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Entretien : la nouvelle vie d’Andy Schleck


Deux mois après qu’il a annoncé sa retraite, nous avons retrouvé Andy Schleck, chez lui, à Mondorf. Et en famille, avec Jil, sa compagne, et Téo, leur enfant de sept mois. Les projets de la petite famille ne manquent pas…

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Les projets ne manquent pas, mais le jeune Mondorfois veut en priorité profiter de sa famille. (Photos : Julien Garroy)

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Ce mercredi matin, en plein centre de Mondorf, de fines gouttelettes de pluie viennent s’agglutiner sur les baies vitrées du nid douillet que se sont concocté depuis quelques années déjà Jil et Andy. Mais bientôt, les repères du petit Téo, sept mois, qui arpente chaque espace avec ce désir de découverte propre aux nourrissons, changeront. « En septembre, glisse Andy, nous devrions emménager dans notre nouvelle maison que nous faisons construire pas très loin d’ici, à une centaine de mètres de chez mes parents. Le gros œuvre est fini, mais les travaux continuent ». La maquette du pavillon, qui témoigne d’un goût prononcé pour le verre et les espaces lumineux, trône sur une commode, juste à côté du fameux vase de Sèvres, présent attribué chaque année au vainqueur du Tour qu’Andy Schleck a reçu des mains de François Hollande le 27 novembre (lire Le Quotidien du 27 novembre). Le Mondorfois, vainqueur sur tapis vert du Tour 2010, ne l’avait pas reçu, Alberto Contador l’ayant gardé. Voilà pour le futur.

Retour à cet appartement très vivant de la rue des Prunelles. Seules les guirlandes qu’Andy a pris soin d’apposer sur un sapin fraîchement installé sur la terrasse nous ramènent à Noël. Car durant cette heure d’entretien à bâtons rompus consacré au présent d’Andy Schleck, davantage une discussion qu’un questions-réponses rythmé, ceci, un peu plus de deux mois après sa retraite annoncée ici même à Mondorf, nous voyagerons beaucoup. Dans le passé et quelquefois dans le futur. Toujours avec cette franchise qui a souvent séduit ses interlocuteurs et, parfois, aussi désarmé ses rares détracteurs. Une chose est sûre, Andy Schleck est aujourd’hui prêt à aborder de nouveaux chapitres de sa vie. On le sent certes nostalgique, quelquefois contradictoire, sur des sujets qu’il n’a pu, en aussi peu de temps, évacuer, mais aussi apaisé. Et déterminé à réussir sa nouvelle vie.

Andy Schleck : Bienvenue, installez-vous, je reviens juste de l’entraînement…

> De l’entraînement ?

Oui, de l’entraînement pour stabiliser mon genou. Je renforce aussi un peu les muscles du dos et les bras. Je fais ce travail en salle de sport.

> Justement, depuis votre retraite, il y a des sports que vous commencez à pratiquer ?

Oui, je fais du ski à roulettes, c’est du ski de fond sur asphalte. J’ai trouvé un ami sur la Moselle qui est un adepte de ce sport. Il m’a dit : « Ce ne serait pas une chose pour toi? » Et j’ai accroché tout de suite. Ce qui est bien, c’est que le genou est relativement ménagé avec ce sport. Pour notre dernière sortie, on a fait 25 kilomètres. On a commencé en bas, à Wintrange, et on est montés. En haut, j’étais comme ça (il pointe son index sur la gorge). Après, on a trouvé un tour de dix kilomètres sur piste cyclable. Bon, quand il pleut, il faut faire attention car les roulettes glissent. Pour le reste, je fais toujours de longues marches avec la chasse.

> Depuis que vous avez annoncé votre retrait des pelotons, on imagine qu’une nouvelle vie s’est offerte à vous…

Au début, je dois dire que ça a été très, très dur (il soupire).

> C’est ce que Frank et Johnny, votre père, nous ont confirmé, effectivement.

Rouler, c’est ce que j’avais fait toute ma vie ou presque, jusque-là. Heureusement que j’ai Jil et le petit à mes côtés. Il fallait que je franchisse ce cap pour aller dans ma nouvelle vie. Et j’ai hésité. Ce n’est pas que j’avais peur, non. Mais j’ai longtemps cru que mon genou guérirait. Quand le chirurgien m’a dit que je resterais sept semaines en béquilles après mon opération, j’ai pris un coup. Je me suis dit que ma saison était finie, avec également, la fin de mon contrat qui approchait. J’ai réfléchi. Je devais tout mettre à plat. Là, je suis allé à Majorque où la famille de Jil a une maison. J’ai emprunté le vélo de son papa, un Trek, je le précise (il rit).

J’ai levé un peu la selle (il mime ce geste). Je montais sur le vélo, je faisais dix minutes par jour, sur rouleau. Après ça, je suis retourné à Bâle pour des soins. Le moment est venu où je n’avais plus les béquilles. Je devais reprendre l’entraînement. Et je suis retourné à Majorque. J’ai repris à zéro. Une heure de vélo tranquille. Mais j’ai remarqué qu’après deux heures, quand je devais monter au-dessus de 250 watts, j’avais mal. Mon genou me faisait trop souffrir. Cela durait, durait. Les médecins m’ont tenu un discours de vérité : « Un cas comme le tien, lorsque tu auras 35 ans, tu auras besoin d’un nouveau genou. » Tout ça m’a fait peur. C’est ce que j’ai dit lors de ma conférence de presse pour annoncer l’arrêt de ma carrière. Mais maintenant, ça me manque.

> Vraiment ?

Oui, ça me manque, je ne le cache pas ! En ce moment, Frank est en stage avec l’équipe. Cela me fait drôle. Mais je suis très actif. Je ne reste pas sur mon canapé. Il y a plein de choses à faire dans la vie. Pendant un mois, j’étais down (NDLR : au plus bas), vraiment down, hein ! Après je me suis réveillé. Maintenant, je ne travaille pas encore vraiment, mais j’ai plus à faire qu’avant. Je suis en train de faire un planning pour l’année prochaine. Cela me demande de la paperasse. Je dois tout apprendre. Cela me fait plaisir et je suis super motivé pour mon prochain travail. Mais ne me demandez pas ce que ce sera, je ne peux pas encore le dévoiler.

> On ne comptait pas forcément vous le demander…

Je le dirai quand ce sera le bon moment, mais je suis super motivé pour ce nouveau départ. J’avais un grand nom dans le cyclisme et j’étais une idole pour des enfants. Je reçois encore beaucoup de courrier, de mails. Je pense avoir inspiré beaucoup de gens et sans paraître prétentieux, je ne me vois pas aller travailler dans une usine quelque part. Je veux faire quelque chose où je puisse me réaliser, avec mon nom et aussi mes capacités humaines. Lorsque je courais, j’ai toujours été proche des gens. D’ailleurs, je ne pense pas avoir eu mauvaise presse. Je dis toujours que j’avais un talent sur le vélo mais aussi avec ma personnalité pour communiquer.

> En effet, on vous confirme que vous étiez un coureur très apprécié de la presse internationale…

J’ai gagné le cœur des gens, je pense. J’y tenais. Même si parfois, ça m’a coûté de la force, je le reconnais. Sur le Tour, je voulais toujours rester proche du public et c’est pour cela que je restais longtemps à donner des interviews, alors que les autres étaient déjà partis. Je le voulais. Je n’étais pas un Contador qui, après la ligne, répond à trois questions en espagnol puis monte dans son bus et file à l’hôtel…

> Pourtant, on imagine bien que votre entourage devait vous conseiller de davantage vous préserver, non ?

Oui, oui, bien sûr. Mais c’était mon choix. Et je disais : « Non, écoutez, on est là pour le public. » Bon, je n’étais pas Jens (Voigt) non plus, hein… Lui, c’est l’extrême ! Je pense avoir trouvé un bon chemin. J’étais là pour répondre aux questions des journalistes, car derrière, il y a le public. Même ceux qui écrivaient ou disaient des conneries sur moi. Je m’en fiche de ça, au fond. Voilà, et aujourd’hui, il pleut, nous sommes là, chez moi, et tout va bien. Je me sens bien, j’ai fait mon petit entraînement, on discute…

> Vous n’avez plus à devoir penser à vos heures d’entraînement sous la pluie justement. Vous appréciez ça ?

Non, mais je vais recommencer à rouler lorsqu’il fera beau. Pour le moment, mon phytothérapeute me conseille de ne pas reprendre trop vite le vélo, de faire un break. Mais là, je suis très heureux, je suis libre, j’ai beaucoup de rendez-vous, beaucoup de choses à faire. Je suis un gars qui doit avoir un plan pour chaque journée, même s’il y a du stress. J’ai toujours aimé ça, même à vélo. Dans la vie aussi. Ce qui manque le plus, ce n’est pas de rouler, de s’entraîner, mais d’être avec les copains.

> Cela a en effet été votre quotidien pendant une quinzaine d’années. Pourtant, la vie de coureur cycliste professionnel n’est pas facile en comparaison avec d’autres sports…

Oui, mais je pense que je n’étais pas encore prêt à arrêter. À choisir, j’aurais aimé pouvoir continuer un peu. Mais c’est comme ça et aujourd’hui, je ne veux plus y penser! Peut-être que je serai le nouveau Pascal Triebel (NDLR : l’ancien champion national, une figure du cyclisme luxembourgeois, continue de courir à 48 ans chez les masters) dans dix ans (il rit, tandis que Jil appose une moue dubitative) ! Non, ce n’est pas possible…

> Qu’appréciez-vous le plus dans votre nouvelle vie ?

Avant, ma vie de coureur imposait beaucoup de sacrifices. Il y avait l’entraînement, mais ce n’était pas encore fini. Tu rentres, tu dois te faire masser. Quand on cuisinait quelque chose, on pensait toujours « Est-ce bon ou pas pour la diététique ? » Ce soir (NDLR : mercredi soir), on va aller chez des amis et manger une bonne pizza. J’apprécie ça. Je vis une première, je ne connaissais pas ça en pleine saison.

> Même si vous n’avez jamais été un fou de la diététique, non plus…

Non, c’est vrai, mais sur les grands rendez-vous, j’étais toujours à cent pour-cent.

> C’est d’ailleurs ce qu’a fait remarquer Alberto Contador dans Vélo Magazine (NDLR : édition de novembre) où il revenait sur votre carrière et avouait qu’il vous considérait comme son plus grand rival sur le Tour…

C’est vrai que les gens, parfois, ont des jugements bêtes. Bien sûr que l’hiver, il m’arrivait de sortir en ville. Tu fais deuxième du Tour à trois reprises et tu gagnes des étapes sans être sérieux ? Celui qui dit ça, je veux qu’il fasse une étape, une seule étape, une fois dans sa vie. J’ai gagné Liège-Bastogne-Liège, je me suis placé dans l’Amstel, la Flèche Wallonne et je ne serais pas sérieux ? J’avais un sacré moteur, alors…

> Revenons au présent. Votre nouvelle vie vous donne aussi plus l’opportunité de passer plus de temps avez votre famille, non ?

Oui, c’est appréciable. Le pire lorsqu’on est coureur professionnel, c’est qu’on se fait à l’idée de partir longtemps. Je partais facilement deux semaines, alors que récemment, je me suis surpris à partir trois jours et être très impatient de rentrer! Le manque était beaucoup plus important. C’est ma nouvelle vie. Même si Téo, comme tous les bébés, est un peu plus attaché à sa maman, j’avais hâte de les retrouver pour faire des choses ensemble. C’était dur de partir trois jours (il regarde Jil). Bon, je partirai encore à l’avenir, mais pas comme avant non plus.

> Vous en profitez également pour vous ouvrir à des loisirs ?

J’ai plus de temps pour ma famille, mais je n’éprouve pas le besoin d’avoir des loisirs. Même si je vais un peu à la chasse (il rit). Mais Jil n’aime pas quand je rentre sale (elle sourit)…

> Avant, quand vous rentriez sale, c’est que vous aviez roulé sous la pluie…

Ça, rouler sous la flotte, ça ne me manque pas ! Mais ce qui me manque parfois, c’est de me dépenser. Là, je suis zen, j’ai fait mon sport ce matin. Je vais m’attacher à en faire un peu tous les jours.

> Vous ne semblez pas avoir pris du poids en tout cas…

Mais j’en ai pris. Quatre, cinq kilos. Frank me fait des blagues, Gaby, ma mère également.

> Justement, avec votre famille, les rapports doivent être un peu différents, non ?

Johnny, mon père, est très content. Lui aussi a souffert au début. Il m’a dit récemment qu’il était content. Notamment à cause des chutes de plus en plus fréquentes. Maintenant, il se dit qu’avec Frank, ça va encore durer trois, quatre ans. Mais pour en revenir aux craintes de mon père, les chutes, ce n’est plus le cyclisme d’avant…

> Pourquoi à votre avis ?

Il n’y a plus de respect dans le peloton. Je l’ai vécu ces dernières années. Je vais donner un exemple : tu as une étape au sprint dans le Tour, tu es grimpeur, mais tu es obligé de rouler à bloc jusque dans le dernier kilomètre pour éviter les cassures. On se sent obligé, mais si on regarde l’histoire du Tour, il y a encore pas si longtemps, ce n’était pas comme ça. Tu vois Cadel (Evans) rouler en deuxième ligne juste à côté des grands sprinteurs. Tu vois (Chris) Froome prendre des risques insensés sur le final. Si Froome, qui, par ailleurs, est un très bon mec, tombe, t’es sûr que derrière, il y a de la casse. Bien sûr que tout ça crée des chutes. À tel point qu’on est content quand il y a une chute dans les trois derniers kilomètres et qu’on peut finir tranquille. On se dit : « Ouf ! Quelqu’un est tombé ! Qui ? Ah, pas un grand coureur, alors ce n’est pas grave… » Est-ce normal d’être content de ça ? Non, ce n’est pas normal. Mais malheureusement, c’est comme ça. Pourquoi prendre tant de risques ? Aujourd’hui, on voit des coureurs attaquer dans des descentes pour en pousser d’autres à la faute. C’est ça, respecter l’adversaire ?

> Vous allez regarder les courses à la télé ?

Oui, si j’ai le temps, et avec plaisir. Et j’irai aussi sur les classiques de printemps. Et peut-être même que je disputerai, avec des potes, les cyclosportives, la veille.

> Plus généralement, hormis le ski à roulettes, le fitness et bien sûr le cyclisme, d’autres sports vous attirent ?

Oui, oui. Pendant longtemps, je n’étais que vélo. Mais depuis que j’ai arrêté, je suis devenu fan du club de foot de l’US Mondorf. Je suis déjà allé voir trois de leurs matches. Je me suis même surpris à m’énerver, notamment lors du match de Coupe contre le Fola Esch. C’était bien. Jeff (Strasser) habite à 200 mètres d’ici et son frère (Christian), comme vous le savez, dirige l’US Mondorf. J’étais à côté de Christian, il n’a pas arrêté de crier. Mon père était de l’autre côté, Jeff criait tout le temps. Mon père m’a dit : « Ils sont fous, les directeurs sportifs du vélo ne parleraient jamais comme ça ! » (il rit en imitant Johnny).

> Et vous allez supporter Jil lorsqu’elle joue au basket ?

Oui, oui, je suis aussi un fan de l’Aventi. (Jil intervient : « On est aujourd’hui en 3e division, mais il y a quelques années, on était en première division. On ne s’entraîne que deux fois par semaine. »)

Quand je vois l’entraînement qu’elles font et lorsque je vais voir un match, je m’énerve. Si tout le monde dans l’équipe allait courir deux fois cinquante minutes, ça irait mieux. Elles boivent une coupe de champagne avant le match (« pas avant, après le match », rectifie en souriant Jil), non, si j’étais l’entraîneur… L’an prochain, si vous n’en avez pas, je vous entraînerai et là, on verra (il rit de plus belle). Les premiers mois, ce sera entraînement sans ballon, hein. Ce sera footing, musculation et plus de champagne dans les vestiaires !

> Quel style de vacances prenez-vous ?

J’ai passé assez de temps dans les hôtels, quelquefois même dans de très
beaux hôtels, et je préfère de loin nos séjours en famille à Majorque, même si, par exemple, on a passé récemment un super séjour à Anvers.

> Depuis l’arrêt de votre carrière, le regard des gens, ici au Luxembourg, a-t-il changé ?

Pas du tout et ça me fait plaisir. Par exemple, mardi, j’ai dû aller changer une roue de ma voiture dans un garage car j’avais crevé. Une Française m’a demandé une photo avec son fils. Je l’ai fait volontiers, ça me fait plaisir ce genre de contact imprévu. C’est aussi pour ça que je veux que le nom Schleck reste bien vivant.

> Avez-vous pensé à écrire un livre ?

Oui, mais il me manque encore celui qui l’écrira pour moi. Mon livre ne ressemblera pas à ceux que l’on peut lire quelquefois où le dopage ressurgit dans chaque chapitre. Moi, je voudrais juste faire partager les bons moments que j’ai passés dans le vélo. J’aimerais retranscrire toutes les rigolades que nous avons eues entre potes, avec Jens (Voigt), Stuart (O’Grady), tout le groupe, quoi. Pourquoi évoquer en mal le cyclisme? Je trouve que le vélo est super beau. Si je fais un livre, je voudrais que ce soit ça, pas des histoires de dopage. Je n’ai rien à faire avec ça. Frank, lui, a eu une histoire. Mais tout le monde sait bien qu’il n’avait rien pris. Je voudrais écrire mon histoire et rappeler des bonnes choses. Ce serait différent de tous les autres livres d’anciens cyclistes.

> Les fêtes de Noël, comment vont-elles se passer ?

Le réveillon de Noël, ce sera chez mes parents, puis après, on partira quelques jours, jusqu’au 31 décembre, à la montagne, à Courchevel, avec un voisin. Même s’il n’y a pas trop de neige, j’aimerais faire du ski de fond et me promener…

De notre journaliste Denis Bastien

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