L’audition du policier poursuivi pour avoir empoisonné sa sœur et son beau-frère en 2016 s’est poursuivie vendredi. Cela ne s’est pas fait en trois coups de cuillère à pot. Il y a des détails qui dérangent.
– «Pourquoi vouliez-vous liquider la soupe?
– Je voulais me changer les idées, esquiver la situation…
– Cela vous a pris tout au plus trois secondes.
– Je ne sais pas pourquoi vous revenez toujours sur cette soupe…»
Ceux qui pensaient que l’audition du policier poursuivi pour avoir empoisonné sa sœur et son beau-frère dans son appartement à Bereldange, le 25 septembre 2016, ne durerait plus toute l’audience vendredi s’étaient trompés. La 13e chambre criminelle n’avait pas fini de cuisiner le prévenu Gilles L. (30 ans). Loin de là.
Cette histoire de soupe qui a disparu lors de l’opération des secours n’est peut-être qu’un détail dans ce dossier. Le couple avait en effet été pris d’un malaise foudroyant juste avant de passer à table, après avoir avalé l’apéro Get 27 sur la terrasse. Toujours est-il qu’un certain agacement était palpable quand la présidente y a une nouvelle fois confronté le prévenu vendredi matin, au 7e jour du procès. Et d’ajouter : «Sur un lieu de crime, on conserve tout.» Surtout quand on sait que le prévenu travaillait dans la police à l’époque.
Voyage en Thaïlande : «Je me sentais trahi»
«J’ai commis une énorme erreur», répétera Gilles L. à la barre. La réplique de la présidente ne s’est pas fait attendre : «Une erreur mène à un accident, et alors on se comporte différemment… Mais à entendre les secours dépêchés sur place, vous n’avez manifesté aucune réaction.»
La question qui ne le lâchera pas de sitôt était celle de son intention. Pourquoi a-t-il versé quelques gouttes dans l’apéro du couple? «Je me sentais trahi. Ma sœur m’avait demandé si je voulais les accompagner en Thaïlande. Et puis j’ai appris que ce sont les beaux-parents qui devaient les accompagner lors de ce voyage…» D’où l’idée de leur «pourrir» les vacances avant leur départ. À l’époque, il aurait été convaincu de leur administrer de la toxine botulique, qui d’après ses lectures, devait provoquer des nausées et diarrhées. Ce n’est qu’après l’analyse toxicologique des victimes qu’il avait compris qu’on lui avait envoyé du cyanure de potassium lors de sa deuxième commande sur le darknet.
De l’enquête, il ressort que dès la mi-juin 2016 Gilles L. s’était intéressé aux différentes sortes de poisons sur internet. Et il ne s’était pas que concentré sur les intoxications alimentaires, comme il avait tenté de le faire avaler aux juges la veille. Peut-être pas la meilleure idée… quand on a face à soi une présidente qui connaît le dossier sur le bout des doigts. Elle ne manquera pas vendredi de lui rappeler la question qu’il avait posée sur le forum «Hidden Answers» sur le darknet le 17 juin : «En écrivant « I’m looking for », vous recherchiez bien un poison qu’on ne peut pas facilement détecter lors d’une autopsie.» Et de compléter : «Et on sait que le cyanure de potassium disparaît très vite s’il n’est pas conservé à temps.»
«Mais j’ai appelé l’ambulance», se défendra le prévenu. Ce qui fera bondir la parquetière : «Vous dites toujours avoir appelé le 112. Mais pourquoi n’avez-vous rien fait? À l’arrivée des secours, votre beau-frère se trouvait dans une position semi-assise…» Une preuve qu’il ne s’est pas occupé de lui. Par la suite, il avait aussi fait miroiter aux secours que le couple avait bu de la liqueur de noix lors de sa randonnée.
Une proposition d’achat deux jours après la mort…
Qu’il ait proposé à un collègue d’acheter l’appartement de sa sœur deux jours après sa mort ne plaide pas non plus en sa faveur. Pour la chambre criminelle, cela a pourtant tout d’une «question très orientée» avec un «côté pratique». Une question qui peut pointer l’éventuel mobile de son acte. Mais Gilles L. dit ne plus s’en souvenir. Quant à ses remarques lâchées à certains de ses collègues – quand il sortirait de prison, il aurait 51ans, ce serait O. K. s’il était envoyé à la retraite, ou encore qu’avec l’argent, il pourrait aller à Ibiza… –, il dira : «C’était une réaction de protection pour paraître souverain face aux autres.» «Quelqu’un qui planifie quelque chose de si perfide ne fait pas de telles anecdotes!», dira-t-il encore.
La présidente reviendra à la charge : «Vous écartez le motif de l’argent, mais l’explication du voyage vous ne l’avez apportée que lors de votre cinquième comparution devant le juge d’instruction fin mars 2018.»
Les enquêteurs avaient émis l’hypothèse qu’avant de proposer le Get 27 empoisonné à sa sœur et son beau-frère chez lui à Bereldange, le policier avait fait d’autres tentatives. «C’est étonnant qu’après la première livraison de poison fin août vous ayez proposé à votre sœur d’apporter un jus de pastèque fait maison. Une boisson que vous n’avez pas bue, semble-t-il.» La parquetière appuie ses observations sur un échange de SMS. Le lendemain de la soirée qui s’était terminée par des maux de ventre, Gilles L. s’était renseigné pour savoir comment ils allaient. «Pourquoi votre sœur écrit-elle que la seule chose que vous avez mangé tous les trois est le melon-jambon. Sans doute parce que vous n’aviez pas goûté au jus de pastèque. Autrement le SMS de votre sœur n’aurait pas de sens…»
«Je conteste votre théorie», dira le prévenu après avoir détourné un court instant son regard des magistrats. «C’est seulement lors de ce repas qu’on a parlé beaucoup de leurs vacances en Thaïlande et que ma plaie s’est rouverte. L’idée m’est alors revenue…» Ce détail, la chambre criminelle ne l’avait pas encore entendu dans l’audience de la veille…
Le procès se poursuit mardi matin.
Fabienne Armborst
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