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[Littérature] Dennis Lehane broie du noir


En 1974, un jeune, Dennis Lehane, se retrouve témoin d'actes de violences dans son quartier de Boston qui le marquent profondément : il les raconte dans Le Silence.

À l’heure des élections américaines, Dennis Lehane a publié Le Silence, sa façon de militer contre un futur politiquement sombre, perspective partagée par ses collègues écrivains.

Les ténèbres qui règnent dans ses livres ont désormais envahi son pays. À l’approche des élections aux États-Unis, Dennis Lehane livre un sombre diagnostic de l’Amérique, comme bon nombre de maîtres du polar américain. «Notre pays est dans une période sombre», déclare l’auteur de Mystic River, Shutter Island, ou encore Gone Baby Gone, qui ont rencontré autant de succès en librairie qu’au cinéma. «On espère que l’aube arrive, que les gens retrouvent la raison» lors de la présidentielle en novembre.

Mais, à 58 ans, il n’y croit plus trop, convaincu que Donald Trump, accusé de propager un discours raciste et complotiste, prospère sur un terrain fertile. «Je n’ai pas été surpris par l’arrivée de Trump. Quand vous avez grandi dans une société profondément raciste, vous savez ce qui se passe sous la surface», mais «j’ai l’impression qu’on a vraiment amorcé un retour en arrière et qu’on a beaucoup reculé», analysait l’écrivain le week-end dernier à Lyon, en marge du festival Quais du Polar, où il était l’invité de marque.

«Busing» et relents de racisme

Dennis Lehane est né dans un quartier pauvre à forte communauté irlandaise de Boston, où il situe quasiment toutes ses intrigues, y compris celle de son dernier livre, Le Silence, qui se déroule en 1974. Cette année-là, un juge a imposé de transporter par bus les enfants de quartiers noirs dans des écoles de quartiers blancs, et réciproquement, pour favoriser la fin de la ségrégation scolaire. La mesure, dite du «busing», rencontre une opposition farouche dans son quartier et le jeune Lehane se retrouve témoin d’actes de violences qui le marquent profondément.

Je n’écris pas directement sur la politique, mais beaucoup sur le racisme et les inégalités

«J’ai toujours voulu écrire sur le « busing », parce que ce fut un été marquant dans ma vie», explique-t-il. Mais il a fallu le retour d’un discours raciste affiché, lors des manifestations de suprémacistes blancs notamment, pour qu’il saute le pas. «Quand j’ai vu toutes ces horreurs ressortir de sous terre, et que j’ai entendu des choses que les gens ne disaient plus que tout bas, j’ai su ce que j’allais écrire.» Après plusieurs années consacrées à rédiger des scénarios pour des séries, depuis Los Angeles où il s’est installé, il publie Le Silence. C’est sa manière à lui de militer : «Je n’écris pas directement sur la politique, mais beaucoup sur le racisme et les inégalités.»

Au début de sa carrière, il espérait que ses livres, comme Ténèbres, prenez-moi la main (1996), ne traduisent pas ses penchants politiques. «Mais le pays est devenu un tel gâchis qu’il faudrait être analphabète pour me lire aujourd’hui sans comprendre où je me situe», a-t-il dit lors d’une table ronde consacrée aux élections américaines.

Fin de littérature?

À ses côtés, John Grisham, auteur de La Firme ou L’Affaire Pélican, ne s’est pas montré plus optimiste. «On a toujours été divisés, on a vu des élections très serrées, mais on restait civilisé», rappelle-t-il. Aujourd’hui, «Trump joue sur les peurs, mais aussi sur ces divisions.» Et si le candidat républicain, empêtré dans de multiples affaires, perd à nouveau face au président sortant, Joe Biden, «il va recommencer le même bazar qu’il y a quatre ans», nier sa défaite et «encourager ses troupes à descendre dans la rue», prédit le roi du polar juridique. «C’est déprimant.»

Pour S. A. Cosby, écrivain afro-américain qui a percé en 2020 avec Les Routes oubliées, «Trump n’est pas la cause, mais le symptôme» des maux de l’Amérique «à l’heure de régler sa dette morale pour le génocide des Amérindiens et l’esclavage». Quant au reste de la classe politique, elle ne les fait guère plus rêver. Joe Biden a 80 ans et la relève ne perce pas. «Les jeunes Américains ne veulent plus se lancer en politique, car c’est un milieu trop désagréable», où chaque faux pas peut détruire une réputation, relève John Grisham.

Les membres du parti républicain, eux, «ont compris qu’ils ne pouvaient pas maîtriser Trump, alors ils se sont jetés derrière lui parce qu’ils n’ont pas de principes», assène Dennis Lehane, qui pourrait ne plus jamais publier pour se consacrer exclusivement aux scénarios. «Je ne sais pas si j’écrirai un autre livre. Mais si je ne le fais pas, ce n’est pas grave, car je suis très heureux avec le travail que je fais», confie-t-il, enfin souriant.

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