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Féminicide à Differdange : l’auteur de retour face aux juges pour harcèlement


Raymond a été reconnu coupable du meurtre de son épouse. Il continue pourtant de clamer son innocence dans une somme de courriers dont sa famille aimerait pouvoir se passer. (photo archives LQ)

Les lettres écrites par Raymond à ses proches depuis sa cellule témoignent-elles du désespoir d’un homme ou constituent-elles un harcèlement ? Le tribunal va devoir trancher.

Raymond est de retour face aux juges. En janvier dernier, le septuagénaire a été condamné à de la prison à vie pour le meurtre de son épouse dans la nuit du 7 au 8 novembre 2019 dans leur appartement de Differdange. Il l’aurait étouffée pendant son sommeil, mais continue pourtant de nier l’évidence, écrivant des centaines de lettres à ses proches, entre autres pour tenter de les convaincre de son innocence.

Sa version des faits avait évolué au fil de l’enquête et Raymond avait notamment prétendu avoir entendu des voix ou que son fils avait commis le meurtre. Ses revirements, les lettres et leur contenu équivoque ainsi qu’une première tentative d’attenter à la vie de son épouse ont mis à mal sa crédibilité. Le septuagénaire comparaissait hier face à la 9e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg dans trois dossiers, tous en relation avec sa correspondance.

Des lettres, Raymond en a rédigé pas moins de 1 506 entre janvier 2021 et jeudi. Un chiffre vertigineux, symbole du désœuvrement d’un homme à la personnalité complexe. Ces lettres ont-elles été écrites pour rétablir sa version des faits, clamer son innocence, régler des affaires comme la succession de son épouse, influencer les témoins de son procès, conserver le contrôle ou un lien avec les siens, les protéger ou leur nuire ? Seul Raymond le sait.

«Chaque lettre réveille ce qui s’est passé»

Le fait est que toutes les lettres reçues par ses proches sont autant de couteaux dans une plaie qu’il empêche de cicatriser. «Il a écrit à ma fille, à ma nièce, à ma femme, à ma commune de résidence, à mon agent d’assurance, à mon médecin, à mon employeur…», énumère son fils à la barre de la 9e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, désignant deux énormes classeurs. «Chaque lettre réveille ce qui s’est passé. Je ne veux plus avoir de contact avec lui.»

Jusqu’à fin mai de cette année, le fils de Raymond recevait jusqu’à trois ou quatre lettres par semaine. Les missives s’accumulent et sont perçues comme du harcèlement ou des moyens de lui nuire. Autant de bouteilles à la mer qui restent sans réponse. Raymond s’acharne, passe outre les interdictions. La justice en a intercepté une bonne partie, mais certaines lui ont valu de devoir comparaître une nouvelle fois pour harcèlement, insubordination de témoins et diffusion de contenu pornographique. La dernière en date était adressée à l’ombudsman pour les droits de l’enfant pour tenter d’obtenir un huis clos finalement refusé par le tribunal hier.

«Votre famille n’est pas en mesure de recevoir vos courriers pour le moment. Chaque lettre, même si vous dites ne pas penser à mal en les écrivant, leur fait du mal», explique la présidente de la chambre correctionnelle à un Raymond en pleurs à la barre. «Si vous aimez votre famille autant que vous le dites et que vous voulez la protéger, vous allez devoir prendre sur vous et arrêter d’écrire.» Un crève-cœur pour cet homme qui semble totalement perdu dans ses contradictions et qui continue de clamer son innocence au point d’avoir fait appel de sa condamnation.

Harcèlement ou désespoir ?

Ce sont justement ces contradictions qui empêchent son fils et le parquet de s’émouvoir. Comme à chaque fois qu’il a été interrogé par le tribunal, Raymond a créé le malaise. En pleurs, il jure n’avoir jamais pensé à mal en écrivant ces courriers, certains de plus de dix pages. Le substitut principal du procureur rétorque que toutes les lettres ont un lien avec le meurtre de son épouse et sont truffées, malgré les bonnes intentions, de piques ou de ce qui peut être perçu comme des menaces à l’égard de sa famille. «On trouve tout et son contraire dans ces courriers, mais la majorité d’entre eux se ressemblent. Il est difficile de ne pas conclure au harcèlement», estime-t-il.

Raymond est également suspecté de tentative de subordination de témoins – des amis et sa sœur – par le biais, encore et toujours, de courriers pour tenter d’influencer leurs témoignages lors de son premier procès. Dans une lettre adressée à son fils intitulée «Pourquoi mens-tu ?», Raymond accuse son fils d’avoir menti aux enquêteurs et le menace de dire des choses négatives à son sujet s’il maintient sa version, explique la présidente. Raymond est également suspecté d’avoir envoyé un courrier à caractère pornographique à l’une de ses petites-filles. Il a heureusement été intercepté par le juge d’instruction. «Il doit comprendre qu’il use tout le monde, de sa famille au parquet», a noté le substitut principal du procureur, avant de requérir une peine de deux ans de prison pour «harcèlement au plus haut niveau», une amende et la confiscation de son ordinateur et de son imprimante.

L’avocate de Raymond, Me Lynn Frank, qui a six classeurs pleins de missives du prévenu, invoque «son caractère organisé à l’extrême» et son besoin de communiquer sa perception des choses pour expliquer cette boulimie épistolaire. Elle plaide en faveur de l’acquittement sur toute la ligne du prévenu et demande au tribunal de considérer Raymond comme «un homme désespéré qui se bat pour prouver son innocence». Il n’aurait pas rédigé ces lettres dans le but de nuire, martèle-t-elle.

Le prononcé est fixé au 13 octobre prochain.

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