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Heisdorf : les écuries du château détruites


De la rue, difficile d'apercevoir les portes cochères qui participent à la valeur de ces écuries. Elles devraient toutefois être préservées. (photo Anne Lommel)

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le château de Heisdorf et ses dépendances ne sont pas classés. Le propriétaire privé peut donc détruire les écuries en toute légalité, malgré l’importance de ce bâti.

C’est un noble témoin du passé, au prestige unique, qui tombe à nouveau sous les coups d’un tractopelle. De la rue, «l’immeuble ne paye pas de mine», reconnaît Georges Calteux, ancien directeur du Service des sites et monuments nationaux, aujourd’hui à la retraite. Cela n’enlève pourtant rien à la valeur de l’écurie du château de Heisdorf. Il faut entrer dans l’enceinte pour découvrir les trois imposantes et raffinées portes cochères. Des œuvres que peu peuvent admirer puisque l’édifice est privé.

Nous n’avons pas pu joindre hier le propriétaire à l’origine de la destruction, l’ASBL Maredoc, créée par des sœurs de la doctrine chrétienne. Les sœurs ont transformé le château en une maison de retraite qui comporte actuellement 140 logements répartis dans trois bâtiments. Un futur bâtiment devrait voir le jour à la place de l’écurie historique.

Si le projet est louable, le ministère de la Culture actuel aurait préféré trouver une solution qui n’intègre pas la destruction du patrimoine. D’ailleurs, plusieurs propositions auraient été soumises à l’instigateur du projet. Toutes auraient été rejetées.

Un classement «court-circuité»

Il y a une quinzaine de jours, c’est un post sur le groupe Facebook «Luxembourg under destruction» qui a mis la puce à l’oreille aux protecteurs du patrimoine. Karin Waringo, membre du groupe et qui habite à quelques pas de Steinsel, va voir de ses propres yeux le massacre. Elle n’en croit pas ses yeux. «Ça m’a fait mal.» Déjà engagée dans une pétition pour sauver le patrimoine, elle tente, aux côtés des autres acteurs de la protection du patrimoine, d’alerter l’opinion publique et les médias pour stopper la destruction, mais les jours passent et le toit et les murs tombent.

Il y a une dizaine de jours, environ une trentaine de personnes, pour beaucoup membres des associations de protection du patrimoine, ont manifesté devant le château, mais rien n’y a fait. Karin Waringo écrit au bourgmestre de Steinsel pour en savoir plus. Dans un mail que nous avons consulté, la commune indique qu’un permis de démolition a été délivré le 19 juin 2020. Elle précise que «l’autorisation s’ajoute au projet de loi d’accord émis par le secrétaire d’État de l’époque au ministère de la Culture, Guy Arend, en 2017».

Le 5 mars 2019, le conseil municipal de Steinsel s’était opposé à l’unanimité au classement en monument national de l’annexe du château afin de permettre à l’ASBL Maredoc d’élargir ses structures. Car une demande de classement avait bel et bien été déposée par le Service des sites et monuments nationaux, selon son ancien directeur, qui s’émeut de cette destruction.

Il n’en reste qu’une

«Le classement au patrimoine national a été court-circuité en cours de route. Pour effectuer un classement, il faut engager une procédure dont le délai est d’un an, mais l’ancien secrétaire d’État à la Culture n’a pas donné suite au dossier, malgré des rappels», assure Georges Calteux. Est-ce intentionnel ou volontaire, le retraité ne veut pas se prononcer. Le délai légal de la demande a été dépassé et le ministère de la Culture actuel n’a donc aucun moyen légal d’empêcher la destruction du bâtiment.

Son authenticité et son originalité plaidaient pourtant largement en faveur d’un classement. Le retraité regrette que «le couvent ne semble pas avoir le sens du patrimoine et préfère construire quelque chose de contemporain au lieu de transformer la fonction à l’intérieur, sans toucher à la façade».

Georges Calteux insiste encore sur la valeur de cette construction : «Sur les portes cochères (NDLR : qui, seules, échapperont à la destruction), on peut voir des blasons, des emblèmes, des éléments qui ont été produits au temps de la Renaissance, après plusieurs guerres, dont celle de Trente Ans. C’est important pour nous, un pays pauvre en monuments, de conserver notre passé. Si nous voulons rester un pays, il faut le montrer, il faut des témoins et une mémoire, et cette grange est une partie de notre histoire, de notre identité nationale. Il n’y a que deux écuries classiques rurales de ce genre et de cette époque-là au Luxembourg… Enfin, désormais, il n’y en a plus qu’une, celle du château d’Ansembourg.»

Audrey Libiez

Le patrimoine «est le reflet de notre société»

Pour Georges Calteux, détruire les traces du passé, c’est mettre en péril la «viabilité» du pays.

«Cela fait 16 ans que je suis en retraite, mais je me sens toujours responsable du patrimoine national», explique l’ancien directeur du Service des sites et monuments nationaux, Georges Calteux.

Il divise ce patrimoine en quatre grandes parties. L’héritage féodal, «comme le château de Vianden». Le patrimoine rural, «très important» : «Quand je suis parti, nous avions déjà rénové 13 000 fermes avec les subventions de l’État. Aujourd’hui, ce nombre est passé à 18 000.» Le passé industriel dans le sud du pays. Et enfin, le patrimoine religieux.

Le château et les écuries de Heisdorf s’inscrivent dans le patrimoine rural. «Évidemment, ce n’est pas comparable au château de Vianden, mais ce patrimoine rural est né au XVIIIe siècle au Grand-Duché de Luxembourg. En dehors de deux exceptions, le château de Heisdorf et celui d’Ansembourg avec leurs dépendances agricoles. Selon notre philosophie, le patrimoine n’est pas composé uniquement de monuments élitaires. Le patrimoine dans sa globalité est le reflet de notre société. La plupart des gens qui ont vécu au Luxembourg n’ont jamais été châtelains, mais fermiers. Ils ont laissé un héritage très important et très riche.»

Pour lui, la destruction de ces traces du passé représente donc un danger pour le pays : «Nous sommes si petits que si nous perdons notre patrimoine nous ne sommes plus viables. Le problème du Luxembourg, c’est que les agences immobilières cherchent partout des terrains constructibles et n’en trouvent pas. Elles achètent alors des fermes avec des bâtiments agricoles qu’elles pensent sans valeur et les détruisent pour les remplacer par de nouvelles constructions, alors qu’on pourrait faire des logements à l’intérieur.»

Si les enjeux économiques compliquent la protection du patrimoine, la population semble de plus en plus sensible au sujet, comme en témoignent les réactions en faveur des écuries du château de Heisdorf.

A. L.

 

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