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Audience de Me Vogel :  le ton fait la musique


Me Vogel et un de ces deux conseils, Me Prum, à leur arrivée à la Cité judiciaire vendredi. (photo Fabrizio Pizzolante)

Ce qui devait être une audience sur l’incitation à la haine raciale a tourné au débat politique sur l’insécurité et la mendicité organisée. Me Vogel aurait-il réussi son coup ?

Des «racailles», «dégueulasses et insolents» venus de «la lointaine Roumanie» «rackettent» les passants dans «une ville minable» «en passe de devenir le vomissoir de la mendicité». Le 5 août 2015, Me Vogel, habitué des prises de position tranchées et tonitruantes, jetais un pavé dans une mare nauséabonde sans crainte d’être éclaboussé. RTL et le Lëtzebuerger Journal ont publié la lettre ouverte et les réactions n’ont pas tardé à affluer. Bourgmestre de Luxembourg, ministre de la Justice de l’époque, police grand-ducale, ambassade de Roumanie et Ligue des droits de l’homme en tête qui finira par porter plainte contre le ténor du barreau, craint tant pour ses colères que pour la précision de ses envois à la fin desquels, souvent, il touche. Pour certains Luxembourgeois, il n’est meilleur avocat et être représenté par «Vulle Gast» est signe de réussite. Vendredi encore, à la barre de la 19e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg où il était entendu pour discrimination et incitation à la haine et à la violence raciale et ethnique, l’octogénaire n’a pas failli à sa réputation.

Dès le début de cette première audience, l’avocat, assisté par Me Prum et Me Lorang, a tenu à livrer des déclarations préliminaires. Il se plaint d’une «inversion des valeurs» et d’un «procès surréaliste, absurde et dadaïste». Il dit avoir «été envahi par un océan de colère» à force, au quotidien, de trouver «cinq ou six Roms avec trois chiens, des bouteilles et des immondices» au pied de son cabinet dans la Grand-Rue de Luxembourg. Il ne s’agissait pas d’inciter à la haine, selon l’avocat au bord de l’explosion, mais d’alerter sur cette criminalité en bande organisée qui repose sur la traite des êtres humains. De son poing, il martèle ses propos à la barre : «Je rejette avec mépris tout soupçon de racisme et de xénophobie de ma part. Je suis un homme de gauche. Mes écrits et mes conférences sur les Tsiganes sont là pour en témoigner. (…) Me reprocher cela, c’est presque faire de moi un assassin!»

Depuis sa lettre ouverte, la situation concernant la mendicité organisée ne se serait pas améliorée dans les artères commerçantes de la capitale. La bourgmestre Lydie Polfer, venue témoigner avec un de ses échevins, Laurent Mosar, le confirme. Elle se sent pieds et poings liés, impuissante tandis que le sentiment d’impunité des réseaux croîtrait. Le procès a rapidement tourné au sempiternel débat politique sur l’insécurité dans les rues de la capitale, dont la mendicité organisée fait partie. Dans son témoignage, la bourgmestre a soulevé la question du fameux «Platzverweis» qui tarde à venir et donnerait à la police une base légale pour pouvoir intervenir. «Mais qui contrôle qui les amène le matin et les récupère le soir?, interrompt le prévenu. Rien ne se passe.» Cela permettrait de constater les faits de bandes organisées, interdites par la loi contrairement à la mendicité individuelle, a-t-il indiqué quelques minutes avant de quitter la salle d’audience.

Des débats «à côté de la plaque»

Il y aurait des enquêtes en cours en collaboration avec les autorités françaises, mais la police grand-ducale manquerait de preuves concrètes et de moyens pour mettre la machine judiciaire en marche. Elle aurait procédé à des centaines d’arrestations et à des saisies d’argent, mais cela ne mènerait à rien, selon René Lindenlaub, directeur central de la police. «Ils sont entraînés et sentent la police. Leur première règle est de ne pas nous faire confiance.» Ce qui compliquerait encore plus le travail d’observation des policiers dont la tâche serait ardue. Même si elle connaît la chaîne de commandement et le fonctionnement opaque de l’organisation des exécutants aux chefs. L’argent ainsi gagné rapporterait davantage en Europe centrale que les revenus de la prostitution. Donner de l’argent à ces personnes équivaudrait à encourager la traite des personnes issues de cette ethnie.

Le procureur recentre les débats en rappelant que la mendicité en bande organisée n’était pas l’objet de l’affaire. Claude Weber, président de la Ligue des droits de l’homme, a évoqué des débats «à côté de la plaque» qui n’auraient rien à voir avec l’objet de sa plainte. Constitué partie civile, il demande une réparation morale sous la forme de publication du jugement à venir et des conclusions du tribunal par les deux médias incriminés.

Le thème de la criminalité en bande organisée avait été soulevé pour confirmer ou infirmer les propos du prévenu qui se «serait exclusivement livré dans sa lettre à une exhortation à la politique d’agir», selon Me Lorang. Le ton employé à dessein par Me Vogel dans sa lettre ouverte a fait mouche. Reste que la question centrale et celle de la liberté de la presse à relayer la lettre ouverte n’ont pas été abordées vendredi. Une deuxième audience est prévue le vendredi 15 octobre.

Sophie Kieffer

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