Jour J pour le comité tripartite aviation : ce lundi, direction, ministres et syndicats doivent trouver comment sortir Luxair de la crise, alors que les salariés, à bout, se disent désormais prêts à lancer une grève.
Après deux ans d’efforts pour sortir la compagnie aérienne de la zone rouge (lire ci-dessous), les salariés de Luxair estiment qu’il est grand temps d’en finir avec le chômage partiel et le gel des salaires, des mesures instaurées au plus fort de la crise sanitaire alors que la reprise de l’activité était encore incertaine.
Mais le rebond ayant finalement dépassé les prévisions les plus optimistes, l’ensemble du personnel a été mis à rude épreuve ces derniers mois : entre charge de travail maximale, heures supplémentaires et travail les jours de repos, les 2 800 employés ont comblé, jusqu’à l’épuisement, les plannings à trous dus aux nombreux départs de collègues expérimentés – plus de 330 en deux ans.
Un ras-le-bol général
Des sacrifices à sens unique qui ont fini par nourrir une certaine frustration, alors que le chômage partiel a longtemps été maintenu, les privant d’une partie de leur revenu mensuel, et que le gel des salaires, consenti pour trois ans via la convention collective, freine considérablement la progression de leur carrière.
D’où un ras-le-bol général, à tous les étages et dans tous les services, et un écho positif à l’appel à manifester des syndicats OGBL, LCGB et NGL-SNEP, qui n’ont pas réussi à se faire entendre de la direction jusqu’ici, dénonçant un dialogue social «bafoué».
Une atmosphère chargée en électricité, jamais vue chez Luxair, qui laisse penser que la mobilisation de ce lundi matin pourrait être massive : «Les salariés sont motivés. C’est important pour tout le monde d’exprimer son désaccord, car ça fait des mois qu’on attend des actions et que rien ne se passe», rappelle Michelle Cloos, secrétaire centrale du syndicat Aviation civile de l’OGBL, qui mise sur davantage de participants qu’au dernier piquet en 2020, où 300 personnes s’étaient regroupées.
Dialogue de sourds entre les parties
Mais alors que les attentes du personnel sont à la hauteur de leur malaise, cette tripartite pourrait bien déboucher sur peu de chose, le ministre de la Mobilité ayant martelé que le conflit social interne ne serait pas à l’ordre du jour.
Pas de quoi stopper les représentants des salariés qui seront autour de la table : «C’est nous qui avons sollicité cette réunion, pour parler des conditions de travail et de rémunération. Ils pourront aborder la situation financière, cela ne nous empêchera pas d’énoncer nos revendications», prévient la jeune femme, déterminée, qui précise que les syndicats feront front commun.
«Il y a une très forte attente des gens, j’espère que les autres parties en sont conscientes. Il faudra des engagements», estime la secrétaire centrale. «S’ils refusent de nous donner des pistes de solutions, nous continuerons notre travail syndical, ce qui inclut des actions aussi nombreuses et dérangeantes que possible», annonce-t-elle, indiquant que la grève fait désormais partie des options soutenues par le personnel. «Les salariés sont prêts à aller aussi loin que nécessaire. Et cela vient d’eux, nous ne sommes que leur porte-parole.»
Une médiation entre direction et délégation du personnel
Tandis qu’un premier pas a été fait la semaine dernière, lors du conseil d’administration de LuxairGroup, qui a décidé de lancer une médiation entre direction et délégation du personnel, en présence du président et sous l’arbitrage de l’ancien procureur général d’État Robert Biever, Michelle Cloos soupire : «J’espère que ce n’est pas la seule mesure qu’on va nous annoncer, car ce serait largement insuffisant. On ne peut pas rester bloqués dans des mesures de crise alors qu’aujourd’hui la donne a complètement changé.»
En plus du respect du personnel et du retour à des conditions de travail acceptables, les syndicats réclament l’abandon définitif du chômage partiel vu la perspective actuelle : «S’il n’est plus appliqué pour l’instant, c’est parce que nous avons porté le problème au Comité de conjoncture. On n’accepte pas que cet instrument soit utilisé pour faire des économies tout en faisant travailler les équipes au maximum légal dès que c’est possible», dénonce-t-elle.
Une poudrière qui attendrait une étincelle
Quant au gel des salaires, qui concerne la convention collective et non le plan de maintien dans l’emploi conclu avec l’État, il est aussi dans le viseur : «On ne lâchera pas sur ce point. Sans ça, il sera difficile de parvenir à un accord.» Le ton est donné.
Alors que Luxair ressemble désormais à une poudrière qui attendrait une étincelle, cette troisième tripartite sectorielle aviation n’a pas d’autre choix que d’accoucher de décisions fortes pour apaiser les tensions.
Et le ministre ne pourra pas longtemps éluder le conflit social au seul prétexte que la compagnie aérienne serait une société privée comme une autre : elle ne l’est pas, elle appartient à l’État à plus de 39 % et on aurait du mal à comprendre que les standards sociaux n’y soient pas appliqués.
La santé financière de Luxair reste fragile
La pandémie a lourdement frappé le secteur de l’aviation et Luxair n’y a pas échappé : le groupe accuse une perte opérationnelle qui est passée de 8,7 millions d’euros en 2019 à 159,7 millions en 2020, puis à 33,7 millions en 2021, selon les rapports annuels. Avec la hausse de la productivité ces derniers mois, cette perte devrait se limiter à 5 millions d’euros en 2022, a annoncé le directeur général dans la presse.
Après un résultat net qui a plongé à -154,9 millions d’euros en 2020 avant de remonter à -2,9 millions en 2021, il prévoit ainsi un résultat positif cette année, à la faveur d’un dividende de 70 millions d’euros perçu grâce à Cargolux, dont Luxair détient 35 % des parts. Pour autant, le CEO estime que la situation restera compliquée jusqu’en 2025.
Vous pourrez suivre, en direct sur notre site et nos réseaux sociaux (Instagram et Twitter), cette manifestation inédite, dès ce lundi matin.