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Bertrand Piccard : «Nous avons déjà 295 solutions» pour le climat


«Toutes les solutions sont là. Elles ne sont pas connues ni utilisées, mais elles sont là», expliquait mardi Bertrand Piccard. (photo Editpress/Isabella Finzi)

Invité par BGL BNP Paribas, Bertrand Piccard a évoqué mardi son tour du monde avec son avion entièrement propulsé à l’énergie solaire, mais surtout son dernier projet, les «#1000 solutions pour protéger l’environnement de manière rentable». Entretien.

On parle de développement durable depuis des années et notamment depuis la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, plus connue sous le nom de sommet de la Terre de Rio, qui s’est tenue au Brésil en juin 1992. Pourtant, il semble que les choses n’ont pas vraiment avancé…

Ce qui est incroyable, c’est que l’on est dans un état encore plus grave qu’au moment de Rio en 1992. Et comme les réactions augmentent de manière linéaire et le problème de façon exponentielle, à chaque minute qui passe, l’écart entre ce que l’on fait et ce que l’on devrait faire augmente. Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait, mais le problème est encore plus grave qu’il ne l’était à l’époque parce que les réactions n’ont pas suffi. Ce qui s’est passé, en 1992, c’est que les solutions n’étaient pas rentables. Par conséquent, cela coûtait très cher de pouvoir réagir. Les énergies renouvelables étaient beaucoup plus chères que les énergies fossiles. Nous n’avions pas non plus les technologies pour assurer une efficience énergétique. Tout cela est venu peu à peu. Après, il y a certaines décisions qui auraient dû être prises déjà à l’époque par les États au niveau du plastique dans les océans, au niveau de la pollution de l’air, des antibiotiques dans la nourriture, au niveau des inégalités qui sont inacceptables dans notre monde, car cela ne nécessite pas de nouvelles technologies pour le faire. Ça n’a pas été fait, mais c’est ainsi que l’humain est construit, sa nature est ainsi faite. On attend une crise pour réagir, on attend qu’il soit trop tard pour s’inquiéter et on ne réagit que si l’on est obligé et poussé à le faire. Spontanément, il n’y a pas beaucoup d’êtres humains qui aiment le changement.

On marche complètement sur la tête aujourd’hui et il est urgent de réagir

La sphère politique a également tardé à prendre au sérieux la situation climatique, non ?

On a vu dans le monde politique un court-termisme, un laxisme, une complaisance, une paresse qui sont totalement inacceptables. On arrive à un stade où l’on ne fait même plus du capitalisme. Parce que le capitalisme est là pour augmenter le capital. Aujourd’hui, on diminue le capital, on diminue le capital humain en écrasant les gens avec des salaires minimaux. Les gens n’arrivent même plus à terminer leur mois. On détruit le capital nature en détruisant l’environnement, on détruit le capital des ressources naturelles, on détruit le capital santé… On marche complètement sur la tête aujourd’hui et il est urgent de réagir, avec des technologies pour tout ce qui est énergie renouvelable et efficience énergétique, mais aussi avec du bon sens politique, qui manque considérablement.

Comment considérez-vous la prise de conscience environnementale chez les jeunes qui ont récemment massivement manifesté pour cette cause ?

C’est fondamental que les jeunes parlent enfin au monde politique avec des mots un peu moins diplomatiques que ce qui a été utilisé jusqu’à aujourd’hui. Je suis admiratif de ce que les jeunes ont réussi à faire en une année en poussant les gouvernements à enfin commencer à déclarer des urgences climatiques. Mais le monde politique commence aussi à réagir parce que les jeunes sont des électeurs.

Selon vous, que devons-nous faire pour faire bouger les lignes ?

Un axe de bon sens est d’interdire ce qui est clairement dangereux pour la santé des citoyens, des lecteurs, des clients, etc. Cela concerne la qualité de l’alimentation, les plastiques dans les océans, la qualité de l’air, etc. Puis il y a un autre axe, celui de mettre en place des standards environnementaux et énergétiques beaucoup plus ambitieux pour pouvoir tirer toutes les solutions énergétiques rentables vers le marché. Car aujourd’hui il est autorisé de mettre autant de CO2 que l’on veut dans l’atmosphère. Il n’y a aucune limite et cela n’est pas normal. Avec ma fondation, Solar Impulse, nous sommes en train de sélectionner mille solutions qui sont technologiquement fiables, crédibles et rentables financièrement tout en protégeant l’environnement. Mais pour qu’elles arrivent sur le marché, il faut que les standards énergétiques et les normes environnementales favorisent leur implémentation. Aujourd’hui les gouvernements ne le font pas. Ce qui est intéressant, c’est que l’Europe fait plus que les gouvernements nationaux, car elle n’est pas élue là où elle officie. Donc, elle peut se permettre d’être beaucoup plus ambitieuse dans les standards, alors que dans les pays où les gouvernements rendent des comptes directement à la population ils n’osent pas du tout prendre les mesures qu’il faut. Il y a cette frilosité qui va leur coûter cher.

Vous avez parcouru le monde. Avez-vous trouvé un pays ou un lieu plus avancé que les autres sur les questions climatiques ?

La Californie, indiscutablement. Elle a deux fois plus de croissance économique que le reste des États-Unis et elle a stabilisé ses émissions de CO2 par des règlements d’efficience énergétique et des énergies renouvelables. La Scandinavie fait beaucoup mieux que les autres aussi.

Investir aujourd’hui dans des énergies fossiles, c’est favoriser des actifs pourris

Au Luxembourg, place financière, on parle beaucoup de la finance durable. Est-ce selon vous utile à la lutte contre le changement climatique ?

Elle est totalement nécessaire et il y a quelques grands acteurs qui se sont engagés. BNP Paribas a clairement annoncé, preuve à l’appui, qu’elle se désinvestit progressivement des énergies fossiles pour investir dans le renouvelable et l’efficience énergétique. C’est un excellent message, car cela montre que c’est rentable de le faire. Investir aujourd’hui dans des énergies fossiles, c’est favoriser des actifs pourris comme les subprimes. En 2008, les subprimes ont créé une crise financière terrible parce que tout le monde les a vendus au moment où leurs détenteurs ont réalisé que ça valait moins que ce qui était coté. Aujourd’hui, tout ce qui est actifs et investissements dans les énergies fossiles vaut beaucoup moins que ce qui est coté, simplement parce que l’on ne va pas utiliser toutes les réserves, parce qu’il y aura des taxes carbone, que les gens ne vont pas continuer à utiliser des énergies fossiles alors que le renouvelable est moins cher. Par conséquent, tout à coup, les investissements dans les énergies fossiles vont s’écrouler et cela va faire une crise financière si les entreprises ne se diversifient pas avant. Donc, il est extrêmement important que le monde de la finance pousse et force les entreprises avec des activités dans les énergies fossiles à se diversifier dans le renouvelable et l’efficience énergétique. Il y a des sociétés qui le font déjà et qui n’ont pas besoin d’être forcées, comme par exemple Engie qui aujourd’hui se désinvestit du fossile et gagne plus d’argent en conseillant les clients en matière d’efficience énergétique qu’en vendant de l’énergie.

La lutte climatique passe également par des gestes au quotidien. Lesquels conseilleriez-vous ?

Je pense qu’il faut économiser l’énergie chez soi de toutes les manières possibles. C’est-à-dire, privilégier les ampoules à led, les pompes à chaleur, faire attention à l’isolation des bâtiments, rendre les bâtiments intelligents, etc. Tout cela, c’est énorme parce que le bâtiment représente 40 % des émissions de gaz carbonique dans le monde. On peut en tout cas diviser par deux les émissions de CO2 chez soi dans son logement. Ensuite, au niveau de la consommation, il faut consommer plus local. Je pense qu’il faut renoncer à tout ce qui est lié à la déforestation. Donc, arrêter de consommer des produits avec de l’huile de palme, tout comme le soja brésilien et la viande brésilienne. Il faut avoir conscience de ce que l’on consomme : on ne peut pas consommer n’importe quoi.

Pouvez-vous en dire plus sur ce projet de trouver 1 000 solutions technologiquement fiables, crédibles et rentables financièrement pour protéger l’environnement ?

Avec ma fondation, on se concentre à fond sur les 1 000 solutions. C’est très intéressant, car l’on voit qu’il y a une grande créativité, notamment dans les start-up, dans le monde entier. Toutes les solutions sont là. Elles ne sont pas connues ni utilisées, mais elles sont là. Les gouvernements ne savent même pas qu’elles existent et elles restent souvent à l’état de start-up. Le but est donc d’apporter ces 1 000 solutions aux chefs d’État – cela va être un nouveau tour du monde – pour leur dire : voilà les solutions que vous pouvez utiliser, voilà les outils, maintenant vous n’avez plus d’excuse.

Avez-vous déjà identifié ces 1 000 solutions ?

Pour le moment, nous avons 295 solutions qui sont labellisées par notre fondation, c’est-à-dire qu’elles sont crédibles et rentables. Elles sont sur notre site internet.

Site internet : solarimpulse.com
Entretien avec Jeremy Zabatta

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