L’annonce, jeudi 23 avril, de l’inculpation du journaliste français Édouard Perrin dans le cadre de l’affaire LuxLeaks a fait couler beaucoup d’encre, au Grand-Duché comme en France. Le parquet de Luxembourg a tenu à apporter des précisions ce lundi, confirmant notamment les soupçons d’une participation active du journaliste dans le second vol de données chez PwC.
Dans sa prise de position, le parquet de Luxembourg rappelle d’abord que «l’article 7 de la loi du 8 juin 2004, sur la liberté d’expression dans les médias garantissant au journaliste entendu dans le cadre d’une procédure judiciaire le droit de ne pas divulguer ses sources, n’est pas remis en cause. (…) La liberté de la presse et le droit à l’information garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, piliers de la démocratie, sont toujours assurés.»
Aucun lien avec l’inculpation d’Antoine Deltour
Le parquet insiste sur le fait que «le but de l’enquête était d’identifier les personnes qui avaient été à l’origine de la soustraction des documents PwC. Les deux suspects ont par la suite déclaré qu’ils étaient les sources du journaliste en question.» Édouard Perrin a donc été inculpé uniquement «à la suite de l’interrogatoire du deuxième ancien collaborateur de PwC». Son inculpation n’a «aucun lien avec celle d’Antoine Deltour», l’ex-auditeur de PwC qui avait copié de lui-même des centaines de rulings avant, deux ans plus tard, d’accepter d’en confier une copie au journaliste rencontré sur un blog.
C’est en effet dans le cadre de l’interrogatoire du second employé de PwC que le rôle du journaliste a pu être cerné. Selon le parquet, «ce rôle ne se serait ainsi pas limité à recueillir des informations offertes par l’inculpé mais, au contraire, aurait consisté à diriger celui-ci dans la recherche des documents qui l’intéressaient».
Un « rôle plus actif »
En clair, si Édouard Perrin était en droit de récupérer des données volées par un tiers (Antoine Deltour), il n’avait en revanche pas le droit de se faire « co-auteur sinon complice » du second vol de données, en « dirigeant » celui-ci activement.
En l’absence de précisions sur les circonstances de ce second vol, la nuance semble mince. Car si le parquet se défend ainsi d’attaquer le travail d’enquête du journaliste, il lui fixe malgré tout une limite : celle de prendre « un rôle plus actif » dans le vol des données. Difficile d’imaginer Edouard Perrin être allé se servir lui-même sur le serveur interne de PwC Luxembourg. Selon toute vraisemblance, le rôle que lui reproche la justice luxembourgeoise serait alors d’avoir indiqué à l’employé la matière qu’il souhaitait récupérer, l’employé se faisant alors le bras du journaliste, son cheval de Troie au sein du cabinet d’audit.
Or les liens entre les journalistes et les lanceurs d’alerte sont par nature étroits, l’un n’existant pas sans l’autre. La voie dans laquelle s’engage le parquet de Luxembourg semble ainsi pour le moins hasardeuse, la jurisprudence européenne protégeant le plus souvent le travail d’enquête des journalistes et le droit à l’information.
Protestations de la communauté journalistique
Loin de calmer les protestations de la communauté journalistique, la prise de position du parquet de Luxembourg les a amplifiées. Ainsi l’agence Premières lignes, pour laquelle travaille Édouard Perrin, s’étonne-t-elle que le parquet prenne « de telles libertés avec le secret de l’instruction ». Sur le fond, l’agence soutient la démarche de son journaliste : « Nous considérons pour notre part, que le secret absolu des sources de nos enquêtes doit demeurer un principe, le socle du travail de tous les journalistes. Avec cette longue investigation financière, diffusée dans Cash Investigation sur France 2 et multi primée, Edouard Perrin n’a fait que son travail légitime de journaliste. De nombreux journalistes des plus grands médias internationaux ont repris et prolongé son enquête qui relève de l’intérêt général pour tous les citoyens européens. »
>> LuxLeaks : inculpation du journaliste français Édouard Perrin (et réactions)