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[Cinéma] «Three Thousand Years of Longing», George Miller au bout du conte


Face à Tilda Swinton, George Miller promet «un djinn comme on ne l’a jamais vu», «plus vulnérable, plus humain», incarné avec beaucoup d’émotion par Idris Elba. (Photo : metro-goldwyn-mayer)

Dans son nouveau film, le réalisateur de la saga Mad Max met en scène la rencontre entre une spécialiste de la littérature et un génie prêt à lui exaucer trois vœux. Une tornade visuelle qui recèle un grand film sur l’amour et l’art du récit.

Du pouvoir des histoires naît l’amour. C’est le terrain inattendu sur lequel nous embarque George Miller, cinéaste australien visionnaire et génial, au nom éternellement lié à la saga post-apocalyptique Mad Max, et dont le nouveau film, Three Thousand Years of Longing, troque les déserts australiens et le hurlement des dragsters pour l’intimité d’une chambre d’hôtel stambouliote. C’est là que séjourne Alithea (Tilda Swinton), «narratologue», de passage à Istanbul pour donner une conférence.

Satisfaite de sa vie bien remplie, qui lui réserve quelques surprises – dans son hôtel de luxe, on lui réserve la «suite Agatha Christie», celle-là même où l’écrivaine anglaise s’est enfermée pour écrire Le Crime de l’Orient-Express –, elle reste extrêmement seule et porte un regard étonnamment sceptique sur le monde. En ramenant dans sa chambre une lampe chinée dans un bazar, elle libère un djinn (Idris Elba) qui peut lui exaucer trois vœux. Face à une Alithea méfiante de la fourberie légendaire des djinns, il lui raconte son passé, ce à quoi l’érudite va répondre par sa propre histoire…

Romantique et fantastique se mélangent

Three Thousand Years of Longing se déroule comme un conte, selon le choix de narration fait par la protagoniste elle-même, qui soutient qu’en racontant cette même histoire sur le mode réaliste, personne ne la croirait. Après Mad Max : Fury Road (2015), George Miller, cinéaste qui se dit «toujours en recherche», plonge, en les mélangeant, dans les genres romantique et fantastique, en adaptant un conte qui l’a longtemps accompagné, Le Djinn dans l’œil-de-rossignol (1994), de l’écrivaine britannique A. S. Byatt.

«Cette nouvelle explorait de nombreux mystères et paradoxes de l’existence, de manière très ramassée», explique George Miller dans le dossier de presse du film. «Ce récit était singulier et inclassable et il répondait à une de mes exigences : il était d’une complexité et d’une profondeur dont on n’a pas forcément conscience au premier regard (…) La narration fourmille d’intrigues secondaires, un peu comme Les Mille et Une Nuits

Une intrigue sur 3 000 ans

Singulier, inclassable : du George Miller tout craché, lui qui s’est aventuré, toujours en frisant la perfection, du côté du drame médical (Lorenzo’s Oil, 1992), du cinéma familial (Babe, 1995, dont il signe le scénario) et du cinéma d’animation musical (Happy Feet, 2006). Et livre donc l’antithèse parfaite du survitaminé quatrième volet de Mad Max : «Alors que Fury Road se déroulait essentiellement en extérieur, ce film se passe surtout en intérieur. Fury Road était très peu bavard tandis que, dans ce nouveau film, l’action passe beaucoup par les échanges entre Alithea et le djinn. Fury Road était circonscrit à une temporalité réduite : trois jours et deux nuits. Ici, l’intrigue se déroule sur 3 000 ans».

Trois millénaires qu’a traversés le génie, en grande partie en restant prisonnier d’une lampe, piégé par des mésaventures amoureuses. L’amour, d’abord, qu’il a pour la reine de Saba; 2 500 ans plus tard, c’est en venant en aide à une esclave, amoureuse de l’héritier du trône du sultan ottoman Soliman le Magnifique, qu’il est de nouveau enfermé dans une lampe. Enfin, c’est l’amour fou que le djinn éprouve pour Zefir, une savante, qui tournera à la catastrophe. Le personnage est «un djinn comme on ne l’a jamais vu», affirme George Miller. «Il est plus vulnérable, plus humain. Il est constitué d’un « feu subtil » – ce qu’on appelle aujourd’hui électromagnétisme – et sa présence est très étrange dans le monde moderne qui, d’ailleurs, représente une menace pour lui.»

On devrait plutôt dire Homo narrans que Homo sapiens (…) nous sommes davantage des singes qui racontent des histoires que des êtres épris de sagesse

Il s’agit là d’un grand film sur l’amour, ainsi que sur l’art du récit. Les premiers mots que s’échangent Alithea et le djinn sont d’ailleurs prononcés en grec ancien, renvoyant aux origines mêmes de la littérature. Pour Idris Elba, le djinn «raconte ses histoires à Alithea pour lui expliquer d’où il vient et la convaincre de formuler trois vœux, mais, en réalité, pour lui, c’est une forme de thérapie». Dans le film, il affirme à la narratologue que «les histoires sont l’oxygène» des djinns, elles donnent du sens à leur existence. Tilda Swinton réfléchit dans ce sens : «Quelqu’un m’a dit un jour que l’on devrait plutôt dire Homo narrans que Homo sapiens, et que nous sommes davantage des singes qui racontent des histoires que des êtres épris de sagesse.

À moins que ce ne soit parce que nous sommes des conteurs que nous finissons par atteindre la sagesse». L’obsession de son personnage est de chercher «la vérité commune à toutes les histoires de l’humanité». Cette vérité commune n’est-elle pas l’amour, sous toutes ses formes? C’est le sentiment transmis par le face-à-face entre ces deux immenses acteurs au cœur du film. Dans tous les cas, avec Three Thousand Years of Longing, George Miller montre une fois de plus quel grand conteur il est, avec les mots comme avec les images, doublé d’un grand sage.

Three Thousand Years of Longing, de George Miller.

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