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[Vidéo] Claude Lammar : «Je suis le premier à avoir attaqué l’État sur le glyphosate»


«J’ai eu une chimiothérapie qui m’a beaucoup diminué, mentalement et physiquement, car on est presque comme mort.» (photos Alain Rischard)

Alors que la vente du glyphosate vient d’être prolongée jusqu’en 2033 dans l’UE, Claude Lammar, ex-jardinier au Kirchberg, se remet tout juste d’un cancer et d’un procès causés par l’herbicide.

Pendant des années, Claude Lammar a pulvérisé du Roundup pour le Fonds Kirchberg. Après avoir demandé, en vain, des masques à ses supérieurs, le jardinier-paysagiste contracte un cancer des testicules à 48 ans, dont la chimiothérapie le force à rester en arrêt 52 semaines de suite, ce que lui reproche son employeur qui le licencie.

En tant que fonctionnaire, l’ex-employé ne bénéficie pas non plus d’un reclassement de poste qu’il exige.

Il décide alors de porter plainte contre l’État pour que son cancer soit reconnu comme maladie professionnelle, pour le caractère abusif de son licenciement ainsi que pour la négligence de ses responsables. Autant de combats dont il sortira vainqueur au tribunal en 2017.

 

Comment avez-vous été au contact du glyphosate ?

Claude Lammar : J’ai travaillé en tant que jardinier-paysagiste pour l’urbanisation du plateau du Kirchberg pendant 16 ans et durant 6 ans, on a pulvérisé énormément de Roundup, du glyphosate, pour enlever des mauvaises herbes. Souvent, on faisait cela la nuit, pour que les gens qui travaillent en journée ne nous voient pas pulvériser. C’était pratiquement en cachette.

On était trois, toujours les mêmes et on pulvérisait entre 1 500 et 2 000 litres par nuit, de 8 h du soir à 8 h du matin. Et cela, trois à quatre fois par année, pendant 4 ou 5 nuits de suite. Et on n’avait pas de protection. Pas de masques, rien. Chaque fois qu’on demandait des protections, on nous disait que dans le temps, dans les vignobles, on pulvérisait aussi au Roundup et personne n’avait de protection. À l’époque, il n’y avait pas d’articles sur les dangers, personne n’était directement malade, donc on a cru les chefs.

Et voilà, les deux autres personnes sont aussi tombées malades, l’une d’elles au niveau du cœur et l’autre au foie. Fin 2023, ils ont été malades tous les trois. Par contre, eux n’ont jamais porté plainte contre le patron ni l’État. Ils étaient plus jeunes que moi, qui avais 48 ans, donc ils avaient peur de perdre leur travail, car il leur restait dix ou quinze ans à faire.

Pourquoi avez-vous décidé de porter plainte contre votre employeur?

Parce que j’ai eu un cancer des testicules, provoqué par le glyphosate et qui a entraîné mon licenciement. C’est un cancer qu’on arrive facilement à soigner, mais qui demande quand même une chimiothérapie après l’opération. J’ai eu de la chimiothérapie pendant près de 4 mois et cela m’a forcé à rester longtemps à la maison, en arrêt maladie, pour récupérer.

Finalement, au mois de mars 2014, après avoir déposé ma dernière semaine d’arrêt maladie à mon chef, je lui ai dit que je comptais reprendre mon travail après cet arrêt. Mais, cette même semaine, je reçois ma lettre de licenciement.

C’est à cause d’une loi qui dit qu’après 52 semaines d’arrêt maladie d’affilée, on est licencié. Mais quand tu travailles pour l’État, on devait être reclassé. Ils auraient dû me déplacer dans un bureau ou au magasin de pièces détachées par exemple. J’étais même prêt à reprendre mon travail, juste un peu moins dur. Au lieu de tailler des haies, j’aurais enlevé des mauvaises herbes.

Mais non, ils m’ont licencié. Je n’ai pas compris, surtout que deux ans avant, un autre ouvrier a été en arrêt maladie permanent pendant trois ans et on ne l’a pas licencié. Et c’était rétroactif : ils voulaient que je rembourse ma paye depuis décembre 2013.

À ce moment-là, j’ai alors contacté l’avocat Jean-Jacques Schonckert et on a décidé d’aller au tribunal pour m’avoir licencié et pas replacé. Je crois qu’ils étaient vraiment perplexes au début, ils ne pensaient pas que j’allais le faire. Je suis le premier à avoir attaqué l’État sur le glyphosate.

Mon avocat m’avait dit : « Tu as perdu ton travail, ils ne te reprendront jamais donc tu n’as plus rien à perdre, c’est fini. » J’avais quand même peur que cela ne donne rien, mais au final, on a gagné : j’ai été indemnisé avec une pension et je n’ai pas eu à rembourser les quatre mois de salaire. Le tribunal a bien reconnu que c’était une maladie professionnelle, liée au Roundup.

Comment avez-vous vécu cette période?

Au début, c’était très dur d’être licencié à 48 ans. Qu’est-ce que je vais faire à la maison ? Alors, j’ai été voir l’Adem afin de trouver un nouveau travail. Mais le directeur m’a dit : « Vous, après 20 ans de travail à l’État, à 48 ans, avec un cancer, vous n’aurez plus de travail. Restez à la maison, mettez-vous en retraite. » On m’a vraiment barré la route et ça m’a vraiment tiré vers le bas. J’ai donc dû rester à la maison et j’ai essayé de trouver des distractions à gauche et à droite, comme refaire mon jardin. Jardinier, c’est un métier que j’aime toujours. Même quand on part en voyage, je ramène toujours des graines pour les planter à la maison. Chez moi, j’ai un jardin de 2 500 m2. Et il n’y a que du bio (il rit).

Aujourd’hui, ça va mieux, même si j’ai encore des séquelles de la chimiothérapie. Tous mes organes ne fonctionnent pas comme il faut. J’ai notamment beaucoup de mal avec mes poumons, en montant les escaliers ou en marchant un peu vite par exemple. Avec l’estomac aussi. J’ai toujours les impacts sur ma santé. Bon, maintenant, je fais mon possible, j’essaye encore de faire mon jardin et d’aller marcher dans les bois quand je peux. Je suis heureux d’avoir fait ma chimiothérapie, cela m’a sauvé la vie, car le Roundup aurait pu me tuer.

Quelle a été votre réaction face à l’annonce de la prolongation de la vente du Roundup pour dix ans dans l’UE?

Je suis fâché face à nos instances qui autorisent encore ce produit cancérigène. Cela me fâche parce que ce ne sont pas les gens qui comptent dans l’affaire, seulement les grosses boîtes. Si on lit les articles, si on fait les recherches, on sait que le glyphosate a commencé avec Monsanto et que c’était un déchet qui aurait dû être recyclé, mais contre beaucoup d’argent.

Alors, ils ont essayé de revendre leur produit. Maintenant, c’est Bayer qui détient Monsanto et si Bruxelles interdit le glyphosate en Europe, il y aura environ 20 000 personnes qui seraient mises au chômage. C’est pour cela, à mon avis, que Bruxelles ne fait rien. Il n’y a que l’argent qui compte, pas les gens.

Aux États-Unis, beaucoup de gens ont attaqué Monsanto et ont gagné leur procès. Mais ici au Luxembourg, on ne peut pas les attaquer, ils sont protégés. Même en France, certains les ont attaqués au tribunal. Je trouve ça dommage, car je l’aurais fait sinon.

Pour mes trois enfants, c’était dur que papa soit malade et sans travail

Vous avez senti de la pression extérieure lors de votre procès?

Oui, dès le début. Quand j’ai annoncé le procès, les chefs cantonniers ont dit à toutes les équipes de se taire et de dire qu’elles ne savaient rien. Ils ont mis la pression sur tous les ouvriers, sur les 25 qui savaient ce qu’on faisait. Et le premier jour, ils ont tous vidé le Roundup qui restait au magasin. Alors, pendant les perquisitions au dépôt, ils n’ont rien trouvé. Toutes les factures ont aussi été éliminées.

Puis, au tribunal de l’assurance accident, on a toujours rejeté ou nié que j’étais malade à cause du glyphosate. C’est pour cette raison que cela m’a pris presque 4 ans. Tous les ans, avec Jean-Jacques (NDLR : Schonckert, son avocat), on allait au tribunal deux ou trois fois. Donc, on a fini au tribunal « normal«  qui a déclaré que l’assurance accident ne pouvait pas prouver que ce n’est pas à cause du glyphosate que j’ai eu un cancer; alors c’était une maladie professionnelle.

Même mon urologue était énervé parce que je voulais que ce soit reconnu comme un accident de travail. Quand je suis venu pour un examen et que je lui ai dit que je passerais au tribunal, il m’a dit : « Si tout le monde vient ici avec un cancer des testicules et veut attaquer son patron au tribunal, ça ne va pas aller.«  Alors qu’au début, il me traitait normalement. Je pense que c’est parce qu’il a traité beaucoup de gens avec ce cancer, surtout des fermiers, car eux en ont aussi pulvérisé beaucoup, et il ne voulait pas d’ennuis.

«Je garde encore le jardinage comme passion, j’en ai un grand à la maison dont je prends soin et tout est bio.» Photos : alain rischard

 

Quel regard vous portez aujourd’hui sur le chemin parcouru, de la chimiothérapie au procès?

Au début, j’étais fâché de tomber malade, puis j’étais fâché contre la chimiothérapie, puis contre mon licenciement et finalement, avec la pension que j’ai eue, j’ai fini par accepter. Mais le moral était au point zéro. C’est dur pour quelqu’un qui a toujours aimé travailler dehors et qui, d’un coup, n’a plus rien. Pour mes trois enfants, c’était dur que papa soit malade et sans travail, ils étaient à l’université et au lycée et ils se posaient des questions : « Qu’est-ce qu’il va devenir ? Est-ce qu’on a assez d’argent ?« .

Aujourd’hui, je réalise que j’ai de la chance. Même s’il y a dix ans, je ne pensais pas que le glyphosate allait changer ma vie comme cela. Déjà, je suis content d’avoir eu Maître Schonckert comme avocat, car un autre n’aurait certainement pas eu la patience pour me sortir de là. J’aurais pu gagner plus, mais pour 1 000 ou 2 000 euros de plus, ça ne sert à rien que ça dure encore des mois. Je suis content du procès quand même et j’ai recommandé et je recommande encore à mes deux collègues de le faire aussi. Même si je sais qu’ils ont un travail à perdre.

En tout cas, on va dire que maintenant j’ai tourné la page, je ne suis plus en colère. Je me porte assez bien pour pouvoir me dire que j’y ai échappé. J’ai 59 ans maintenant et je suis content d’être en vie et d’avoir du temps pour ma famille, ma femme, mes trois enfants et mon jardin. C’est le plus important.

Repères

Travail. Claude Lammar devient jardinier-paysagiste pour le Fonds Kirchberg en 1996. Pendant six ans, il pulvérise des milliers de litres de Roundup sans protection.

Maladie. En février 2013, un dépistage lui annonce qu’il a un cancer des testicules. Il subit une opération, suivie d’une chimiothérapie de 4 mois qui l’oblige à se mettre en arrêt maladie.

Licenciement. Il est licencié en avril 2014 pour avoir été en arrêt maladie pendant plus de 52 semaines consécutives.

Procès. Avec son avocat, il entame une procédure judiciaire afin que son cancer soit reconnu comme maladie professionnelle, pour contester son licenciement et pour la négligence de ses responsables.

Délibération. En avril 2017, le tribunal lui donne raison et l’indemnise avec une pension.

Un commentaire

  1. Chapeau pour M. Lammar et son avocat. Espérons que son action fasse tâche d’huile!

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