald, c’est au tour de Martine Solovieff d’enfoncer le clou et de remettre les politiques à leur place. «Ce n’est plus politique, ce sont les institutions qui parlent, ce n’est plus l’opposition qui fait son petit cinéma», fait observer Paulette Lenert.

Elle s’inquiète du message que le gouvernement envoie aux justiciables. «Personne n’avait jamais osé être aussi nonchalant avec le pouvoir judiciaire. À partir du moment où l’on est face à de si flagrantes oppositions entre les pouvoirs, il y a urgence à intervenir pour un ministre de la Justice», déclare Paulette Lenert.

Les partis de l’opposition qui demandent des comptes au gouvernement, en exerçant leur mission de contrôle, sont d’accord pour donner des moyens à la lutte contre la criminalité. Le débat n’est pas là, assurent-ils. «S’attaquer aux gens qui demandent de l’aide, ce n’est pas la même chose», compare l’ancienne ministre.

Paulette Lenert avait interpellé le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, à ce sujet, attendant des réponses de sa part sur le respect de l’État de droit. Elle n’a pas été déçue. Le commissaire a été tout aussi clair pour dire que les institutions devaient montrer l’exemple et respecter les décisions de justice.

«Comment demander aux gens de respecter les tribunaux si les décideurs politiques s’en moquent ?», interroge encore l’ancienne ministre.

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