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Luxembourg : paroles d’artisans


Le Marché des créateurs se tenaient ce week-end au Mudam. Trois artisans se sont confiés au Quotidien sur leur parcours et leur passion (Photo : Tania Feller).

Ce week-end s’est déroulée la 18e édition du Marché des créateurs, évènement qui trouve son public au Mudam à un rythme bisannuel. Là, designers locaux et internationaux s’exposent avec des éditons limitées et autres objets aux disciplines variées (céramique, bijou, illustration, édition…). Le Quotidien donne la parole à certains d’entre eux, du fabricant de skates aux décoratrices d’intérieur, en passant par un DJ reconverti dans l’art visuel.

«Pour moi l’artisanat c’est une bulle d’oxygène»

(Photo : Tania Feller)

(Photo : Tania Feller)

Dès l’entrée de ce Marché des créateurs, les curieux se pressent devant le stand bien particulier d’Olivier Pesch. En effet, ses superbes planches de skates dénotent dans le paysage, essentiellement garni de bijoux et vêtements. «Oui, le public est difficile à saisir, lâche-t-il, sourire aux lèvres. Il est plutôt rare de tomber sur quelqu’un qui pratique cette discipline.» Malgré tout, les échanges avec les visiteurs sont nombreux, et «intéressants», ces derniers se questionnant notamment sur cette photo de chat, lascif, trônant sur sa table. «Lui, c’est Marcel!, explique-t-il. Il y a deux ans, j’avais au départ dans l’idée de créer des jouets pour chat. C’est seulement quand j’ai réalisé ma première planche que j’ai décidé d’utiliser son nom pour la marque.» Ce sera donc «Marcel’s SK8-Shapes» qui, pour brasser plus large, propose aussi quelques t-shirts «fashion», au succès notable – plusieurs sont partis durant le week-end.
Après un premier salon, en novembre, près de Mondercange, Olivier Pesch découvre donc celui du Mudam pour la toute première fois, sans se soucier du temps passé à discuter, et sans être bloqué sur ses ventes. C’est que cet artisanat, c’est «une activité complémentaire». Son métier, le précise-t-il, c’est le cinéma. «Je réalise des courts métrages d’animation», en Belgique comme au Luxembourg, notamment avec Samsa. «Je suis en charge aussi des repérages», précise-t-il encore. Une spécialité qui, selon ses dires, l’occupe beaucoup, mais qui, apparemment, ne le comble pas tout à fait. «Disons que je suis quelqu’un d’hyperactif (il rit).» Il poursuit : «J’ai toujours besoin de créer quelque chose, même quand je suis en pleine écriture d’un scénario. Je ne vais pas dire que c’est un passe-temps parallèle, mais plutôt une bulle d’oxygène.» Car oui, écrire des histoires peut-être épuisant, voire frustrant, «surtout quand les idées ne viennent pas». Alors, pour s’aérer la tête, «passer à autre chose», Olivier Pesch se jette sur ses planches en bois, qu’il renforce ou assouplit, c’est selon, avec de la fibre de carbone ou de verre, quand il ne recherche pas de nouveaux modèles, de nouvelles formes. Et quand son élan artisanal s’étiole, il repasse à l’animation. «Ce sont des allers-retours assez apaisants.» Au point que depuis deux ans, le garçon n’arrête plus. «Ça me prend du temps, et de l’énergie!»

«Je pousse le travail assez loin»

C’est que comme tout artisan qui se respecte, Olivier Pesch bichonne ses créations. «C’est sûr, je me donne à fond, et je pousse le travail assez loin, soutient-il. Du coup, j’entends souvent des remarques, du genre : « Ce serait quand même dommage de rouler avec. » Oui, les gens préfèreraient les voir accrochées aux murs. Peut-être que je devrais les faire moins belles (il rit).» Du coup, le public, s’il reste «fasciné» par ses productions, ne le quitte jamais avec une planche sous les pieds. Qu’importe, il s’en contente. «Être ici, c’est une belle carte de visite», dit-il, même s’il reconnaît, à l’avenir, vouloir s’investir à 100 % dans son art. «Oui, si ça marchait plus, je me concentrerais sûrement là-dessus.» En attendant, le cinéaste s’est lancé dans un projet d’importance : «Je travaille parallèlement sur l’écriture d’un long métrage d’animation que je souhaite réaliser un jour.»
Et s’il avoue, aujourd’hui, ne plus faire des figures dans des parcs et revenir à la maison en morceaux – «j’en ai eu assez de me casser toutes les articulations» – il a déjà un nouveau projet en tête : la création de luminaires, toujours en bois. Une nouvelle activité quasi obligatoire, en raison de l’arrivée depuis 10 mois, dans sa famille, d’un nouveau félin : Helmut. «Lui aussi aura sa marque. Je n’ai pas envie de crise de jalousie!»

«Il faut toujours y croire ! »

(Photo : Tania Feller).

(Photo : Tania Feller).

Autre stand où le public se masse, observe et se marre régulièrement, c’est celui tenu par Michele Bagnod et sa compagne, avec lesquels on s’entretient dans un mélange scabreux d’italien et d’anglais. Et non sans raison : le couple vient du nord de l’Italie – l’homme est né il y a plus de 40 ans du côté d’Ivrée, dans la province de Turin, avant, en 2010, de se poser à Londres pour finalement atterrir au Luxembourg l’année dernière. Si la trajectoire géographique est singulière, celle professionnelle tombe, d’une certaine manière, sous le sens, ce dernier reconnaissant «être créatif» dès son plus jeune âge. Casquette «gavroche» vissée sur la tête et sourire fédérateur, il reconnaît avoir fait ses armes dans la musique, avant d’épouser la cause du graphisme. «Je suis DJ depuis longtemps, spécialisé dans la house. C’est comme ça que je suis arrivé à faire mes propres flyers.» Dans ses escapades entre l’Italie, l’Angleterre et différentes festivals électroniques, Michele Bagnod soigne ses coups de crayon et ses affiches, afin d’être rapidement identifiable. «J’ai cherché à créer mes propres symboles, mon univers, sa géométrie, ses couleurs… Ainsi, les gens, d’un simple coup d’œil, pouvaient savoir que c’était moi qui allais jouer… Enfin, pour peu qu’ils me connaissent déjà (il rit).»
Après de longues errances binaires, à faire bouger les têtes et dénouer les jambes, l’artiste sent qu’il est temps de se reconvertir. «À un moment, il y a environ cinq ans, je me suis senti trop vieux pour la scène. Ce style de vie était devenu trop éreintant pour moi. J’aspirais désormais à quelque chose de plus tranquille.»
Fort d’une formation au prestigieux Central Saint Martins College of Art and Design, il décide alors d’arrêter les sets derrière son ordinateur pour confectionner des affiches aux couleurs et styles qui font mouche. Ici, des chats qui lovent sous le terme «Lazy Day», là, un palmier abstrait qui ramène, esthétiquement, à la pochette du culte Boys Don’t Cry du groupe The Cure. Car oui, avec lui, forcément, la musique n’est jamais bien loin. Avec ses œuvres figuratives, parfois humoristiques – «je m’inspire de ma vie, des choses que je vois dans la rue, dans les magazines…» – Michele Bagnod continue de travailler, d’une autre manière, avec des «producteurs, quelques artistes aussi». Il collabore notamment avec les labels londoniens Viaggio et Spaziale Recordings, produisant plusieurs pochettes d’albums, des éditions spéciales pour vinyles et même des œuvres vidéo.

«Ce que j’aime dans ce genre de rendez-vous…»

Mieux, sa créativité va s’étendre à l’univers de la mode, le designer ayant reporté ses motifs au textile pour la marque italienne «Font». «La nouvelle collection est en cours de production. Tout ça devrait voir le jour en printemps de l’année prochaine», raconte-t-il avec fierté. En attendant de découvrir ce nouvel univers, Michele Bagnod se concentre sur ses affiches, qui ne manquent pas d’interpeller les gens. Comme celle-ci, imposant dans un gros caractère un «Like This Selfish?», et dévoilant un petit poisson surgissant, frétillant, d’une paire de fesses. Forcément, un ou deux badauds lui demandent si c’est un autoportrait… et veulent vérifier! «C’est vraiment ce que je j’aime dans ce genre de rendez-vous : discuter, et rigoler bien sûr.»
Et c’est ce qu’il fait, régulièrement, lâchant un sourire aux curieux ou expliquant, volontiers, comment il travaille et ce qui l’inspire. «Ça fait partie du travail. Et sans le public, on reste seul, dans sa bulle, sans se remettre en question.» Une attitude «à la cool» qui tranche quand on se penche sur son univers créatif, «ultracompétitif» selon ses dires. «C’est sûr, je ne suis pas le seul à faire ça, et c’est pourquoi ce genre de choix professionnel implique de la rigueur et du travail. C’est un fait, ça n’a rien de simple mais si on s’investit, et quand on y croit, tout est possible.» Et s’il reconnaît être «très occupé», il se dit aussi «heureux» et «chanceux» de pouvoir vivre de la sorte, sans contrainte hiérarchique ni stress carriériste. Ses œuvres – dont certaines rappellent les collages de Matisse – en témoignent, avec leurs messages positifs et leur légèreté.

«Quitte à galérer, c’est plus chouette si on ne s’ennuie pas !»

(Photo : Tania Feller).

(Photo : Tania Feller).

Au sous-sol du Mudam, un peu à l’écart, on remarque tout de même l’espace dédié aux «Pieds de biche», dénomination qui réunit les souriantes Diam et Marielle, toutes enthousiastes d’être là après un court (mais toujours compliqué) déplacement de Belgique en voiture. «On a fait les Beaux-Arts. Les musées, ça nous connaît», lâchent-elles dans un même rire. C’est la première qui a lancé le projet, «il y a presque six ans» maintenant, depuis Bruxelles. Son idée de départ : rafistoler du mobilier à partir de meubles dénichés ici et là. Dans la langue de Shakespeare, on appelle ça de l’«upcycling». Précision : «Je récupère des matériaux ou produits – principalement du mobilier – dont on n’a plus l’usage, sur lequel je pose des motifs colorés.»
Faire du neuf avec du vieux, quand il ne crée pas des objets (souvent en béton) de toutes pièces, voilà comment définir l’activité du duo, qui se matérialise au Mudam par des vases et des lampes. Chiner la chaise, chasser le guéridon, réutiliser des objets abandonnés afin de redonner vie à leur design passé… Leur créativité ne connaît pas de frontières. «Notre objectif est simple : mettre en valeur vos intérieurs!», reconnaît ainsi Diam. Pour se faire, sa technique a évolué, les motifs choisis s’intégrant désormais à la matière.
En équilibre entre passé et présent, le duo va peu à l’encontre du public – «On est plutôt en connexion avec les salons professionnels, dans les foires de design…», explique Marielle. Non pas en raison d’une quelconque réserve, et encore moins d’une misanthropie, mais être un artisan, ça n’a rien d’une sinécure. Surtout quand on fait tout à la main! «Pour ce genre de travail, il faut créer un ou plusieurs moules, couler la matière, choisir les couleurs, poncer, vernir… Tout cela met du temps!»
C’est donc au cœur de leur atelier que les deux jeunes femmes passent la plupart de leurs journées. «Cette activité, ça demande effectivement de l’énergie, de la réflexion aussi. Il faut tenter, oser, essayer de nouvelles choses en permanence.» Pour la vente, donc, notre duo se tourne donc vers des fournisseurs – «On en dispose d’une centaine en Europe, dont un au Luxembourg». Comme cela, «on reste concentrées sur la création». Diam garde donc le sourire, et se satisfait pleinement de ses orientations professionnelles. «Quitte à galérer dans un boulot, c’est tout de même plus chouette si on ne s’ennuie pas!»

«C’est important de quitter de temps en temps l’atelier»
Pour le coup, leur retour au Grand-Duché – Diam a déjà participé à cinq éditions du Marché des créateurs – est tout bénéfique, et ce, pour plusieurs raisons. Marielle : «C’est important de quitter de temps en temps l’atelier, prendre la route, voir d’autres endroits, d’autres lieux, rencontrer d’autres créateurs, imaginer, au passage, d’autres collaborations.» En somme, tisser un réseau pour faciliter ce métier qu’il faut porter toute seule. Elle poursuit : «Et comme c’est la première fois que je viens au Luxembourg, il y a de quoi découvrir un tas de choses.» Même son de cloche chez sa collègue, qui se plaît à découvrir les questions d’un public souvent intéressé, intrigué.
«Certaines personnes s’intéressent à la matière utilisée, d’autres au processus de création… Forcément, à leur contact, on ne s’ennuie jamais (elle rit).» Des échanges rares, mais nécessaires selon elle. «Nos idées, parfois, ne fonctionnent pas, ne répondent pas à un besoin. Du coup, il faut se remettre en question, rebondir, proposer autre chose… Bref avancer, et cela ne peut se faire qu’à travers des regards extérieurs, et les rencontres que l’on peut faire.»
D’ailleurs, sur leur stand, il n’est pas inhabituel de retrouver certains clients, qui viennent jeter un œil sur la nouvelle collection. «Souvent, on discute tranquillement de nos récents travaux. On écoute aussi, car ça ouvre des idées pour mettre sur pied d’autres pièces, de façon différente, par la suite.» D’ailleurs, certaines personnes, de passage au Mudam ce week-end, se sont montrées surprises par la tonalité chatoyante des objets exposés. «L’année dernière, on était dans une gamme plus douce, plus sobre, ce qui plaît en général plus facilement au public», précise Diam. Les amateurs de design seraient-ils peu sensibles aux explosions de couleurs? «Si, mais le problème est qu’ils n’osent pas forcément.» «Les Pieds de biche», elles, n’hésitent pas. Un sacerdoce pour égayer nos quotidiens.

Grégory Cimatti

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