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Croix-Rouge : «Le bien-être de l’enfant est primordial»


Raymond Schmit.

Problèmes d’éducation, obligation judiciaire de suivi, jeunes en échec professionnel : le service Familljenhëllef de la Croix-Rouge est mandaté par l’État pour prêter assistance à des familles submergées par les difficultés.

Plus qu’un métier, c’est un véritable sacerdoce. Les huit éducateurs spécialisés du service Familljenhëllef de la Croix-Rouge parcourent chaque jour le pays pour venir en aide à des familles qui ne parviennent plus à gérer seules leurs difficultés. Elles sont près d’une soixantaine à être ainsi suivies, pendant plusieurs mois, parfois pendant plusieurs années lorsque la situation l’exige.

« Nous nous occupons beaucoup de familles qui ont des problèmes liés à l’éducation, avec des enfants qui n’obéissent pas, des parents qui ont des difficultés à se faire respecter et à imposer des règles et des limites », explique Liss Streff, éducatrice spécialisée au sein du Familljenhëllef.

Au cours des rendez-vous avec la famille dont elle doit s’occuper (une à deux fois par semaine), la collaboratrice aborde des thèmes sur lesquels les membres doivent réfléchir ou travailler. Un point sera ensuite fait au rendez-vous suivant. «Par exemple, les parents qui ont des difficultés à s’imposer vont essayer de prêter plus attention aux devoirs jusqu’au prochain rendez-vous. Bien sûr, l’évolution n’est pas linéaire. Il faut revenir régulièrement sur les mêmes sujets. »

Les services sociaux sont évidemment aussi confrontés à des situations plus graves, notamment des cas de violence, et à toutes sortes de familles, comme le signale Raymond Schmit, chef de service et lui-même éducateur spécialisé : « On a de tout : des familles issues de toutes les cultures, de tous les milieux socio-économiques. Nous avons eu des bénéficiaires de protection internationale, mais aussi la fille d’un ministre. »

Parfois, le placement de l’enfant s’impose

Si certaines familles peuvent contacter le service de leur propre gré, c’est en général l’Office national de l’enfance (ONE) qui les envoie auprès du Familljenhëllef. À l’instar de services similaires dans d’autres institutions du pays, le Familljenhëllef de la Croix-Rouge est en effet placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale et est donc mandaté par l’État pour accomplir sa mission d’assistance.

« Nous nous occupons aussi de dossiers judiciarisés, qui viennent d’un juge de la jeunesse ou du SCAF (NDLR : Service spécialisé d’accompagnement et de soutien à la parentalité) », précise Liss Streff. « Dans ce cas, c’est un contexte dit « de contrainte » : pour que l’enfant puisse rester au sein du foyer, l’une des conditions à remplir est de travailler avec un service d’assistance aux familles tel que le Familljenhëllef. Il peut y avoir d’autres conditions, comme avoir un suivi psychologique. »

Mais sous la contrainte, le rapport entre les services sociaux et la famille peut parfois être compliqué. « Il nous arrive de devoir écrire au juge pour lui signaler que ça ne fonctionne pas à cause du contexte de contrainte. À lui ensuite de décider si un autre service doit être trouvé ou si l’enfant doit être placé. »

Car si le rôle de Familljenhëllef est d’essayer de trouver des solutions, de rendre la famille « fonctionnelle », « c’est avant tout le bien-être de l’enfant qui prime » et il peut arriver que son placement soit alors décidé. « Avec certaines familles, on peut aboutir à l’idée qu’un placement est ce qu’il y a de mieux pour l’enfant, explique Raymond Schmit. On contacte l’ONE pour obtenir une place en foyer et, dans le cas idéal, on accompagne la famille dans le processus. Mais il y a bien sûr des cas où l’on ne tombe pas d’accord et nous devons faire un signalement au juge. Certains veulent être de bons parents et n’arrivent pas à se résoudre à l’idée que la meilleure place pour leur enfant, c’est à l’extérieur de la famille. »

Chaque année, les professionnels du service font trois à quatre placements. « On est très transparents avec les familles », souligne Raymond Schmit. D’ailleurs, toujours dans un souci de transparence, après trois mois d’intervention, le Familljenhëllef doit rédiger pour chaque famille un rapport destiné à l’ONE dans lequel est décrit le travail accompli et celui qui reste à faire. Ce rapport est fait avec la famille, qui doit le signer.

Garder le recul nécessaire

Chaque intervenant a à sa charge sept ou huit familles. C’est Raymond Schmit qui assure la répartition. « Je tiens compte de plusieurs critères : la langue tout d’abord – nous avons trois éducatrices qui parlent portugais, une qui parle arabe –, mais aussi la distance entre la famille et le domicile de l’éducatrice. J’essaie de donner le Nord par exemple à celle qui vit à Diekirch. Parfois, je tiens compte de l’âge aussi : lorsque des parents sont plus âgés, j’essaie de placer une collaboratrice plus âgée. »

Raymond Schmit essaie aussi autant que faire se peut de tenir compte de l’aspect culturel et des sensibilités. « Je me vois mal me rendre dans une famille arabe pour conseiller une femme seule pendant que son mari travaille par exemple. Il ne s’agit pas non plus de tout imposer, on essaie de composer avec la sensibilité de la famille », explique-t-il.

Et avec celle des collaboratrices aussi. Car lorsque l’une d’entre elles est mère d’un enfant du même âge que celui de la famille dans laquelle elle intervient, cela peut faciliter l’ouverture du dialogue. Mais pour éviter les projections et s’assurer que les éducateurs gardent la tête froide, Raymond Schmit les reçoit chacun une fois par semaine afin de faire le point. « Il faut un certain recul pour s’assurer qu’on travaille bien, qu’on garde le cap sur nos objectifs, qu’on reste neutre dans le cadre d’un conflit.»

Liss Streff. Photos : fabrizio pizzolante

Lorsque la tension est trop grande, les éducateurs s’appellent aussi entre eux. Car les collaborateurs interviennent seuls dans les familles. « Je n’ai jamais eu peur », précise à cet égard Liss Streff. « Si une collaboratrice ne sent pas un entretien, je l’appelle durant le rendez-vous. Elle peut dire « c’est mon chef, je dois décrocher ». Ça suffit généralement à calmer la situation et, en cas d’urgence, je peux aussi me déplacer », indique Raymond Schmit. « Si la situation dans la famille est trop conflictuelle, nous rencontrons les personnes dans nos locaux, à deux, sur notre terrain. »

« Il m’est arrivé d’être très en colère », confie Liss Streff. « Certains hommes se montrent parfois très machos avec moi. Un homme m’a par exemple reproché de vouloir les conseiller lui et sa femme alors que je n’ai pas d’enfants. Je suis restée très professionnelle durant le rendez-vous et lui ai rappelé mes compétences, mais une fois dans la voiture, j’ai appelé une collègue pour évacuer la tension. »

Les collaborateurs du service sont en effet des travailleurs expérimentés, obligés de suivre une formation en conseiller familial en plus de celle d’éducateur gradué et suivent chaque année des formations supplémentaires. Tout en échangeant leurs bonnes pratiques. « On essaie d’avoir une équipe avec des plus jeunes et des moins jeunes pour que l’expérience et le savoir-faire soient transmis », fait savoir le chef de service.

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Quand la digitalisation arrête le progrès

Comme si le tout digital allait de soi… La crise sanitaire a donné un sacré coup d’accélérateur à la digitalisation. Si beaucoup peuvent se réjouir de cette avancée, il y a pourtant toute une frange de la population qui reste exclue du numérique, signalent les services sociaux.

Sans être opposés à la digitalisation, ils alertent sur le fait que celle-ci peut être source d’inégalités et engendrer de grandes difficultés pour des familles qui ne sont pas digitalisées. Elles peuvent passer à côté de certaines aides, par exemple, tant c’est parfois compliqué pour elles de remplir des formulaires en ligne ou de les imprimer faute de matériel adéquat. « Tout le monde n’a pas un ordinateur et une imprimante ! », rappelle, si besoin était, Liss Streff.

Les éducateurs du service Familljenhëllef ont d’ailleurs imprimé quantité de pages de devoirs pour les enfants durant les périodes d’école à la maison, car ils n’étaient pas équipés. Grâce aux dons, ils ont aussi pu leur fournir des tablettes pour suivre les cours.

« On nous oppose souvent le fait que tout le monde passe son temps sur son smartphone, mais essayez de tout faire à partir d’un téléphone ! C’est petit et c’est très compliqué quand il faut scanner des documents ou émettre une signature électronique. Il y a des sites inadaptés à la version mobile, on peut perdre des infos en cours de route quand on essaie de naviguer entre les pages… », illustre Raymond Schmit. « Avec ce bond énorme du digital, l’écart se creuse davantage : ceux qui étaient déjà en retard avant sont encore plus loin derrière les autres maintenant. »

Tatiana Salvan

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