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Le portrait du jeudi – Gilles Michely sans filet


Tennis de table — Gilles Michely, qui participe ce week-end aux championnats nationaux, n’a plus rien à prouver. C’est son parcours qui le dit.

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Après avoir multiplié les stages en Suède et en Chine dans sa jeunesse, Michely savoure la stabilité retrouvée au Luxembourg. (Photos : Julien Garroy)

Au Sins, bar bien connu des sportifs dudelangeois, les tables sont rondes. Le fait qu’elles ne sont pas rectangulaires aurait pu déstabiliser Gilles Michely. Mais agrippé à sa Rosport Blue, le gaillard (1,75 mètre, 83 kilos) commence par un aveu : il n’a pas attendu que les tables aient la dimension règlementaire pour gagner des matches.

« Jusqu’à mes 12 ans, j’avais un poster de Jan-Ove Waldner dans ma chambre. Je collais une petite table (NDLR : il dessine avec ses doigts un rectangle de 50 centimètres de long et 30 de large) contre le mur, je prenais ma raquette et je comptais les points », se rappelle « Gibbes ».

Peu de temps après, à 16 ans, il dispute son premier match pour le Luxembourg face à sa deuxième idole, le Grec Kalinikos Kreanga, l’un des meilleurs revers de l’histoire, lors des championnats d’Europe à Aarhus, au Danemark : « Mon coach Martin Adomeit m’avait averti de ne pas jouer dans son revers. Kreanga sert, je fais un flip dans son revers et il m’envoie une de ces fusées… Je ne sais pas comment je fais, mais je réussis à marquer le point en mettant un bloc parallèle. Je me retourne vers mon coach en haussant les épaules : « Alors, c’est ça son revers ? » Bon, j’ai perdu trois fois 11-4… »

Tout va très vite. Trop vite. Surtout, tout est trop facile. Il est le seul à pouvoir se vanter d’avoir gagné le titre de champion du Luxembourg dans absolument toutes les catégories d’âge. Les Kevin Fickinger, Laurent Kintzelé, Marc Dielissen et autres Tom Ullmann ont le malheur de tomber sur une génération où la première place est déjà réservée.

À moins que ce soit Michely qui soit mal né. En tout cas, au mauvais endroit. « Quand je vois où en sont les meilleurs Européens de ma génération, je me dis que je suis passé à côté de quelque chose. Ils sont presque tous dans le top 50 mondial et j’en ai battu la plupart. Moi, je n’ai pas eu à me transcender pour gagner mes titres nationaux », estime celui qui est le seul Luxembourgeois sponsorisé officiellement par une marque (Donic), depuis qu’il a 12 ans.

> Armée, Coca-Cola et squash finlandais

Son départ pour l’Allemagne à 14 ans était pourtant censé lui apporter le petit plus qui peut faire d’un immense talent un champion. Si les cinq heures d’entraînement par jour à Heilbronn lui font un bien fou, il a la mauvaise idée d’embrayer sur une bêtise.

« J’ai voulu aller trop vite, je suis allé à Düsseldorf, le meilleur club d’Europe. Les gars s’entraînaient toute la journée, moi seulement deux heures l’après-midi, car je continuais d’aller à l’école. J’étais le moins bon du groupe. Il y avait Boll, Ovtcharov, Steger, Maze, Mizutani… Cela a duré trois ans. Quand on était un nombre impair, c’est moi qui allais faire du service, tout seul. Les entraîneurs ne me regardaient presque pas. J’ai perdu toute ma confiance en moi là-bas », rembobine l’ancien n° 10 junior européen et n°24 mondial.

Les quatre années de professionnalisme à Grenzau, qui se résumeront à une victoire pour son seul match de Ligue des champions face au Français Simon Gauzy en 2011, révèleront aussi qu’il n’aime pas toujours se faire mal. « À Grenzau, la salle était toujours ouverte. J’aurais aussi pu y aller le soir et je ne l’ai jamais fait. C’est de ma faute », regrette-t-il. Le minimum. Toujours le minimum, y compris quand il s’agit de passer le bac, qu’il obtient sans lire le moindre bouquin mais plutôt les résumés sur Wikipédia.

Retour au Sins. On est mardi et pas n’importe quel mardi. Celui d’une semaine qui se terminera par les championnats nationaux individuels, qu’il a remportés à 17 ans avant d’attendre 7 longues années pour remettre le couvert. « Je jouais plus pour ne pas perdre que pour gagner. Je me mettais trop de pression, j’en étais malade. » Au sens propre. Battu trois fois de suite en finale (de 2008 à 2010), celui qui joue alors à Grenzau est incapable de se présenter à l’édition 2011, affaibli la nuit précédant la compétition par une gastroentérite.

Si Michely est beaucoup plus zen par rapport à tout cela — « les championnats nationaux, je m’en fous. J’y vais pour gagner, mais je me fous de les perdre » — c’est parce qu’entretemps, il est devenu un homme. À l’ancienne. À l’armée.

Pour être rémunéré en tant que soldat, son statut de sportif lui permet de ne faire que les quatre mois d’instruction de base à Diekirch : « J’ai perdu 7 kilos. Je ne mangeais pas, je ne buvais pas de Coca, je dormais trois heures par nuit. Il n’y avait pas d’autres sportifs. Les mecs sont devenus policiers ou douaniers. J’ai travaillé mon physique et appris à nettoyer les chambres et les chiottes. Un jour, on est partis en Belgique faire une simulation de guerre dans une forêt. Il ne fallait pas faire un bruit. Les sergents nous ont engueulés quand on a fait péter une munition. En fait, c’était cool. Un an après, les gars qui étaient avec moi étaient au Kosovo ou en Afghanistan. »

Une époque où Gilles voit son corps s’abîmer. « J’ai une scoliose. Regarde comme mon bras droit est plus développé que le gauche ! Et le dos, c’est pire ! Je fais 1 000 top spins par jour et je n’ai travaillé le physique qu’à partir de 16, 17 ans, c’était déjà trop tard… »

Il ne se voit pas continuer éternellement à taper la balle. Encore dix ans, grand maximum. « Dans une autre vie, je ferais du tennis ou du foot. Je me sens toujours mieux en équipe que seul. Et puis j’ai un vrai talent pour tout ce qui se passe avec une balle ou un ballon. »

Un exemple ? « Il y a cinq ans, on a fait un tournoi de la mort en Finlande avec l’équipe nationale. On venait de faire une vingtaine de matches en trois jours, on était vraiment crevés, c’était le dimanche soir, il faisait très froid dehors et la bière était à 20 euros. Alors j’ai proposé à Mike (Bast) de rester à l’hôtel et de faire un squash », raconte-t-il. Son coéquipier en a encore des crampes. « On a joué pendant quatre heures. Il m’a tué. C’était la première fois qu’on touchait une raquette de squash, il avait le niveau d’un mec qui en faisait en club », se marre Bast.

Reste à voir où en sera son corps dans dix ans. « C’est un Michely ! », rigole son père, Patrick, ancien gardien de handball à Berchem transformé en honnête pongiste, et qui a donné envie à ses deux fistons (il y a aussi Luc, qui a trois ans de moins) de l’imiter.

Gilles n’est pas gros, il n’est pas maigre et le sujet de son gabarit ne le dérange pas. « Quand il arrêtera de jouer, il prendra trente kilos, pronostique Bast. Il ne passe pas son temps à manger, mais disons qu’il prend plus facilement du poids qu’un autre quand il reste inactif. »

Accro au Coca-Cola — « j’en bois un demi-litre par jour » — il a aussi eu sa période où, une fois par semaine, le menu du soir était chips et chocolat. Pas le meilleur régime pour un sportif. « Je ne lui ai pas appris à vivre comme un curé », confie Patrick.

Il reste une mission au père pour que son fils prenne définitivement son envol. Commercial aux domaines Vinsmoselle, Patrick n’a pas encore transmis l’amour des grands crus à sa progéniture. « Avec ma copine, quand on reçoit du monde, je suis obligé de l’appeler pour savoir ce que je dois servir. Je suis nul en vin », concède Gilles. Un crime quand on vient de la Moselle.

> Une carrière de politicien comme Jeannot ?

Michely a le temps. Puisque sa parenthèse professionnelle ne s’est pas éternisée et ne l’a jamais amené plus haut que la 350e place mondiale, il veut continuer de se rendre la vie aussi facile que ses premières années pongistes l’ont été.

Amoureux de Rome (et de l’AS Roma), il envisage d’y remettre les pieds avec sa copine, l’été prochain : « C’est grâce à Francesco Totti que je me suis intéressé à cette ville. Je faisais tout pour lui ressembler, je m’étais laissé pousser les cheveux. Dès que j’ai eu les cheveux assez longs, il les a coupés. Alors je les ai coupés ! Je suis allé une fois à Rome. Là-bas, tu as l’histoire sous tes yeux. Le Colisée, c’est magnifique. Si j’étais allé à l’université, j’aurais étudié l’histoire. »

C’est pourtant vers la politique que l’actuel employé de la commune de Remich (service Population – État civil) pourrait se tourner : « Je suis plutôt socialiste. Mon grand-père, Jeannot Michely, était conseiller municipal à Bettembourg. C’est un domaine qui peut être intéressant si on s’engage. Mais on verra cela plus tard. »

Il est loin le temps où le petit Gilles passait des heures à pleurer après avoir entendu des adversaires et parents de joueurs dire de lui qu’il était arrogant.

Reste que cette réputation perdure et mérite une ultime mise au point. « Je comprends que tout le monde n’aime pas mon jeu car je fais des trucs que je suis le seul à faire. C’est ainsi. Un jour, Chen Zhibin, ancien n°4 mondial qui a joué un an à Ettelbruck et m’entraînait à Grenzau, m’a dit : « Si je te demande de faire un coup entre les jambes, tu vas le faire. Mais dix coups droits de suite dans la diagonale, tu en es incapable. » Si tu m’enlèves ce côté joueur, je ne suis plus vraiment moi… »

Voilà pourquoi, au Luxembourg, il y aura toujours ceux qui prennent Gilles Michely pour un magicien à la main géniale et ceux qui diront de lui qu’il est un bricoleur arrogant. Et si la vérité se trouvait quelque part au milieu de tout cela ?

De notre journaliste Matthieu Pécot

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