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[Théâtre] Marion Rothhaar : «Karen Carpenter était une martyre»


Marion Rothhaar donne des indications à ses deux comédiens, Fabienne Elaine Hollwege et Nico Delpy, durant les répétitions. 

Aux Capucins, Marion Rothhaar met en scène la vie de la «pop star» Karen Carpenter, morte à 32 ans des suites de son anorexie.

Des tubes doux-amers tels que We’ve Only Just Begun, Rainy Days and Mondays ou Yesterday Once More ont propulsé The Carpenters sur le devant de la musique pop américaine dans les années 1970. Emportée à 32 ans des suites de son anorexie, Karen Carpenter, moitié du duo que la chanteuse américaine formait avec son frère, Richard, est devenue une icône. Avec la pièce My Body Keeps Changing My Mind, produite par les Théâtres de la Ville et dont la première est programmée ce soir aux Capucins, la metteuse en scène allemande Marion Rothhaar (et coauteure, avec Raphael Urweider) plonge dans l’existence de la batteuse surdouée et chanteuse contrariée à travers deux personnages, «un homme et une femme qui veulent faire un biopic» de l’artiste. Sur scène, Fabienne Elaine Hollwege et Nico Delpy endossent les doubles rôles.

Ce que Karen et Richard Carpenter ont chanté, tout le monde peut le comprendre

Comment vous est venue l’envie de mettre en scène la vie de Karen Carpenter ?

Marion Rothhaar : C’est un ami punk qui m’a parlé des Carpenters; je n’avais jamais entendu leur nom mais je connaissais leurs chansons. Et, bien qu’étant une grande fan de Sonic Youth, je ne savais pas non plus que la chanson Tunic (Song for Karen) parlait de cette Karen-là. Je me suis immédiatement prise de fascination pour son histoire. Puis j’ai rencontré l’écrivain suisse Raphael Urweider, et on s’est plongé ensemble dans les textes et la musique des Carpenters, en trouvant des entrées pour retravailler les situations au théâtre : « We go on hurting each other, making each other cry » (Hurting Each Other), « Are we really happy with this game we play? » (This Masquerade)…

Après Corps au bout du monde, où vous racontiez les coulisses de votre première vie de gymnaste à haut niveau, vous livrez aussi une nouvelle réflexion sur le lien entre corps féminin, performance et recherche du succès…

Cette fois, on est dans le milieu de l’« entertainment« , mais les Carpenters aussi ont eu leur adolescence volée au profit de leur carrière : ils sont passés d’enfants à stars, sans avoir eu de jeunesse ni de liberté. L’élément clé du parcours de Karen Carpenter, c’est qu’elle était d’abord à la batterie – un hasard pour elle : l’enfant prodige, c’était son frère. Si elle avait eu la force de dire non au chant, on aurait sans doute été privé de cette voix magnifique, mais on aurait eu l’une des meilleures batteuses au monde, à un moment où les femmes n’étaient pas dans des groupes de musique. Son problème a commencé quand on l’a mise sur le devant de la scène et qu’elle ne savait pas trop comment se tenir sans ses baguettes…

Quant au sujet de l’anorexie, j’ai rencontré une jeune femme au Luxembourg qui m’a ouvert son cœur : elle faisait 32 kilos et a failli mourir pendant la pandémie. La connexion avec Karen Carpenter a été plus forte avec elle qu’avec tout le matériel que j’ai lu. On contrôle son poids et son alimentation à l’extrême quand on n’a le contrôle sur rien d’autre. Ce n’est pas rare : environ 10 % des personnes atteintes d’anorexie meurent de cette maladie.

Peu de temps après sa mort, Todd Haynes a réalisé le moyen métrage Superstar : The Karen Carpenter Story (1987), un biopic joué par des poupées Barbie. La question du corps y est prégnante…

J’ai pensé à faire rejouer le film à mes comédiens, mais tout l’humour amené par ce procédé de mise en scène disparaissait, et ne restait que le grave. Mais c’est vraiment une super idée qu’a eu Todd Haynes, qui est un réalisateur en avance sur son temps. Beaucoup d’autres artistes ont été touchés par l’anorexie, mais on ne pouvait pas mettre toutes nos références! Il fallait nous concentrer sur Karen, qui fonctionne comme un symbole, une image pour tous ceux qui nous ont inspirés. C’est une sorte de martyre.

Pourquoi avoir fait le choix de l’allemand pour cette pièce, plutôt que l’anglais ?

On mélange les deux langues grâce aux chansons, mais aussi grâce aux extraits vidéo que l’on utilise : des interviews télévisuelles où l’on voit Karen répondre à des questions très dures sur sa santé et son alimentation, son rapport aux fans… Mais ce que Karen et Richard Carpenter ont chanté, tout le monde peut le comprendre : c’est la « Sehnsucht », ce vague à l’âme qui exprime la solitude, le fait de ne pas trouver sa place dans le monde…

Que représente Karen Carpenter pour vous aujourd’hui ?

On s’est souvent demandé ce qu’était le succès pour un artiste. La balance entre ce qu’on veut exprimer au plus profond de soi et les attentes du public peut se révéler malsaine. À leurs débuts, les Carpenters faisaient du jazz; ils ont aussi fumé de la marijuana, mais tout a été passé sous silence afin de ne pas tâcher cette image de l’Amérique blanche, catholique, sobre et gentille qu’ils incarnaient. Karen savait que suivre le chemin de la célébrité était nocif et signifiait la perte de leur personnalité. Aujourd’hui, je peux le dire : il me semble plus intéressant de faire quelque chose de bon et qui plaise à soi plutôt que de se vouloir plaire à tout le monde et se perdre en route. Je suis encore à la recherche de cette balance ésotérique (elle rit), mais à 50 ans, je crois pouvoir dire que je suis plus proche de moi-même que je ne l’ai jamais été.

La pièce

Les Carpenters forment le duo le plus titré de l’histoire de la pop, ayant vendu à ce jour des millions de disques dans le monde et ayant conquis le cœur d’une Amérique en mal d’harmonie dans les années 1970. Mais la pression pour réussir arrive à Karen Carpenter. Le «garçon manqué» derrière la batterie devient une chanteuse constamment sous les projecteurs, qui lutte avec son corps et les idéaux de beauté de son époque et perd de plus en plus de poids jusqu’à ce que son cœur s’arrête enfin. Une histoire tragique qui semble plus que jamais d’actualité.

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