L’asile pour animaux de Gasperich n’est pas un terminus pour animaux abandonnés, mais une étape de repos avant un nouveau départ. Liliane Ferron, vice-présidente de la Lëtzebuerger Déiereschutzliga, s’engage à leur trouver la famille idéale.
Vacances d’été après vacances d’été, fêtes de fin d’année après fêtes de fin d’année, les vagues d’abandon se suivent et se ressemblent et les associations comme la vôtre recueillent des animaux, parfois au-delà de leurs capacités. Quelles sont les raisons de ces abandons ?
Liliane Ferron : La plupart des personnes ont souvent une bonne raison de devoir abandonner leur animal et n’ont souvent pas d’autre choix. Les problèmes de santé et les maladies des maîtres, les divorces, les allergies, les raisons financières, les départs en maison de retraite ou les déménagements en sont quelques-unes. S’ajoute que les propriétaires de logements s’opposent fréquemment à des locataires avec des animaux. C’est particulièrement terrible ici au Luxembourg. La loi n’interdit pourtant pas les animaux de compagnie dans les logements, mais certaines personnes se retrouvent dans une impasse faute de moyens et ne peuvent faire autrement que d’abandonner leur animal.
Ensuite, lors de certaines périodes de l’année, pendant les vacances par exemple, même si les cas ont diminué, nous remarquons que beaucoup de gens n’ont pas de cœur et se débarrassent de leurs animaux parce qu’ils deviennent un frein.
On nous amène souvent également des chats qui sont en fait ceux de voisins partis en vacances et pas du tout errants ou abandonnés. Ou des gourmands qui vont réclamer à manger dans le quartier. Nous les rendons à leurs propriétaires. Ou bien des bébés dont on croit qu’ils ont été abandonnés par leur mère alors qu’elle est juste partie chasser. Nous conseillons aux personnes qui nous les amènent d’attendre quelques heures et de s’assurer que la maman a bien disparu.
Une maison des chats est en construction sur votre site.
Oui. Elle nous permettra d’accueillir des mamans chats et leurs petits dans des cellules individuelles jusqu’à ce que les chatons soient en âge de se débrouiller seuls. Cela nous permettra de les stériliser sur le site pour les empêcher de se reproduire dans la nature. La plupart de ces chattes sont des chattes errantes. D’autres avaient des propriétaires qui ne souhaitent pas les récupérer ou qui nous les ont amenées ou les ont abandonnées sachant qu’elles attendaient des petits.
On dit qu’avant de prendre un chat ou un chien, il faut se mettre en tête qu’il va nous accompagner pendant 15 ou 20 ans. Il est pourtant difficile de se projeter aussi loin.
Cela fait aussi partie de notre rôle : conseiller les adoptants sur l’animal qui correspondra le mieux à leur mode de vie et les mettre en garde. Peuvent-ils se le permettre financièrement sur la durée? Ont-ils suffisamment d’expérience pour s’occuper de certaines races de chien? Certains de nos chiens ont besoin de beaucoup d’attention, n’aiment pas les enfants ou ne s’entendent pas avec les autres chiens du ménage ou avec les chats.
Avant de confier nos chiens et nos chats à l’adoption, nous menons une enquête pour nous assurer qu’ils seront bien dans leur nouvelle famille et qu’elle saura subvenir à leurs besoins. Les animaux se souviennent des expériences négatives passées. Ce n’est pas toujours qu’une question de temps pour que l’animal s’habitue à son nouveau foyer. Les procédures d’adoption ne sont pas simples. Nous ne garderions pas certains chiens aussi longtemps à l’asile si nous leur trouvions facilement les familles idéales qui leur correspondent. Certains sont ici depuis deux ans.
La plupart des personnes ont une bonne raison d’abandonner leur animal et n’ont souvent pas d’autre choix
Un animal adopté nécessite-t-il plus de patience et de temps ?
Ces animaux ont déjà eu une vie avant leurs nouveaux propriétaires, que nous ne connaissons pas nécessairement. À nous d’essayer de déterminer quel est le caractère de l’animal, quelles sont ses peurs… Avant de conclure un contrat d’adoption, nous laissons les animaux à l’essai dans les familles pendant une quinzaine de jours. Les adoptants peuvent se rétracter s’ils se rendent compte que cela ne se passe pas bien. Une fois le contrat conclu, si nous avons des doutes, nous pouvons effectuer des contrôles chez les nouveaux propriétaires et il arrive qu’on nous rende les animaux.
La plupart des chiens à l’adoption figurant sur les fiches à l’accueil du Déierenasyl sont de gros chiens de type berger ou de catégorie 3 (NDLR : des animaux susceptibles d’être dangereux, Staffordshire Bull Terrier, Mastiff, American Staffordshire Terrier ou Tosa). Des chiens qui ont besoin d’énormément d’espace, d’exercice et d’attention.
Ce sont les conséquences de la pandémie. Les gens avaient le temps et ont adopté. Aujourd’hui, la vie a repris son cours normal. Les parents retravaillent, les enfants sont retournés à l’école et les chiens passent dix heures seuls à la maison. Cela ne peut pas fonctionner. Ils s’ennuient et détruisent tout. Chaque chien ne convient pas à chaque situation. Idem pour les chats. Certains ont besoin de sortir, d’autres pas. Ils ont besoin d’un environnement particulier qui corresponde le mieux aux critères des races. Les bergers doivent bouger et être stimulés intellectuellement en permanence, par exemple.
Si je vous comprends bien, c’est aux propriétaires de s’adapter et pas à l’animal.
Nous essayons de le faire comprendre aux gens qui souhaitent adopter. Ils doivent le comprendre. Mais je dois dire que les gens commencent à intégrer le fait que les animaux domestiques ne sont pas des objets dont on dispose à l’envi. Ils adoptent de plus en plus en conscience. Il arrive que toutes les conditions idéales soient réunies, mais que l’animal ne se sente pas bien dans sa nouvelle famille.
Votre association et d’autres s’occupent des animaux de compagnie abandonnés, de les prendre en charge, de les soigner et de les placer dans de nouvelles familles. Que fait la politique? Ne se repose-t-elle pas un peu sur les associations? Un communiqué invitant les propriétaires de chats à stériliser leurs animaux a été diffusé dernièrement et cela s’est arrêté là.
Nous avons rencontré la ministre de l’Agriculture, Martine Hansen, qui s’est engagée énormément en faveur des animaux, à plusieurs reprises. Nous n’avons pas encore eu de retour sur les éléments abordés et sur d’éventuels travaux engagés par le ministère.
Cette campagne concernant les chats est très utile. Ce n’est pas la première. Le nombre de chats errants s’était stabilisé par le passé, mais leur nombre est à nouveau en hausse. Beaucoup de propriétaires ne pensent pas à faire stériliser leurs chats ou s’en moquent. Une chatte peut avoir deux portées par an. Elles sont fatiguées par les grossesses successives. La stérilisation évite la propagation de maladies, les maladies congénitales dues à la consanguinité, la pullulation de chats, les blessures de combats…
Comment contribuez-vous à cette politique ?
Il se peut que des ménages aient plusieurs chats et pas de moyens financiers suffisants pour les faire stériliser ou castrer. Ils contactent la Ligue nationale pour la protection des animaux (NDLR : l’ASBL Lëtzebuerger Déiereschutzliga) et nous essayons de trouver les moyens de les aider. Nous ne pouvons pas tout prendre en charge, nous sommes essentiellement financés par les dons, mais nous nous débrouillons pour prendre une partie de l’opération en charge ou en profitons pour faire poser des puces d’identification. Encore une fois, sans les dons et les subsides de l’État, nous ne pourrions pas nous le permettre.
D’ailleurs, les chiens et les chats adoptés à l’asile sont tous stérilisés ou castrés, vaccinés et pucés.
Votre travail ne devrait-il pas être professionnalisé ?
Oui, bien sûr. Tout comme il faudrait un asile supplémentaire ou permettre aux soigneurs de se former. Pour le moment, ils apprennent leur métier en trois ans en Allemagne. La structure de la protection des animaux est bancale. La loi, les peines… Il n’y a pas si longtemps, les animaux étaient encore considérés comme des objets par la loi et pas comme des êtres vivants. Ils méritent le respect autant qu’un humain.
D’où nos actions de sensibilisation dans les écoles et les lycées pour expliquer ce qu’est la protection animale, ce que cela signifie de s’occuper d’un animal de compagnie… dans l’espoir que les jeunes comprennent et retiennent ce que nous leur avons dit. Une majeure partie des personnes qui veulent adopter un animal ont heureusement pris conscience de ce que cela implique, mais il reste tout de même pas mal de personnes qui n’ont pas l’air de réaliser ce qui les attend.
Ils ne savent pas ce que sont un chien ou un chat, quels sont leurs besoins, comment ils vont devoir s’en occuper. Les parents craquent parce que leurs enfants veulent un animal de compagnie, mais ils n’ont pas le temps nécessaire à leur consacrer.
Que pensez-vous du permis de détention d’un animal de compagnie, instauré en Belgique notamment ?
Cela pourrait être une piste de réflexion à mener pour responsabiliser les propriétaires. Nous devrions être plus stricts, comme nos voisins. Mais il faut du temps et de la patience pour faire bouger les choses. Le débat a été long pour faire admettre que les animaux n’étaient pas des objets.
Prenez les chiens de catégorie 3. Ces chiens souffrent du fait qu’il faut un permis pour pouvoir les posséder. Ce sont des chiens tout à fait adorables sauf s’ils tombent entre de mauvaises mains qui réveillent leur nature combative et les poussent à devenir des armes. Heureusement, nous n’en avons pas beaucoup à l’asile. Certains d’entre eux passeront sans doute le reste de leur vie chez nous.
Nous ne les donnons pas à des personnes qui ne disposent pas du permis pour s’en occuper. Avant de les remettre à leurs familles d’adoption, nos experts les accompagnent lors des premières balades et les conseillent. Les chiens doivent aussi passer un examen pour être adoptables.
Qu’arrive-t-il aux chats ou aux chiens que vous ne parvenez pas à faire adopter ?
Nous n’avons pas beaucoup de place, mais nous les gardons avec nous. Il n’est pas question de les euthanasier. Nous n’avons recours à ce procédé que quand un de nos pensionnaires est atteint d’une maladie mortelle incurable – nous faisons toujours tout pour les soigner – ou quand un animal est très agressif au point de s’attaquer aux membres de notre personnel. Nous ne pouvons les confier à l’adoption. Il arrive qu’avec le temps et grâce au travail de nos soigneurs, les chiens s’adoucissent et passent outre leurs peurs, mais pour certains, il n’y a malheureusement rien à faire.
Vous êtes au seuil de vos capacités. D’autres asiles également. Où en est le projet d’asile pour animaux supplémentaire ?
Il serait bienvenu dans le nord du Luxembourg. Nous récupérons tous les animaux abandonnés dans cette région. Cela finira peut-être par arriver (…) et pourquoi pas, une structure publique.
Nous aimerions que des personnes plus jeunes prennent notre suite et s’engagent. Cependant, être bénévole, comme c’est mon cas, aujourd’hui, n’est pas donné à tout le monde à cause de nos styles de vie. D’où l’idée de la professionnalisation. Et puis, il faut parfois avoir le cœur bien accroché et savoir encaisser. À mes débuts, j’ai souvent eu du mal à croire ce que certaines personnes étaient capables de faire subir à des animaux. Je ne supporte pas la maltraitance animale.
Pensionnaires. En 2023, l’asile national a hébergé 663 animaux de compagnie : 323 chiens et 340 chats. Vingt employés, des vétérinaires aux soigneurs en passant par les secrétaires, sont aux petits soins pour les animaux de l’asile de Gasperich.
Aujourd’hui. L’aile des chiens atteint les limites de ses capacités. Elle comprend 76 cages et l’asile héberge 75 chiens. «Nous essayons toujours de conserver des cages libres pour les urgences, donc il nous arrive de devoir placer sur une liste d’attente les chiens que des personnes veulent nous confier», note Liliane Ferron. C’est plus variable en ce qui concerne les chats. L’asile dispose d’une quarantaine de places modulables en fonction des affinités des chats.
Chats. Depuis son ouverture en septembre 2012, l’asile pour animaux a accueilli à Gasperich plus de 4 000 chats. Pour tous les nouveaux venus, dix cages à quarantaine et huit petites cages mobiles ayant la même destination sont notamment à leur disposition. Dix cages et sept salles un peu plus grandes pour les familles félines vont être ajoutées dans la nouvelle annexe. De même qu’une salle de stockage, une cuisine pour préparer la nourriture et une buanderie.