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De Paris à Milan, on fête les 150 ans de l’impressionnisme


Au Palazzo Reale de Milan, un visiteur entre dans l’atelier d’Auguste Renoir à Cagnes-sur-Mer, reconstruit pour l’occasion. (Photo : afp)

Le musée d’Orsay, temple de l’impressionnisme, organise une exposition évènement pour les 150 ans du mouvement. Ses deux pères fondateurs, Paul Cézanne et Auguste Renoir, investissent, eux, le Palazzo Reale de Milan.

Des tableaux à foison de Monet, Manet, Renoir, Cézanne, Degas ou Morisot, dont des chefs-d’œuvre rarement prêtés : à Paris, le musée d’Orsay célèbre jusqu’au 14 juillet les 150 ans de l’impressionnisme par une exposition-événement inédite. Près de 160 œuvres (tableaux, pastels, dessins, sculptures, gravures…), incluant de nombreux prêts étrangers exceptionnels, sont rassemblées sous l’intitulé «Paris 1874. Inventer l’impressionnisme». Une vingtaine d’entre elles proviennent des États-Unis, où l’exposition sera présentée à la National Gallery of Art de Washington, coorganisatrice, à partir de septembre. Une expérience de réalité virtuelle, créée pour l’occasion, accompagne l’exposition des toiles physiques et sera prolongée jusqu’au 11 août.

Fort de ses récentes recherches, le musée d’Orsay, temple mondial de l’impressionnisme, a souhaité restituer un moment précis de l’histoire de l’art : «La toute première exposition impressionniste, ouverte à Paris le 15 avril 1874, dans l’atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines», explique Sylvie Patry, commissaire de l’exposition avec Anne Robbins.

À l’époque, elle n’en porte pas encore le nom. C’est une exposition indépendante organisée par un groupe d’une trentaine d’artistes de tous horizons qui veulent s’affranchir des règles et des parcours établis. Ce sera «un flop économique» (quatre tableaux vendus sur 200 exposés), mais un tremplin pour la notoriété de ces artistes dont le style va révolutionner la peinture, selon les commissaires. C’est un critique d’art qui, par moquerie, baptisera ce style «impressionniste» en contemplant Impression, soleil levant, un des tableaux de Monet exposés pour l’occasion.

Dotés de casques de réalité virtuelle (une centaine est disponible pour la visite), les visiteurs revivent aussi, s’ils le souhaitent, la soirée d’inauguration de l’exposition de 1874, avec les œuvres de Renoir, Monet, Degas, Pissarro, Cézanne ou Berthe Morisot. Cette expérience, bluffante par la précision du réel illusoire qu’elle crée, reconstitue aussi très précisément des moments en extérieur : guinguette des bords de Seine, balcon d’où Monet a peint le port du Havre, rue de Paris avec ses fiacres, et les falaises d’Étretat, en Normandie.

Visions divergentes

Le temps semble s’être arrêté aussi dans les ateliers, reconstruits pour l’occasion et baignés de lumière, d’Auguste Renoir à Cagnes-sur-Mer, dans le sud de la France, et celui de Paul Cézanne dans la bastide du Jas de Bouffan, maison familiale à Aix-en-Provence : les deux pères fondateurs de l’impressionnisme font, eux, l’objet d’une exposition au Palazzo Reale de Milan. «Ils ont tous deux fait partie de l’aventure impressionniste, avant de s’en éloigner. Cézanne s’est tourné vers des structures géométriques extrêmement fortes, alors que Renoir a gardé sa touche vibrionnante et sensible», commente Cécile Girardeau, commissaire de l’exposition à Milan et conservatrice au musée parisien de l’Orangerie.

À première vue, effectivement, tout les sépare. La géométrie rigoureuse chez l’un, la rondeur harmonieuse chez l’autre : des visions divergentes de la peinture qui cachent leur affinité artistique et leur profonde amitié. Collectionnés par le marchand d’art Paul Guillaume, 52 de leurs chefs-d’œuvre y sont exposés jusqu’au 30 juin, des premières toiles des années 1870 aux œuvres plus mûres du début du XXe siècle.

Dans les années 1860, Paul Cézanne, un solitaire plutôt ombrageux, et Auguste Renoir, très jovial, nouent une amitié mêlée d’une admiration réciproque, qui perdure dans le temps. Entre 1880 et 1890, Renoir séjourne à plusieurs reprises chez Cézanne à Aix-en-Provence, dans le sud de la France. Les paysages, natures mortes, portraits et nus comme les grandes baigneuses sont autant de genres affectionnés par Cézanne (1839-1906) et Renoir (1841-1919), avec des coups de pinceau audacieux pour l’un et une empreinte sensuelle pour l’autre.

Une comparaison rapide entre Vase paillé, sucrier et pommes (vers 1890) de Cézanne et Pêches (1881) de Renoir en atteste. Le premier «cherche à nous rendre la structure essentielle des objets, c’est par ce biais-là qu’il arrive à nous faire sentir son regard sur le monde», analyse Cécile Girardeau. À l’inverse, «Renoir fixe l’instantanéité du moment, nous procure la sensation de la nappe, des plis sur la nappe, de la douceur du fruit et du reflet de la lumière sur la faïence».

«Refléter le monde moderne»

Les styles s’entrechoquent, les caractères s’opposent : très sobre, Cézanne comptait modeler la nature «selon le cylindre, la sphère, le cône». Toujours exubérant, Renoir voulait qu’un tableau fût «une chose aimable, joyeuse et jolie». Si les portraits de Renoir dégagent une atmosphère de douceur et de sérénité, les personnages de Cézanne sont plutôt austères et distants. Les nus de femmes allongées et voluptueuses de Renoir sont aux antipodes de ceux de Cézanne, qui mettent en scène des modèles accroupis ou debout et dénués de sensualité.

Leurs divergences se reflètent aussi dans leurs origines sociales, Cézanne ayant été fils de banquier sans nécessité de vendre ses tableaux, tout au contraire de Renoir, issu d’une famille d’artisans déshéritée. «Cézanne n’avait sans doute pas un talent naturel spontané et a dû beaucoup étudier pour s’approprier la peinture, il n’a pas été un enfant prodige», explique Stefano Zuffi, co-commissaire de l’exposition et historien de l’art. Quant à Renoir, «sa grandeur, c’était son inépuisable joie de vivre. Pour lui, la vie était belle et la peinture, un moyen de la rendre encore plus belle».

À propos de la naissance du mouvement, Sylvie Patry détaille : «Les impressionnistes veulent peindre le monde tel qu’il est, en plein changement. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, c’est l’industrie, les grandes villes, la globalisation et ils estiment que la peinture doit refléter ce monde moderne. Ils vont s’intéresser à des sujets nouveaux : les chemins de fer, le tourisme, le monde des spectacles, et mettre au cœur de leur peinture la sensation, l’impression, l’instant présent. Ils sortent de l’atelier et des codes, peignent dans la lumière naturelle.»

L’impressionnisme en cinq anecdotes

VUE DU HAVRE Claude Monet est assurément le maître de la lumière. Sa Vue du Havre fut accrochée à la première exposition impressionniste d’avril 1874 sous le titre Impression, soleil levant. Voulant tourner en dérision l’exposition et le titre de la peinture, le critique d’art Louis Leroy intitule son article «L’Exposition des impressionnistes». L’appellation sera adoptée par Auguste Renoir en 1877 et sa parentalité revendiquée par Monet.

COULEURS EN TUBE Le peintre américain John Goffe Rand a laissé une trace indélébile pour une trouvaille qui révolutionne la peinture au milieu du XIXe siècle. Il a l’idée de mettre la couleur prête à l’emploi dans des tubes en étain souple dont il dépose le brevet. «Sans la peinture en tube, il n’y aurait pas eu de Cézanne ou de Monet, de Sisley ou de Pissarro, aucun de ceux que les journalistes appellent les impressionnistes», rappellera Auguste Renoir à la fin de sa vie.

DAGUERRÉOTYPE Dès l’origine, les impressionnistes sont influencés par la photographie, art neuf qui pose ses daguerréotypes en pleine nature à côté des chevalets des peintres. Edgar Degas, lui-même photographe passionné, et Paul Cézanne ont utilisé des photos pour réaliser certains portraits ou paysages.

PARMI LES HOMMES Berthe Morisot est l’unique femme à signer la charte qui donne naissance à l’impressionnisme et à exposer en avril 1874 aux côtés de 29 artistes hommes. Elle aussi a droit aux sarcasmes du critique Leroy. Aujourd’hui accrochée dans les plus grands musées, considérée comme une figure majeure de l’impressionnisme, Berthe Morisot n’a fait figurer que des femmes et des enfants sur ses toiles, à l’exception notable de son mari, le frère du peintre Édouard Manet.

MÉCÈNE INCONNU Miracle à l’exposition de 1874 : pour la première fois, le ténébreux Paul Cézanne vend une toile à un collectionneur, La Maison du pendu. Lors de sa première exposition personnelle, organisée en 1895 à Paris par le marchand d’art Ambroise Vollard, un inconnu demande à visiter la galerie avant le vernissage. Il passe de toile en toile, puis désigne à Vollard trois tableaux qu’il paie sans négocier en sortant une liasse de billets. À peine parti, Vollard interroge : qui est cet homme? «Claude Monet», lui répond son aide.

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