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La capitaine du Sea-Watch arrêtée après avoir forcé le barrage de Lampedusa


La capitaine Carola Rackete a été escortée par les policiers sans menottes aux poignets. (Photo AFP)

La jeune capitaine du Sea-Watch, Carola Rackete, a été arrêtée dans la nuit de vendredi à samedi après avoir accosté de force dans le port de Lampedusa pour faire débarquer 40 migrants secourus il y a 17 jours au large de la Libye.

Le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini (extrême droite), a dénoncé « un acte criminel, un acte de guerre » en réclamant la prison ferme pour l’Allemande de 31 ans et en promettant le placement sous séquestre à long terme du navire et une forte amende pour l’ONG.

Mercredi, la capitaine du navire humanitaire, affirmant ne pas craindre la prison, avait forcé le blocus des eaux italiennes imposé par Matteo Salvini en vertu d’un décret-loi entré en vigueur mi-juin, mais avait dû s’arrêter en face du petit port. Après 60 heures « incroyablement tendues » pour les migrants à bord, selon ses termes vendredi, Carola Rackete a finalement choisi de forcer le passage au beau milieu de la nuit, obligeant la vedette de la police postée le long du quai à s’éloigner. « Si on était restés, (le Sea-Watch) aurait détruit la vedette », a commenté un policier qui se trouvait à bord.

Jusqu’à 10 ans de prison d’après les médias

Peu après, la jeune femme a quitté le navire encadrée par des agents, sans menottes. Selon les médias italiens, elle risque jusqu’à 10 ans de prison. Des habitants et militants étaient rassemblés sur le quai, les uns pour acclamer l’arrivée du navire, les autres applaudissant l’arrestation aux cris de « Les menottes! », « Honte! », « Va-t’en! », « J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres ».

Si les pêcheurs et les habitants de Lampedusa ont été en première ligne de l’accueil des migrants depuis près de 30 ans, la Ligue de Matteo Salvini a obtenu 45% des voix aux élections européennes de mai sur l’île.

Entendue par le parquet dans les 48 heures

Après plusieurs heures dans les locaux de la police, Carola Rackete a été placée aux arrêts domiciliaires dans la matinée. Elle doit être entendue par le parquet dans les 48 heures, a expliqué à la presse son avocat, Leonardo Marino, qui l’a trouvée « fatiguée et stressée ».

« Les raisons humanitaires ne peuvent pas justifier des actes inadmissibles de violence envers ceux qui portent l’uniforme en mer pour la sécurité de tous », a commenté dans les médias le procureur d’Agrigente (Sicile), dont dépend Lampedusa, Luigi Patronaggio.

« Nous sommes fiers de notre capitaine », a écrit sur les réseaux sociaux le président de l’ONG allemande, Johannes Bayer. « Elle a exactement fait ce qu’il fallait, elle a insisté sur le droit de la mer et a mis les gens en sécurité ».

Plus de 200 migrants en deux semaines

En effet, les 40 migrants ont pu débarquer à l’aube, certains tout sourire, d’autres en larmes, pour être conduits dans le centre d’accueil de l’île. Après d’intenses échanges diplomatiques, ils devraient être répartis entre cinq pays européens (France, Allemagne, Portugal, Luxembourg et Finlande).

Malgré la fermeté affichée par Matteo Salvini, le centre n’était pas vide: Lampedusa a vu débarquer plus de 200 migrants pendant les deux semaines où le Sea-Watch est resté bloqué au large de l’île. Juste après, le Sea-Watch, conduit par les garde-côtes sous le contrôle de la police, est reparti pour s’ancrer au large afin de ne pas encombrer le petit port.

Avec d’autres parlementaires de gauche, Graziano Delrio, ancien ministre de tutelle des ports et des gardes-côtes de 2015 à 2018, au plus fort des arrivées de migrants, campait sur le pont depuis jeudi pour réclamer le débarquement des migrants. « La souffrance de ces gens est finie », s’est-il réjoui, en comparant les actes de la capitaine à ceux d’une ambulance grillant un feu rouge pour secourir un blessé.

Des réactions en Allemagne et au Luxembourg

En Allemagne, Heinrich Bedford-Strohm, chef de l’Eglise protestante, donateur de l’ONG Sea-Watch, a dénoncé l’arrestation comme « une honte pour l’Europe », tandis que le chef des Verts, Robert Habeck, assurant que le vrai « scandale » était les noyades en Méditerranée et l’absence d’alternative pour les migrants.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a demandé samedi après-midi une « clarification rapide » des accusations pesant contre Carola Rackete. « Sauver des vies est une obligation humanitaire. Le sauvetage en mer ne doit pas être criminalisé », a-t-il plaidé, tout comme son homologue luxembourgeois, Jean Asselborn, tandis que le ministre français de l’Intérieur, Christophe Castaner, estimait que la politique italienne de fermeture des ports était contraire au droit maritime.

« L’Italie n’accepte de leçons de personnes », a répliqué Matteo Salvini. Toute la semaine, il a martelé que les migrants du Sea-Watch, secourus dans la zone relevant des garde-côtes libyens, par une ONG allemande à bord d’un navire battant pavillon néerlandais, n’avaient rien à faire en Italie. « L’objectif est de ramener tout le monde sur le continent africain », a-t-il insisté samedi, même si son collègue des Affaires étrangères, Enzo Moavero, a estimé vendredi, comme les ONG et l’ONU, que la sécurité des migrants ramenés en Libye n’était pas garantie.

La fermeté affichée par Matteo Salvini contre les ONG n’empêche pas les arrivéesb: selon les statistiques de son ministère, près de 500 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes pendant les deux semaines de la crise du Sea-Watch, dont une petite moitié à Lampedusa, où ils sont arrivés par leurs propres moyens à bord d’embarcations de fortune. Et malgré les difficultés du Sea-Watch, deux autres navires humanitaires, l’Open Arms de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms et l’Alan Kurdi de l’ONG allemande Sea-Eye étaient samedi en route vers la zone des secours au large de la Libye.

Une levée de fonds en soutien

Le comédien Jan Boehmermann et l’animateur Klaas Heufer-Umlauf ont lancé un appel aux dons pour aider l’équipe de l’ONG, exprimant leur indignation face à l’arrestation de Carola Rackete. Dimanche à midi, les dons s’élevaient à 355.286 euros. « Nous sommes convaincus qu’une personne qui sauve des vies n’est pas une criminelle », a plaidé Jan Boehmermann dans une vidéo diffusée sur YouTube. « Quiconque pense le contraire a tout simplement tort », a-t-il ajouté accusant le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini d’ « abuser des sauveteurs en Méditerranée pour changer les mentalités contre les réfugiés, contre l’UE, et en faveur d’une politique inhumaine ».

LQ/AFP

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