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Chute du mur : les Luxembourgeois racontent la fin d’une époque


La chute du mur, c'était il y a trente ans. Des responsables luxembourgeois nous racontent leur vécu (Photo d'archives : AFP).

En 1989, Hubert Wurth était le diplomate luxembourgeois en poste à Moscou. Il nous raconte les évènements vus de Russie. Jean-Claude Knebeler, l’actuel ambassadeur, avait douze ans à cette époque.

Il était seul devant son téléviseur et suivait les évènements à moitié surpris. Hubert Wurth était ambassadeur en poste à Moscou en novembre 1989 et suivait les images de CNN, la seule chaîne internationale que l’ambassade captait à l’époque par satellite. «C’était une soirée tranquille», se souvient-il. Il s’attendait à ce que la vague de démocratisation, formée en Pologne, grossisse et vienne inonder l’ensemble du bloc de l’Est.

Hubert Wurth (photo : Isabella Finzi).

Hubert Wurth (photo : Isabella Finzi).

«J’étais aussi ambassadeur non résident à Varsovie et j’avais suivi dès septembre 89 le changement de régime. Il était clair que la Pologne ne serait pas seule à bouger.» Hubert Wurth admet que c’était un sujet de conversation entre diplomates en poste à Moscou, des discussions «qui avaient lieu dans des endroits très confidentiels», précise-t-il.
Lors de ces échanges, il lui est apparu comme une évidence que les Russes voulaient rejoindre la communauté des nations et «devenir un pays comme les autres», être considérés comme «un pays ami et pas hostile».

«Gorbatchev était un porte-parole de cette opinion et avait lancé son processus de démocratisation», rappelle le diplomate, aujourd’hui retraité. «J’ai toujours eu cette impression que la population en Russie n’était pas la même qu’en Allemagne de l’Est, il n’y avait pas la même euphorie. Des gens voulaient aussi ce changement à Moscou et ils ont vécu cette journée dans une expectative», se souvient-il.
Il était loin de s’imaginer que l’URSS allait se désintégrer dans les deux ans qui ont suivi la chute du Mur même s’il avait «vaguement cette impression que les choses allaient très loin». L’ancien diplomate retient surtout de cette période que des changements rapides se sont produits «avec peu d’usage de la violence». «Ce n’est pas pour rien que Gorbatchev a reçu le prix Nobel de la paix.» De ce jour du 9 novembre 1989, il se souvient quand même être resté «bouche bée», devant sa télé. «Tous attendaient de voir comment cela allait évoluer.» Le diplomate avait compris la frustration des Russes de ne pas être admis eu sein de «la famille internationale» et après la chute du Mur, il a senti le changement. «C’est devenu intéressant de travailler sur place à Moscou car les contacts étaient devenus faciles, et l’ensemble des diplomates ont eu l’occasion de dire qu’une amitié réelle pouvait se dégager et cela faisait partie de cette dynamique», conclut Hubert Wurth.

«Les souvenirs de Poutine ne sont pas positifs»

Jean-Claude Knebeler n’avait pas encore tout à fait achevé sa revue de presse du matin quand nous l’avons contacté à l’ambassade du Luxembourg à Moscou, mercredi matin. Mais ce qu’il a pu constater ces derniers jours lui fait dire que les 30 ans de la chute du Mur «ne semble pas être un sujet dans la Russie d’aujourd’hui». L’ambassadeur du Luxembourg a vécu la chute du Mur devant la télé chez ses parents, il avait à peine douze ans : «Je me souviens très bien des images», confie-t-il.
«Pour célébrer cet anniversaire, il y aura une réception à l’ambassade d’Allemagne», selon son agenda. «Les Russes ont tendance à ne pas marquer officiellement des évènements qui n’ont pas de connotation positive pour l’État et la chute du Mur représentait une étape vers la fin, vers le retrait des troupes soviétiques en Allemagne.»
Le diplomate en poste depuis août 2016 observe que la chute du Mur est un geste que certains Russes regrettent d’avoir concédé. «Vladimir Poutine était à Dresde lors des évènements à Berlin et ses souvenirs ne sont pas positifs. Dans son livre paru en 2001 il décrit cette journée quand les manifestants ont voulu prendre d’assaut les archives des services secrets et Moscou était silencieuse.» Jean-Claude Knebeler ne voit pas comment les Russes pourraient marquer l’évènement. «Ils vont au mieux l’ignorer de façon bienveillante», suppose-t-il.

Geneviève Montaigu

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Ils témoignent

(Photo : Isabella Finzi)

Charles Goerens (Photo : Isabella Finzi)

• Charles Goerens (député européen) : « Le jour de la chute du Mur, je me trouvais à Lisbonne pour assister à une réunion de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, institution que je présidais à l’époque. J’ai pu échanger avec le Premier ministre portugais avant de regagner le Luxembourg en avion. Arrivé à l’aéroport, j’ai récupéré ma voiture et tout de suite allumé la radio pour suivre les évènements à Berlin. Avant la chute du Mur, j’ai eu l’occasion de me déplacer régulièrement à Berlin. Sur place, j’avais des échanges avec le corps diplomatique et l’ambassade des États-Unis. Vu que le temps me le permettait, je suis passé de l’autre côté du Mur. Une atmosphère bizarre régnait à Berlin-Est. Même si la vie quotidienne suivait son cours, on sentait que les gens ne pouvaient pas se déplacer librement. À cette époque, je lisais attentivement la presse internationale. Certains journalistes suivaient de très près la situation à Berlin et on sentait que quelque chose allait se passer. L’issue fut heureuse car il n’y a pas eu de mort. Par contre, l’évolution économique après la chute du Mur n’a pas été aussi positive. »

• Christian Kmiotek (président de Déi Greng) : « Ma première visite à Berlin date de décembre 1988. On est passés en Allemagne de l’Est où j’ai pu rencontrer quelques dissidents. Cela m’a beaucoup marqué. En 1989, j’ai suivi de près la chute de Honecker et les grandes manifestations citoyennes. La question qui se posait était de savoir si les soldats allaient finir par tirer sur les manifestants. La chute du Mur, je l’ai vécue devant ma télévision. Cela fut une grande joie. Mais le clou, c’était qu’on avait réservé un autre voyage à Berlin pour la fin 89. On a alors pu revoir les gens rencontrés un an plus tôt. Ce qui m’a frappé était que les soldats qui surveillaient les points-frontières avaient l’air bien moins sévères. On sentait déjà que la Réunification allait se faire. L’ambiance était très particulière. Des millions de citoyens de l’ex-RDA ont investi Berlin-Ouest. La ville n’était pas prête à accueillir un si grand nombre de personnes. Mais pour les gens, c’était un peu comme visiter Disneyland (il sourit) ».

• Martine Hansen (chef de fraction CSV) : « La chute du Mur, je l’ai suivie devant ma télévision. Mais j’ai eu l’occasion de régulièrement visiter l’ex-RDA dans les mois suivant l’ouverture des frontières. Mon compagnon de l’époque travaillait pour l’ARBED qui venait d’acquérir l’usine sidérurgique de Saalfeld. Il a été détaché pour deux ans en Allemagne de l’Est. Pendant ce temps, je lui ai rendu visite chaque deuxième week-end. Sur la route, on voyait de nombreux chantiers. Il fallait aussi faire attention aux « Trabi » (NDLR : voitures symboliques de l’ex-RDA) qui roulaient à peine à 90 km/h sur l’autoroute (elle rit). J’ai rencontré des gens très sympathiques. Ils n’étaient toutefois pas très ravis de voir un investisseur étranger racheter leur usine. Le soulagement de la chute du Mur s’est pour certains transformé en nostalgie. Dans l’usine, chacun portait encore un bleu de travail uniforme. Les citoyens n’étaient pas libres en RDA, il y avait des espions, on ne pouvait faire confiance à personne, mais l’État prenait soin d’eux. Tout n’était pas mauvais. Lorsqu’un ouvrier tombait malade, il obtenait de la visite, les épouses recevaient des fleurs. Les fêtes des Mères et des Pères furent célébrées en grande pompe. Mais le chômage est grimpé en flèche, ce qui a rapidement provoqué des manifestations. Cette frustration se fait encore remarquer aujourd’hui avec la montée dans l’est de l’Allemagne de l’extrême droite. »

• Jean Asselborn (Ministre des affaires étrangères) : « Je me trouvais à Bruxelles avec une délégation de la Chambre des députés. Nous étions à l’ambassade avec Jos Weyland, qui était représentant permanent du Luxembourg auprès des Communautés européennes. Nous avons tous regardé les premières images le soir à la télévision de la chute du Mur et je me trouverai ce samedi à Berlin pour les festivités autour de cette commémoration. »

(Photo : Hervé Montaigu).

(Photo : Hervé Montaigu).

• Fernand Kartheiser ( député ADR) : « La chute du Mur, je l’ai vécue devant ma télévision. Mais j’ai été amené à me rendre deux jours plus tard à Berlin. On voyait encore les « Trabi » décorés avec des fleurs rouler sur les chaussées. On ressentait qu’il y avait de la tension dans l’air. Le calme était tout relatif. Mais c’est bien le contexte politique global qui m’a le plus impressionné. On venait d’assister à un basculement de l’histoire. À l’époque, j’étais encore officier de l’armée. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre régulièrement à Berlin avant la chute du Mur. Mais en tant qu’officier, ce n’était pas l’époque de passer la frontière. Pendant toutes ces années de guerre froide, j’étais prêt à contrer toute attaque venant des pays de l’Est réunis dans le pacte de Varsovie. Mais avec la chute du Mur, l’ennemi avait disparu du jour au lendemain. Les évènements du 9 novembre 1989 m’ont également amené à changer de carrière et d’intégrer le corps diplomatique. »

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