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[BD] Le scandale du Mediator, entre documentaire et polar


En mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris avait condamné Servier pour «tromperie aggravée» et «homicides et blessures involontaires» à 2,718 millions d'euros d'amende. (Photo : delcourt)

«Ça a toutes les allures d’un polar, sauf que tout est vrai !» Après le film, les livres et la pièce de théâtre, le scandale du Mediator se raconte dans une bande dessinée haletante et didactique, sous la plume de la lanceuse d’alerte Irène Frachon.

« La vraie histoire factuelle de A à Z n’avait jamais été écrite », assure Irène Frachon, pneumologue à l’hôpital de Brest-Carhaix (Finistère) et qui avait révélé en 2010 le scandale du Mediator, six mois à peine après le retrait de la vente du médicament. Intitulée Mediator, un crime chimiquement pur, cette BD, qui paraîtra le 4 janvier, a été écrite avec l’ancien journaliste Éric Giacometti et dessinée par François Duprat. Elle entreprend de retracer non seulement l’histoire du Mediator mais aussi celle de son fabricant, les laboratoires Servier, et d’un autre de ses médicaments interdit dans les années 90 : l’Isoméride.

«C’est un crime industriel qui se noue dans les années 1960 : Servier invente une série de coupe-faim dérivés de l’amphétamine. Et, malgré des signes de dangerosité qui apparaissent très rapidement, Servier va tout mettre en œuvre pour empêcher le retrait de ces coupe-faim parce que ce sont des produits extrêmement rentables», raconte Irène Frachon.

Une affaire qui fait pschitt en France

Mis sur le marché en 1976 pour le traitement du diabète, mais largement détourné comme coupe-faim, le Mediator a été prescrit à environ cinq millions de personnes jusqu’à son retrait en novembre 2009. C’est en découvrant la similitude du Mediator avec l’Isoméride que la pneumologue se rendra compte de sa dangerosité. Car «en réalité, l’Isoméride et le Mediator, c’est la même chose. Ils libèrent dans l’organisme le même poison. Servier le savait et l’a dissimulé», souligne Irène Frachon.

Le scandale de l’Isoméride, retiré du marché en 1997, fit grand bruit aux États-Unis. Mais en France, l’affaire «a fait pschitt au grand dam d’un journaliste du Parisien, Éric Giacometti», auteur de plusieurs articles sur le sujet, poursuit-elle. C’est de leur rencontre qu’est née l’idée de la BD. Devenu auteur de polar et scénariste de Largo Winch, Éric Giacometti a contribué à donner un rythme à ce récit de 200 pages émaillé d’explications médicales et scientifiques qui auraient pu le rendre rébarbatif.

L'histoire

En 2007, au CHU de Brest, de nombreux cas d’atteinte cardiaque inexpliqués attirent l’attention de la pneumologue Irène Frachon. Ses recherches mettent en cause le Mediator, coupe-faim des laboratoires Servier, dont le principe actif avait conduit au retrait de l’Isoméride en 1997. Celui du Mediator sera effectif en 2009. Depuis, elle poursuit son combat pour l’indemnisation des milliers de victimes…

«Je vis cette affaire comme un polar depuis des années, mais je ne sais pas le raconter comme ça», confie Irène Frachon, qui précise cependant que «tout est factuel». «Il n’y a aucune place pour la fiction dans la BD», décrit-elle, en énumérant les «méthodes de barbouzes» de Servier et les «documents effrayants» issus de l’enquête pénale. «Cette histoire, ça fait 30 ans qu’elle me hante», raconte-t-elle encore, s’amusant au passage d’être «née avec l’affaire Servier», 1963 – son année de naissance – étant celle de la commercialisation du Pondéral, premier médicament coupe-faim des laboratoires Servier.

Ce «documentaire graphique» rappelle le rôle des médecins ayant soutenu Servier, mais aussi l’implication de tous ceux qui ont alerté sur la dangerosité du Mediator et aidé Irène Frachon dans son combat contre le laboratoire et les autorités sanitaires. «C’est très important de montrer le travail collectif qu’il y a derrière», souligne celle dont l’histoire a inspiré en 2016 le film La Fille de Brest, d’Emmanuelle Bercot.

Il n’y a aucune place pour la fiction dans la BD

Avec d’autres, ce scandale a contribué à miner la confiance du public dans les autorités sanitaires, alimentant complotisme et discours antivaccinal. Consciente de cette menace, la pneumologue prône, pour y remédier, une lutte drastique contre les conflits d’intérêts, qui restent «omniprésents encore aujourd’hui dans le monde médical». Elle plaide également pour une plus grande sévérité de la justice vis-à-vis de la criminalité en col blanc, alors que doit s’ouvrir le 9 janvier le procès en appel du scandale du Mediator. «On a affaire à un labo qui a vendu un poison mortel en toute connaissance de cause pendant plus de dix ans, avec des milliers de morts à la clé. Je pense que ça mérite des condamnations exemplaires», dit-elle.

En mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris avait condamné Servier pour «tromperie aggravée» et «homicides et blessures involontaires» à 2,718 millions d’euros d’amende et l’avait relaxé du délit d’escroquerie. Une peine bien inférieure aux réquisitions du parquet. Malgré son interdiction il y a 13 ans, des victimes continuent à mourir du Mediator. Comme Cathy, disparue en décembre, quelques semaines à peine avant la parution de la BD dans laquelle elle apparaît.

Mediator, un crime chimiquement pur, d’Éric Giacometti, Irène Frachon et François Duprat. Delcourt.

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