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Burkina Faso : toujours plus de crises à affronter pour les ONG


Yves Ouoba, directeur de l’ONG Tin Tua. (Photo : hervé montaigu)

Depuis 2015, le Burkina Faso est en proie à une grave crise sécuritaire en raison de la multiplication des attaques djihadistes sur son territoire. Un coup dur de plus pour ce pays, auquel les ONG telles que Tin Tua doivent faire face.

Présenté il y a peu encore comme un exemple de transition démocratique, le Burkina Faso, pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest qui compte quelque 21 millions d’habitants, est en proie depuis 2015 à des attaques djihadistes qui ne cessent de se multiplier et de s’étendre sur le territoire et ont déjà conduit à deux coups d’État en huit mois seulement.

Une insécurité et une instabilité politique qui ne sont pas sans conséquences sur ce pays pauvre, classé 182e sur 189 pays et territoires en termes d’Indice de développement humain (IDH) par le Programme des Nations unies pour le développement.

Plus de 1,7 million de personnes ont déjà été déplacées à l’intérieur des frontières burkinabé, dont 60 % d’enfants et de jeunes et 22 % de femmes. Un véritable défi pour les associations et organisations non gouvernementales (ONG), qui ont dû s’adapter face à une nette augmentation de personnes vulnérables auxquelles venir en aide.

Un accès aux services complètement annihilés

C’est le cas de l’ONG Tin Tua, dont le nom en gulmancema, une langue locale, signifie «Développons-nous nous-mêmes». Elle a été fondée en 1989 pour alphabétiser et accompagner l’autodéveloppement des villageois de la région de Gulmu (Est), avec une attention toute particulière portée aux femmes et aux jeunes.

Tout en continuant ses missions d’origine, l’ONG burkinabé, partenaire de longue date de Frères des hommes Luxembourg (FDH), a ainsi dû répondre en urgence à la crise humanitaire. L’insécurité et l’instabilité politique qui en a découlé (outre les putschs, les conseils municipaux ont été dissous au profit de délégations par exemple) ont en effet considérablement réduit, voire complètement annihilé, l’accès aux services sociaux de base : santé, éducation, assainissement…

Insécurité alimentaire

La perte des lopins de terre cultivables en raison des attaques et des départs forcés, couplée au changement climatique et aux attaques contre les convois, laissent en outre présager le pire : selon l’Unicef, 3,4 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire au Burkina, dont près de 700 000 enfants de moins de cinq ans. Quelque 160 000 femmes enceintes courent un risque de malnutrition aiguë.

«Tin Tua est une organisation de développement, mais avec la situation sécuritaire, nous nous sommes retrouvés à devoir intervenir sur l’urgence, à faire de l’humanitaire pour répondre à la famine, aux besoins d’hygiène de base, à l’assainissement, à faire de la protection», explique Yves Ouoba, directeur de Tin Tua, en visite de travail au Luxembourg. «Nous ne savions pas intervenir dans des zones avec des hommes armés. FDH nous a aidés à mettre en place un manuel de sécurité afin d’assurer une continuité d’action malgré tout.»

« Le développement ne doit pas s’arrêter »

Pas question pour autant d’abandonner la mission d’éducation que l’ONG s’est fixée : «Nous avons besoin de ne pas nous consacrer exclusivement à l’humanitaire, car le développement ne doit pas s’arrêter», souligne Yves Ouoba.  En plus d’une mission d’alphabétisation, «qui n’est pas une fin mais un outil», insiste Yves Ouoba, Tin Tua aide les jeunes à se former professionnellement, là encore dans une optique d’autodéveloppement.

«L’apprenant n’est pas arraché de son cadre de vie», précise-t-il. Les centres ouverts permettent donc de poursuivre l’éducation même lorsque les zones sont devenues inaccessibles au reste de la population. Accès à l’éducation et formation sont de surcroît un moyen, Yves Ouoba en est persuadé, de ne pas laisser les jeunes dans l’oisiveté et éviter leur recrutement par des groupes armés.

Paysans relais

De la même manière, Tin Tua a formé des paysans relais ou modèles, des fermiers qui appliquent sur leur propre exploitation des nouvelles techniques agroécologiques. «Leurs champs servent de modèles et les autres fermiers ne peuvent que constater les résultats. La méthode se propage grâce à l’adhésion de la population», se félicite Yves Ouoba.

Ces techniques sont enseignées depuis quatre ans pour faire face au changement climatique, déjà très visible au Burkina Faso, et prévenir l’insécurité alimentaire. «Soit il pleut énormément en un court laps de temps, soit il y a des poches de sécheresse. C’est très inégalement réparti et il est de plus en plus difficile de produire avec les anciennes méthodes et les semences non améliorées», témoigne le directeur de Tin Tua. Et vu le contexte actuel, «heureusement que la rentabilité des parcelles a été améliorée puisque les villageois disposent de moins de terres», ajoute-t-il.

Une décentralisation des compétences mise en place bien avant que l’insécurité ne gagne le pays et qui fait ses preuves dans la situation instable que traverse le Burkina Faso : Tin Tua, contrairement à beaucoup d’autres acteurs de terrain, a su s’adapter au contexte actuel et a pu continuer d’assurer nombre de ses missions. Ce qui aurait été impossible si les bénéficiaires avaient dû se déplacer dans des centres extérieurs à leur lieu de vie ou que les formateurs devaient eux-mêmes rejoindre les zones dangereuses. «Le contexte nous a donné raison», reconnaît Yves Ouoba.

tintua.org ; fdh.lu

L’UE «peu active» 

Si l’État luxembourgeois, notamment par le biais du ministère de la Coopération et du ministre Franz Fayot, se préoccupe à son échelle du Burkina Faso, Paul Delaunois, président de Frères des hommes Luxembourg, déplore vivement le manque d’engagement de la communauté internationale en général, et de l’Union européenne en particulier, pour soutenir le Burkina. «L’UE n’est pas très active à ce sujet… Or, si on ne fait rien, d’autres s’occuperont du Burkina Faso, qui n’ont pas les mêmes intentions, ni les mêmes valeurs.»

La désinformation sur les réseaux sociaux participe déjà à faire miroiter à la population, en proie à un sentiment d’abandon et prête à se raccrocher au moindre espoir d’une porte de sortie, que la solution pourra venir de groupes tels que les mercenaires de Wagner. Lors du dernier putsch, des drapeaux russes ont même été brandis par des Burkinabés.

« Ce ne sont pas des gens de l’extérieur qui vont défendre le Burkina »

Le Burkinabé Yves Ouoba n’est pas complètement opposé à une intervention de la communauté internationale sur le territoire, malgré l’expérience française au Mali. Pour lui, la colère malienne à l’égard de l’armée française s’explique par le manque de résultats de cette dernière. «Il y a ce sentiment que si la France avait vraiment voulu, elle aurait fait quelque chose», résume-t-il.

Mais au fond, «ce ne sont pas des gens de l’extérieur qui vont défendre le Burkina, l’armée doit défendre son propre territoire. Le mieux serait de mettre en place des collaborations qui renforcent les capacités techniques et logistiques de l’armée burkinabé – envoyer des drones par exemple plutôt que des soldats étrangers», estime-t-il à titre strictement personnel.

Surtout, insiste-t-il, la communauté internationale doit veiller à ce que le droit international humanitaire (DIH), qui vise à protéger les civils dans les guerres, ne soit pas oublié : «La majorité des personnes qui tombent au Burkina sont des civils qui ne sont pas partis au conflit. Il faut trouver un moyen de sensibiliser les acteurs armés pour qu’ils respectent au maximum le DIH.»

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