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Fonds d’investissement : la décarbonisation de BlackRock, pas une mince affaire


De l'eau aura coulé dans les turbines hydrauliques avant que cette scène appartienne aux livres d'histoire, si l'on en croit les écueils que devra affronter BlackRock dans sa volonté de décarbonisation (photo : AFP).

La décision du colossal gestionnaire d’actifs BlackRock de s’éloigner en partie du charbon pourrait encourager une finance plus verte, mais soulève de nombreuses questions sur la façon dont l’avenir de la planète est pris en compte par les investisseurs. Le Fonds de compensation luxembourgeois (FDC) était d’ailleurs encore récemment épinglé en la matière.

La semaine dernière, le mastodonte basé à New York a annoncé dans une lettre à ses clients que les investissements durables devaient devenir sa « norme » et qu’il allait se retirer des entreprises tirant plus de 25 % de leurs revenus de la production de charbon thermique. Saluée comme un premier pas par certains gestionnaires de fonds, cette démarche a fait les gros titres, certains suggérant que BlackRock donnait la priorité au climat, voire qu’il abandonnait les énergies fossiles.

Mais pour nombre d’analystes et sources de l’industrie, les plans de BlackRock, qui a en charge la gestion de 7 000 milliards de dollars confiés par des particuliers ou des institutions, sont loin d’être clairs.

Face aux impacts dévastateurs et au coût grandissant du dérèglement climatique, de plus en plus d’entreprises cherchent à réduire les risques de voir leurs actifs dans des projets liés aux énergies fossiles, dépréciés ou bloqués. Parmi ces énergies, le charbon est de loin le plus néfaste à la planète.

L’annonce de BlackRock, «un événement qui fait date»

Selon les experts climat de l’ONU, pour espérer limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, il faudrait réduire l’utilisation du charbon de deux tiers d’ici 2030 et quasiment à zéro en 2050. La décision de BlackRock de se désengager de sociétés dépendantes du charbon « est une mauvaise nouvelle immédiate pour l’industrie du charbon », commente Anders Schelde, responsable des investissements pour le fond de pension danois MP.

« Compte tenu de la position et de l’envergure de BlackRock, souligner que le changement climatique est le défi de notre époque est un événement qui fait date sur le marché des investissements, et c’est bienvenu », indique de son côté Charles Kirwan-Taylor, président exécutif du fond d’investissements Atlas Infrastructure. « Mais c’est seulement un début ».

Pour Thomas O’Neill, co-fondateur de l’organisation InfluenceMap, qui traque les investissements dans les énergies fossiles et renouvelables, la démarche de BlackRock va bien réduire ses participations dans le charbon. Ainsi, selon lui, le volume de charbon détenu par les entreprises présentes dans son portefeuille passerait de 2,3 milliards à un peu plus d’un milliard de tonnes.

Le fonds souverain norvégien, un exemple qui incite à la prudence

Mais il met en garde contre certains écueils, prenant en exemple le fonds souverain norvégien. En 2015, ce fonds avait lui aussi annoncé se retirer des entreprises générant plus de 25% de leurs revenus du charbon. À court terme, la part du charbon avait diminué, avant d’augmenter de 12 %, en raison de l’augmentation des investissements dans des entreprises en dessous du plafond de 25%, notamment un doublement de sa participation au capital du géant de l’industrie minière Glencore… « Au fond, il y a eu peu d’effet sur le capital disponible pour le charbon », assure O’Neill.

Interrogé sur Glencore, une porte-parole de BlackRock a renvoyé à la lettre de la semaine dernière : « nous surveillerons également d’autres entreprises dépendant fortement du charbon thermique ». Selon l’ONU, pour que l’espoir de limiter le réchauffement à +1,5°C ne s’envole pas, il faudrait réduire les émissions de CO2 de 7,6 % par an, dès 2020 et chaque année jusqu’à 2030, ce qui nécessiterait une transformation inédite de l’économie mondiale.

Une exposition aux hydrocarbures inévitable?

Mais à l’inverse, les émissions continuent à croître et les géants de l’énergie prévoient d’investir des dizaines de milliards de dollars dans des activités pétrolières et gazières dans les dix prochaines années. Et s’il est relativement facile de débarrasser les portefeuilles d’actifs du charbon, de nombreux fonds sont très engagés dans le pétrole et le gaz.

Dans sa lettre à ses clients, BlackRock est clair : « l’exposition à l’économie mondiale sera encore synonyme, pendant un certain temps, d’exposition aux hydrocarbures ». Pour le responsable d’un gestionnaire de fonds qui préfère garder l’anonymat, par ces propos, « BlackRock se dédouane lui-même de façon importante, en terme d’action et de calendrier ».

Toutefois, pour Tim Buckley, autre expert de l’IEEFA (Institut d’analyse économique et financière de l’énergie), le changement de stratégie du géant de la gestion d’actifs pourrait être un jalon dans la façon dont le monde de la finance fait face aux risques climatiques. « Quand une institution financière accepte son devoir fiduciaire d’agir face au risque financier lié au climat, l’annonce initiale est souvent seulement la première étape », estime-t-il.

LQ/AFP

Le Fonds de compensation luxembourgeois face aux mêmes difficultés

L’annonce de BlackRock et l’exemple des difficultés du fonds souverain norvégien de se désengager du charbon mettent en perspective la polémique dont avait fait l’objet au Luxembourg le Fonds de compensation commun au régime général de pension en septembre dernier.

Greenpeace avait tiré à boulets rouges sur la gestion de ce fonds, l’accusant d’avoir investi en 2018 dans 27 des 50 plus grandes multinationales dites «carbon majors» (Exxon, BP, Shell, Total…). Selon l’ONG, au moins 545 millions d’euros étaient investis par le fonds dans des entreprises directement liées à l’exploitation des énergies fossiles.

En réponse, le ministre de la Sécurité sociale, Romain Schneider, avait fait valoir la modification en 2017 de la stratégie d’investissement du fonds pour, entre autres, «tenir compte des engagements du Luxembourg au niveau de l’accord de Paris. L’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement avait développé, elle, les «raisons techniques et stratégiques» expliquant et justifiant la «présence  d’investissements préjudiciables pour le climat».

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