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[Critique théâtre] Deux petites dames vers le Nord


Les deux sœurs ne s’interdisent rien durant ce «road trip» déjanté. (Photo DR)

Pierre Notte, l’un des auteurs français les plus joués en France débarque enfin au Luxembourg avec Deux petites dames vers le Nord, dans une mise en scène de François Camus.

Dès les premières répliques, la sentence tombe : «Le théâtre, c’est l’enfer !» Il faut dire que la seule soirée où Annette et Bernadette ont réussi à s’échapper du chevet de leur mère, c’est pour aller voir cette pièce d’Harold Pinter qui se déroule dans un hôpital. Bonjour l’ambiance… Mais les deux sœurs ne se laissent pas décourager : pour briser l’ennui, elles se moquent de la pièce, des gens du public et des comédiens. Pourquoi les acteurs qui jouent des frères, au théâtre, ne se ressemblent-ils jamais, se demandent-elles. Silence. Elles se regardent.

C’est vrai qu’entre Valérie Bodson et Valérie Geoffrion, on a du mal à voir un supposé lien de parenté, mais la complicité sans faille, dans la joie comme dans la colère, qui règne entre la petite blonde et la grande brune n’a guère besoin de plus que ces quelques premières minutes pour conquérir le spectateur et les rendre crédibles en frangines.

C’est bien sûr pendant leur seul soir de liberté que la mère, 97 ans, casse sa pipe. Direction le crématorium, et voilà les deux sœurs libérées d’un poids, si ce n’est celui de la boîte à gâteaux contenant les cendres de maman. Disperser les restes, c’est aussi l’occasion d’entreprendre un voyage. Mais où ? Annette rêve du nord de la France, d’Amiens… La destination est loin de faire véritablement rêver, mais elle semble somme toute logique : c’est là – plus ou moins – qu’est enterré leur père, mort quinze ans plus tôt. Il faut bien lui annoncer la nouvelle, à lui aussi… Et les deux sœurs d’embarquer à bord du seul véhicule mis à leur disposition, un car de 60 places, pour rejoindre le Nord et y trouver la tombe du père.

La succession de vignettes courtes fait mouche, comme l’humour débridé et, occasionnellement, joyeusement vulgaire

Pierre Notte est l’un des auteurs français les plus joués en France, il débarque enfin au Luxembourg avec Deux petites dames vers le Nord, dans une mise en scène de François Camus. La succession de vignettes courtes fait mouche, comme l’humour débridé et, occasionnellement, joyeusement vulgaire. Ces deux petites dames, sandwiches au thon dans le sac et en route pour une dernière mission familiale, évoluent dans des lieux pas franchement marrants, de l’hôpital à la tournée dominicale des cimetières, mais elles y insufflent une force vitale qui fait oublier la tristesse du décor. Comme ce bar-karaoké bloqué dans les années 1980… Ce sera toujours l’occasion de dynamiter l’ambiance en invitant un ado à danser le slow de La Boum ou de prendre le micro pour se lancer dans l’interprétation d’une chanson paillarde.

On l’aura compris, les deux sœurs ne s’interdisent rien durant ce «road trip» déjanté. La véritable star de la pièce, c’est le texte, érigé en un monument de rigolade par les «deux Valérie», qui inventent leurs propres slogans, défient les lois de la sécurité routière et nous servent leurs bêtises, dites et faites, sur un plateau d’argent, y compris dans des moments supposément chargés d’émotion. Au crématorium, par exemple, quand l’une demande à l’autre de dire un mot à la mémoire de la défunte mère : «Il fait chaud… T’aurais pas une cigarette?»

Un timing comique impeccable

Mais derrière leur exubérance, une forme de tristesse semble ne jamais vouloir quitter ces deux sœurs qui ne parlent que du passé, des bons et des mauvais souvenirs. Qu’elles se chamaillent, qu’elles improvisent des jeux à deux ou qu’elles se consolent, Annette et Bernadette, derrière leur apparence de vieilles filles, n’ont jamais vraiment quitté l’enfance.

Alors, devant un tel «two women show», dont l’effet est complété par l’impeccable timing comique des comédiennes, la mise en scène avait tout intérêt à rester sobre. Ce qui n’empêche pas François Camus de s’amuser de petites trouvailles : oui, la scène est jonchée de petites colonnes qui ont tout l’air d’être des supports pour urnes funéraires. Et oui, la pièce maîtresse de la scénographie est bien une urne géante, assurant que toute la pièce se jouera à l’ombre d’une ambiance funèbre.

Mais, en réponse à l’humour explosif du duo sur scène, il laisse l’absurde guider l’usage du décor. Cette urne funéraire haute de trois mètres devient ainsi leur véhicule, et s’improvise même d’autres fonctions. Mieux encore : la petite scène de l’Ariston s’ouvre quand les sœurs cherchent la tombe du père et incluent le public dans leur jeu, très drôle, d’imitations des meilleures épitaphes. Tout ici fonctionne. Valérie Bodson et Valérie Geoffrion sont à l’origine de cette création, ayant demandé à François Camus de la mettre en scène pour elles. Et l’on ne peut qu’aimer cette «pièce de copines»…

Deux petites dames vers le Nord de Pierre Notte. Mise en scène François Camus. Avec Valérie Bodson et Valérie Geoffrion. Durée 1 h 20 Lieu Ariston – Jusqu’au 4 mai

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