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Librairie française à Luxembourg : une institution ferme ses portes


La patronne Carole Mersch (tout à dr.), tient à rendre hommage à ses employées dévouées, pas toutes présentes sur la photo : (de g. à dr.) Chloé Thielen, qui a rejoint l’équipe l’année dernière, Christine Lepan, une libraire engagée en 1986, et Fabienne Aurora, responsable de rayon, laquelle a été  engagée en 1978 et qui partira à la retraite en été (manquent sur la photo Catherine Meyzie et Cathy Grabarek). Une belle histoire s’achève… (photo : Didier Sylvestre).

La Librairie française mettra la clef sous la porte à la fin de l’été. Chantiers, manque de passage au Royal-Hamilius, Covid-19, commandes de livres en ligne et augmentation de loyer ont eu raison de cette enseigne emblématique fondée en 1975. Résignée, la propriétaire, Carole Mersch, témoigne.

C’est avec un véritable pincement au cœur que nombre de Français du Luxembourg, mais aussi énormément de Luxembourgeois et ressortissants de toutes nationalités, francophiles ou francophones, de même qu’une multitude d’élèves, lycéens et étudiants, de tout âge, ont appris la nouvelle de la fermeture de la Librairie française.

Ce morceau d’Hexagone situé au centre de la capitale aura en effet été fréquenté par une large clientèle éclectique, littéraire ou tout simplement curieuse et friande de culture française, et cela, durant pas moins de 46 ans d’existence. De nombreuses générations ont en effet connu et apprécié cette enseigne mythique qui avait ouvert ses portes dans le petit passage parallèle à celui où se trouve actuellement la Maison Kaempff-Kohler.

Sa propriétaire, Carole Mersch, se souvient des débuts de cette librairie pas comme les autres : «Mon mari, Yves Gourdin, a ouvert la librairie en 1975. Au début, il ne s’agissait que d’un petit magasin situé du côté du Knuedler dans le passage qui mène de cette même place Guillaume-II à la place d’Armes. Et comme la librairie a immédiatement eu du succès, mon époux a entrepris d’agrandir le commerce en reprenant le magasin situé en face, toujours dans le passage. Il a ensuite repris, de l’autre côté du passage, c’est-à-dire du côté de la place d’Armes, une ancienne chemiserie. Au bout du compte, la librairie française occupait donc tout le passage.» En effet, après extension, la librairie occupait alors trois niveaux : le sous-sol en entier, les deux rez-de chaussée situés à gauche et à droite du passage ainsi que le premier étage dans son intégralité.

Succès
immédiat

Le succès fulgurant de la Librairie française était certainement dû à son concept unique pour l’époque, consistant à ne proposer que des livres en langue française, et ce, en plein cœur de la capitale. «Il y avait évidemment un risque à ne proposer que des livres en français, puisque les autres libraires déjà implantés vendaient des livres en allemand, en luxembourgeois, mais aussi en français et éventuellement en Anglais. Cela dit, la Librairie française a tout de suite bien marché, car il devait y avoir un manque. Et manifestement, avec le recul, il a eu raison de prendre ce risque », relate Carole Mersch.

Une page se tourne à la mythique Librairie française qui fermera prochainement ses portes.

Et outre les ouvrages classiques que proposait la Librairie française, l’enseigne était également notoirement connue pour fournir les livres scolaires de langue française aux élèves de l’École européenne, mais aussi à ceux des lycées luxembourgeois et, plus tard, à ceux du lycée français Vauban. Pendant que son mari s’occupait à plein temps de la librairie, Carole Mersch, de son côté, était professeur à l’Athénée, mais elle passait régulièrement lui donner un coup de main entre deux cours.

Yves Gourdin sera resté pendant 35 ans dans sa librairie située dans le passage entre le Knuedler et la place d’Armes avant que le couple décide, en 2010, de déménager de cette adresse gravée dans le marbre. La raison? « Le local était en très mauvais état et le propriétaire avait décidé d’augmenter le loyer de 30 %», explique la commerçante. Mais son époux décidera, finalement, de prendre sa retraite, alors qu’elle-même avait pris la sienne à l’Athénée. Cela étant, la relève semblait assurée pour un bon moment : «En effet, notre fils aîné, Fabien, venait de terminer ses études de gestion à la Sorbonne et à Genève, et il avait accepté de reprendre la librairie. Nous avons alors emménagé dans la rue Beck, à côté de l’hôtel des Postes. Tout allait bien pendant quatre ans, jusqu’à ce que les travaux pour le Royal-Hamilius débutent en 2014. »

Royal-Hamilius,
le début des ennuis

C’est à cette époque que les soucis commencent pour l’enseigne, comme se remémore Carole Mersch : «Tous les bus ont alors été supprimés sur la place Aldringen, puis la poste a dû déménager au boulevard Royal : la librairie s’est retrouvée en plein chantier. On pensait que les travaux seraient terminés en 2017, mais, malheureusement, le contraire s’est produit. En effet, nous avons totalement été enfermés par des barrières, au milieu des travaux (photo ci-dessous), et il ne restait plus qu’un tout petit passage pour pouvoir pénétrer dans la librairie. De plus, pratiquement tous les magasins et restaurants de la rue Beck ont quitté les lieux. De même que les commerces de la rue Aldringen, à cause de ces travaux qui se sont éternisés.» 

Face à cette situation, le fils aîné de Carole Mersch prend la décision en 2017/2018 de partir également, avant d’ouvrir un tout autre commerce qu’une librairie, avec sa compagne, dans un grand centre commercial situé dans la périphérie de la capitale. «Et cela a très bien fonctionné. Ils vont d’ailleurs ouvrir, d’ici une dizaine de jours, un deuxième commerce dans ce même centre commercial.»

Nous sommes en 2018 et Carole Mersch se retrouve seule à tenir la Librairie française. Avec la livraison du Royal-Hamilius et l’arrivée du tram, elle estime alors qu’il s’agit toujours d’un bon emplacement. Elle prolonge donc son bail qui vient à échéance en 2018. «J’avais gardé une clause dans ce bail de type 3-6-9 ans et j’ai prolongé pour une durée de trois ans.» La commerçante déchante rapidement en constatant qu’elle perd une partie de sa clientèle, «car la ville est devenue de moins en moins attractive. De plus, les travaux ont duré une éternité et ensuite, en 2019, le Royal-Hamilius était pratiquement achevé, mais il n’y avait pas de magasins dedans.»

«La ville se vide
de ses magasins»

Elle regrette ce développement poussif du Royal-Hamilius : «C’est toujours vide. Certes il y a la Fnac, mais elle se trouve au sous-sol. Tout comme le magasin Decathlon qui vient d’ouvrir et le Proxy, mais il n’y a pas de commerces en surface. Il était aussi prévu que le Royal-Hamilius accueille des restaurants, mais il n’y en a aucun. Le restaurant qui devait s’installer au huitième et dernier étage n’a jamais ouvert. Ni celui qui était prévu au-dessus du Proxy. Il devait également y avoir une belle place publique arborée avec panorama sur toute la ville, mais il n’y a rien de tout cela. Aujourd’hui, il y a partout des cellules à louer et pas de bureaux.»

Alors que la Librairie française s’était spécialisée dans les livres de cours du soir pour adultes, un nouvel événement totalement inattendu vient la faire souffrir encore un peu plus : la pandémie de Covid-19 s’invite. «Les gens sont restés à la maison et ont été encouragés à faire du télétravail. Et cela est encore le cas aujourd’hui. Les gens ne reviennent donc pas en ville et ne se déplacent pas non plus pour suivre des cours du soir. Le Covid nous a donc aussi fait perdre une bonne partie de notre clientèle, parce que beaucoup de gens restent chez eux. De plus, certains ministères ont quitté la ville et il y a de moins en moins de gens qui travaillent en ville. Sans parler des chantiers à venir ou en cours : celui de la poste ou encore ceux du Knuedler et des parkings Saint-Esprit et Rousegäertchen… Comment voulez-vous que les gens viennent en ville? Et je n’oublie pas les travaux dans la rue Louvigny, où un magasin va aussi fermer, soit un de plus dans cette même rue…»

«Amazon,
un gros problème»

Et il n’y a pas que les chantiers qui indisposent la commerçante. Le Covid a entraîné, avec lui «un deuxième gros problème, à savoir Amazon et l’achat de livres en ligne. Car lorsque l’on dit aux gens de surtout rester à la maison et de ne pas venir en ville à cause du Covid, ils prennent l’habitude de rester chez eux. Certes, Amazon existait déjà avant la pandémie, mais avec celle-ci tout le monde est impacté et des librairies ferment partout. La Fnac de Luxembourg, par exemple, ne réserve, parmi ses produits à la vente, plus qu’une petite partie aux livres. Le reste est constitué de téléviseurs, d’appareils électroménagers, de jeux vidéo, de trottinettes, de vélos… Et tous les libraires sont affectés, pas seulement la Librairie française! Car tout le monde achète sur Amazon.»

Les perspectives que dresse la propriétaire de la Librairie française ne sont pas des plus réjouissantes : «Peut-être que la situation des libraires deviendra, un jour, similaire à celle des disquaires, qui ont disparu. À Paris, il y avait des librairies historiques comme La Hune ou Gibert Jeune qui en ont fait les frais. Tous les magasins souffrent d’Amazon, mais les libraires plus que d’autres. Ici à Luxembourg, des gens me disent qu’ils viennent essayer des produits dans les magasins pour ensuite les commander sur Amazon. Même des magasins de vêtements sont touchés. Je n’allais donc pas prolonger mon bail pour six ans supplémentaires, car je n’en peux plus!»

Carole Mersch indique recevoir beaucoup de messages de soutien, mais aussi des messages d’insultes sous le couvert de l’anonymat. Et la future ex-commerçante de conclure, pragmatique : «La plupart du temps, les gens me disent que notre fermeture les rend tristes. Cela fait chaud au cœur, mais cela ne résout aucun problème. » La suite ? Carole Mersch est en train de reprendre les éditions François Mersch, fondées par son père, qui a entre autres publié les livres de photos de Luxembourg-Ville et du Grand-Duché du Luxembourg à la Belle Époque. « Je suis en train de ranger les archives des éditions et m’en retrouve très occupée ! » La Librairie française appartient donc déjà presque au passé pour celle qui explique n’être finalement pas tant affectée par cette triste fermeture. Bonne continuation à cette grande Dame, ainsi qu’à ses employées !

Claude Damiani

Lire aussi : Luxembourg, «Les pop-up stores n’intéressent personne»

    

4 plusieurs commentaires

  1. Sandra Thommes

    Cette fermeture montre le changement en ville et le déclin d’existence des grands magasins connus en ville depuis belle lurette.
    La plupart des gens du pays est clairement polyglotte.
    La fermeture d’une librairie désole que ceux qui y sont allés, moi inclus (un polyglotte). Les germanophones n’y allaient jamais de toute façon, tout comme les francophones qui préfèrent commander par internet ou ne lisent pas de livre du tout. Finalement, qui s’en réjouit et qui n’en à rien à cirer?

  2. Birger Krouel

    Triste nouvelle, mais déjà quand ils ont fermé à la Place d’Armes je pensais à une fermeture définitive – je n’avais pas du tout connaissance de cette dernière phase « chant de cygne ». Bonne chance à Madame Mersch pour son nouveau projet – il faut dire que c’est une battante !

  3. Daniel Duarte Jorge

    je me rappelle dans le temps ou ils vendait des Jeux vidéos j’y allais souvent, ils ont Arrêté j’ai arreté d’y aller, que livre électronique j’utilise,
    Donc pour moi moins intéressant. En pls fnac es devant eux mieux attractive

  4. Cela réjouira davantage les germanophones de ce pays, à savoir tous les luxembourgeois. Triste

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