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Luxembourg : «Le contact avec les élèves me manque terriblement»


Le confinement est mal vécu par cette enseignante passionnée qui a hâte de retrouver ses élèves. (Photo : Archives LQ)

Elle est institutrice dans une école fondamentale à Pétange et a accepté d’évoquer son quotidien depuis le début du confinement, sa relation à distance avec ses élèves, ses interrogations et ses états d’âme.

Vous êtes institutrice dans une classe d’élèves âgés d’environ 9 ans dans la commune de Pétange. Comment s’est organisé le travail avec vos 15 élèves après l’annonce le 12 mars de la fermeture des écoles pour, dans un premier temps, une durée de deux semaines ?
Anne* : À partir de cette annonce du gouvernement, mes collègues et moi-même avions déjà imaginé un probable prolongement d’une semaine supplémentaire, jusqu’aux vacances de Pâques. Mais personne ne voyait plus loin. Je n’ai pas trop paniqué et j’ai commencé à préparer des devoirs et des corrigés sur support papier, dès le soir du jeudi 12 mars. C’étaient des fiches de travail que j’ai distribuées aux enfants. Il y avait assez de travail pour deux semaines. Tous les enseignants de l’école ont commencé à s’organiser et j’ai contacté tous les parents pour obtenir leurs adresses électroniques, mais un tiers des parents ne m’ont pas indiqué d’adresse e-mail. Cela dit, le télétravail n’a jamais été une option pour moi. Et puis, nous avons eu instructions, dès le dernier jour d’ouverture, de nous assurer que les enfants rapportent tous leurs livres et cahiers à la maison.

Et puis la fermeture des écoles a effectivement été prolongée d’une semaine…
J’ai alors appelé tous les parents pour savoir s’il n’y avait pas de problèmes majeurs de leur côté, tout en redemandant aux parents qui n’avaient pas fourni d’adresse électronique de le faire. Un seul parent d’élève m’a répondu ne pas avoir d’e-mail. Je communique donc avec cette personne via SMS ou WhatsApp. Car j’ai également donné mon numéro de téléphone privé, ainsi que celui de ma cotitulaire de classe, à tous les parents. De plus, j’ai commencé à mettre en place toute l’assistance informatique que le ministère met à notre disposition. Nous avons eu, de la part du ministère de l’Éducation nationale, instruction de la faire. J’ai activé les comptes « IAM » des enfants et ensuite je me suis informée sur la plateforme Microsoft Teams, qui est une plateforme collaborative sécurisée d’Office 365 qui inclut OneNote sur le portail education.lu.

Vous avez alors mis en place un système de télétravail ?
Le matériel informatique, certains élèves y ont accès depuis chez eux, mais d’autres pas. Il s’agit uniquement de matériel privé et c’est là qu’on se rend compte des inégalités sociales entre ménages et donc entre élèves. Moi-même, j’utilise du matériel privé à la maison. Cela dit, MS Teams peut aussi être utilisé par le biais de son téléphone portable.

Revenons aux devoirs sur support en papier. Comment avez-vous procédé concrètement pour que les élèves vous les renvoient et pour en distribuer de nouveaux après les vacances ?
J’ai contacté tous les parents pour leur dire qu’ils pouvaient me renvoyer les devoirs faits par PDF, par photo ou par tout autre moyen. Mais seulement une petite partie d’entre eux me les ont renvoyés. J’ai ensuite invité tous les parents à se rendre à l’école, le premier lundi qui a suivi les vacances, le 20 avril, en leur communiquant par courriel que j’y serais de 9 à 11 h. J’avais déposé deux cartons près de l’entrée de l’école, où les parents pouvaient venir récupérer le nouveau dossier de devoirs et remettre le dossier de devoirs déjà accomplis, pour que je puisse les corriger. J’avais préparé ce nouveau dossier pendant les vacances et il était prévu pour deux semaines, donc jusqu’à ce jeudi 30 avril. Tout le monde est venu le récupérer, sauf trois parents.

J’ai reçu des messages sympathiques
des enfants

Plus généralement, comment se déroule la communication avec vos élèves et avec leurs parents depuis le début du confinement ?
Par courrier électronique essentiellement, mais j’encourage les parents à me joindre par téléphone pour tout problème quelconque. Une fois les deux programmes informatiques mis en place, les enfants avaient eux-mêmes la possibilité de me contacter par message, via ces deux plateformes. J’ai reçu des messages sympathiques des enfants et j’ai aussi pu avoir des chats privés lorsqu’un élève n’avait pas bien compris quelque chose. Cela dit, il n’y a pas de visioconférence entre nous.

Le contact direct et physique avec vos élèves vous manque-t-il ?
Le contact direct avec les élèves me manque terriblement. Pour moi, c’était très difficile au début. Les enseignants ont l’habitude de communiquer avec leurs élèves, de leur montrer, leur expliquer… Depuis le premier jour du confinement, j’ai l’impression d’être muette dans mon « Home Office ». Je me sens un peu perdue, car je ne sais pas comment les élèves procèdent, s’ils se sentent bien, si je n’ai pas prévu trop de charge de travail… Je n’ai pas envie de leur donner des soucis en plus !
Mais en tant qu’institutrice je sais que certains ont des problèmes. Certains parlent une langue étrangère à la maison et personne ne peut les aider dans leurs devoirs. Je me fais des soucis pour ces élèves qui sont en retard scolaire, mais aussi pour ceux qui sont très introvertis… Il y a des élèves dont je n’ai plus entendu la voix depuis le début du confinement, et même si je garde le contact avec leurs parents, ce n’est pas la même chose.
Et puis, il y a aussi certainement des enfants qui connaissent des souffrances à la maison et on ne peut rien faire… Bref, on a perdu tout contrôle ! Or l’enseignement est une interaction entre enseignants et élèves, mais aussi entre les élèves eux-mêmes.

Quel est votre avis concernant la date annoncée comme indicative du 25 mai pour la réouverture des écoles fondamentales ?
Je ne suis pas contre la réouverture à cette date, si toutefois le ministère de la Santé donne son feu vert définitif, mais je ne suis pas virologue. Je crois que cela fera du bien aux élèves et aux enseignants de se retrouver. Cependant, je pense qu’il est inimaginable de penser qu’on peut éliminer tout risque de contamination : les enseignants ne peuvent pas le garantir.

Pourquoi dites-vous que le risque zéro ne peut être assuré ?
Déjà le matin, en arrivant à l’école, quand ils reverront leurs camarades après deux mois d’isolement, je doute qu’alors les mesures de sécurité seront respectées. Ensuite, une fois dans l’enceinte de l’école, comment faire pour respecter une distance de deux mètres dans une cour de récréation? Et si les récréations sont annulées, il faudra ouvrir les fenêtres et il fera très chaud, alors qu’ils devront porter un foulard de protection… De plus, si un enfant fait une chute à terre, parviendrais-je à garder la distance de 2 mètres ? Et quand il devra aller faire pipi, comment cela se passera-t-il, en sachant qu’il devra se laver les mains et espérer ne croiser personne ? Et s’il y a une bagarre ou une embrassade entre enfants ? Les foulards sont censés protéger si on ne peut pas respecter les 2 mètres, mais il faut que les enfants se désinfectent les mains en permanence, qu’ils ne s’amusent pas à chiper le foulard de la voisine parce qu’il est plus coloré…
Personnellement, je crois qu’il faudra vivre avec ce virus au-delà du 15 juillet qui est la date officielle de la fin de l’année scolaire : le virus sera encore là en septembre et il faut donc trouver un mode de vie durable à l’école. Il y a aussi des enfants qui sont traumatisés par ce confinement. Il y a des situations d’anxiété dans des familles qui ont aussi d’autres soucis. Tout cela pèse sur les enfants. Il faut redonner aux enfants un cadre sécurisant et un sentiment de confiance pour sortir de ce sentiment de panique générale. Et cela est difficilement imaginable avec les consignes de sécurité à respecter même en divisant les classes, car les élèves des deux groupes se croiseront forcément dans le cadre périscolaire et parascolaire. Alors pourquoi ne pas envisager un retour de toute la classe en même temps ?

Entretien avec Claude Damiani

* Le prénom a été changé : notre interlocutrice a préféré garder l’anonymat.

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