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Nucléaire : le Luxembourg pourra réclamer des indemnités aux pays voisins


La loi adoptée mardi à la Chambre est une nouvelle victoire pour les anti-nucléaires (Photo d'archives : Julien Garroy).

Personne n’espère vivre le scénario, mais le Luxembourg est désormais doté d’un régime légal spécifique pour réclamer d’importantes indemnités en cas d’accident nucléaire. La Chambre a validé le texte, mardi.

Les chiffres bruts sont difficiles à saisir. Selon une étude allemande, citée mardi par le député François Benoy (déi gréng), une catastrophe nucléaire du type Tchernobyl ou Fukushima pourrait avoir un coût global de 6 000 milliards d’euros. L’enjeu pour le Luxembourg est cependant moins financier qu’existentiel. Car en cas d’accident majeur à Cattenom ou Tihange, les deux centrales exploitées par la France et la Belgique aux abords de la frontière grand-ducale, la grande majorité du pays serait condamnée. Des modélisations démontrent ainsi qu’en cas de catastrophe à Cattenom, seule une portion du nord-ouest du pays resterait habitable.
La loi sur la responsabilité civile en matière de dommages en relation avec un accident nucléaire, votée par une très large majorité mardi à la Chambre (56 voix contre 4), poursuit donc plusieurs objectifs. «Au-delà de l’aspect juridique, ce texte possède aussi une valeur politique, qui nous permettra d’augmenter encore la pression pour renoncer au nucléaire», souligne la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, décidée à «bloquer toute renaissance du lobby du nucléaire».
Le gouvernement continue à se focaliser sur ses voisins français et belge. Paris compte ainsi prolonger l’exploitation de Cattenom jusqu’en 2050, tandis que Bruxelles restera attachée au nucléaire jusqu’en 2025. Selon le texte avalisé mardi, les exploitants devront prendre en compte «le coût réel» de leur site nucléaire, indemnisations potentielles comprises. «EDF qui doit réduire son parc nucléaire en France pourrait ainsi être amené à fermer en premier lieu ses centrales à proximité de la frontière», dit espérer le ministre de l’Énergie, Claude Turmes.

Pas de plafond, la prescription fixée à 30 ans

Si l’objectif poursuivi par le régime mis en place par le Luxembourg est partagé par une large frange de la Chambre des députés, il reste des zones d’ombre et même des incohérences, dénoncées par l’opposition. La valeur juridique du texte est ainsi ouvertement remise en question par l’ADR. «Il s’agit d’une construction politique sans fondement juridique», juge Fernand Kartheiser. Son parti aurait préféré que le Luxembourg ratifie les conventions existantes en matière d’indemnisations en cas d’accident nucléaire, datant des années 60.
Les gouvernements successifs n’ont cependant jamais fait le pas en raison de conditions désavantageuses pour le Luxembourg, exposé à un danger immédiat. Le délai de prescription est fixé à 10 ans, les indemnisations sont plafonnées et le principe de solidarité veut que le Luxembourg pourrait lui-même être amené à contribuer aux dédommagements à verser. Les derniers amendements datant de plus de 15 ans plafonnent l’indemnité à
1,5 milliard d’euros. «La décision n’est cependant toujours pas en vigueur», comme le précise la ministre de l’Environnement. «En cas d’accident grave, les citoyens resteront donc délaissés à leur compte ou l’État lésé devrait payer la note», dénonce François Benoy, rapporteur du projet de loi. «Il est inquiétant de constater que le principe du pollueur-payeur ne fonctionne pas en relation avec une technologie aussi dangereuse que le nucléaire», ajoute Max Hahn (DP).
Le gouvernement a donc finalement décidé en novembre 2017 de miser sur un texte de loi «généreux», comme le résume Cécile Hemmen (LSAP), qui pourrait s’avérer très onéreux pour nos pays voisins. Les définitions concernant l’exploitant et le type de site nucléaire concerné par la loi sont ainsi tenues très larges. «L’espoir demeure toutefois de ne jamais devoir appliquer cette loi», souligne Gilles Roth (CSV), position partagée par l’ensemble des députés.
Et pourtant, le Luxembourg est décidé d’assurer ses arrières. «Le principe de la loi est que les citoyens peuvent demander auprès de tribunaux luxembourgeois des réparations de la part des exploitants de sites nucléaires», résume François Benoy. Le plaignant ne devra en rien prouver la responsabilité de l’exploitant, les réparations ne sont pas plafonnées et le délai de prescription est fixé à 30 ans, aussi pour tenir compte des répercussions de santé qui pourraient se déclarer des années après l’accident.

La «crédibilité» de déi gréng en question

Malgré le bien-fondé de la loi, le CSV, déi Lénk et les pirates reprochent au gouvernement un manque de cohérence. Déi Gréng, parti des ministres Dieschbourg et Turmes, étaient particulièrement visés mardi. En cause : le «faux pas» de la récente attaque contre la Belgique en ce qui concerne le possible enfouissement de déchets nucléaires à proximité de la frontière luxembourgeoise. «Votre crédibilité politique est en jeu», estime Gilles Roth.
Autre fait dénoncé : les 10 % d’énergie nucléaire qui font toujours partie du mélange énergétique du Luxembourg. «Comment convaincre des pays de renoncer au nucléaire si on importe nous-mêmes de l’énergie nucléaire ?», s’interroge Marc Goergen (Parti pirate).
Finalement, David Wagner fustige que le fonds de pension continue à investir dans bon nombre de sociétés actives dans le secteur nucléaire, dont EDF et Engie, exploitants de Cattenom et Tihange. «Le gouvernement est-il vraiment aussi anti-nucléaire qu’il le fait croire ?», questionne l’élu de déi Lénk.
Le «moment historique», vanté par le ministre Claude Turmes, n’est donc pas dépourvu de bémols.

David Marques

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