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[Théâtre] « Petit Frère », une pièce sur Aznavour, témoin du XXe siècle


Laure Roldan et Grégoire Tachnakian interprètent Aïda et Charles Aznavour. (Photos ©Boshua)

Le théâtre des Capucins accueillait, mercredi, Petit Frère, la grande histoire Aznavour, la première de cette adaptation scénique du roman autobiographique d’Aïda Aznavour-Garvarentz, la sœur de Charles Aznavour, signée Laure Roldan, Gaëtan Vassart et Armen Verdian. Une pièce émouvante à la fois personnelle et historique.

Charles Aznavour, décédé en octobre de l’année dernière, était un des derniers géants de la chanson française. Un monstre sacré auteur de quelque 1 200 chansons. Parmi elles : Je m’voyais déjà, La Bohème, Les Comédiens, Non je n’ai rien oublié, Emmenez-moi… Du coup, à l’international, il était le chanteur français le plus connu, le plus écouté, le plus admiré.

Sacré pied de nez au destin pour ce fils d’apatrides, arrivés en France par hasard, alors qu’ils prenaient le chemin du Nouveau Monde. Pour cet artiste petit, au physique ingrat, à la voix fluette qui a dû arrêter l’école à l’âge de 9 ans, faute d’argent, pour se lancer, déjà, dans le monde de la scène, du cirque, du music-hall… histoire de gagner quelques pièces.

Une vie difficile, dure, pénible… qui fera de lui «un artiste en colère depuis trois générations», dira le chanteur. Une phrase que reprendra sa sœur de seulement seize mois son aînée, Aïda, dans son roman autobiographique, Petit Frère, publié en 1986 et qui a servi de point de départ à Laure Roldan, Gaëtan Vassart et Armen Verdian pour leur pièce ; un projet, rappellent les artistes, entamé avant le décès de Charles Aznavour l’an dernier.

La vie avant le succès

Aïda et Charles, sorte de binôme quasi gémellaire, ont connu des parcours presque identiques jusqu’au succès, tardif, de Charles, une fois atteinte la quarantaine. C’est toute cette vie – ces vies – avant que le nom Aznavour se retrouve «en haut de l’affiche, en dix fois plus gros que n’importe qui» que raconte la pièce. Une vie en grande partie oubliée par le public.

Et pour la raconter, il faut remonter bien avant 1924, année de naissance de Charles, ou même 1923, année de naissance d’Aïda. Pour comprendre la saga Aznavourian, véritable nom de l’artiste, il faut remonter au XIXe siècle. Voyager aussi : en Russie, à la cour du tsar Nicolas II, à la rencontre d’Alexandra Feodorovna et de son confident Raspoutine, où travailla son grand-père ; puis en Géorgie où naîtra son père Micha ; dans l’Empire ottoman, où naîtra sa mère Knar ; à Constantinople, où le couple se rencontrera. Deux familles arméniennes épargnées par la Première Guerre mondiale, mais décimées en 1915 lors du génocide arménien.

De quoi marquer durablement une famille à partir de là, en exil et apatride. Et encore, les malheurs sont loin d’être finis pour les Aznavourian. Micha participera à la Seconde Guerre mondiale, dans l’armée française. La famille connaîtra la débâcle de 1940, l’Occupation, la résistance, la faim… Ainsi que le groupe résistant de Missak Manouchian.

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Incroyable histoire qui fait finalement de Charles Aznavour, un témoin privilégié de l’histoire du XXe siècle. Mais c’est sa sœur Aïda, qui va devenir «la mémoire de la famille». C’est donc elle qui narre l’histoire de son «Apaïguess» (petit frère en arménien). Ses racines, ses jeunes années, mais après aussi ses échecs artistiques, ses réussites, son travail acharné, sa relation passionnée avec Édith Piaf, qui changera sa vie en le prenant sous son aile pendant des années, avant que Charles devienne un incontournable du music-hall et de la chanson française.

Des réflexions pertinentes

Une vie incroyable résumée avec brio en 1 h 20 de pièce. Sur scène, Laure Roldan est Aïda. Grégoire Tachnakian interprète Charles. Il est sombre, elle est solaire. Mais les deux comédiens deviendront à différents moments également d’autres personnages ayant un lien avec le récit, voire eux-mêmes lors d’une courte scène.

Au-delà de l’hommage réussi à l’homme et à l’artiste, de la narration émouvante d’une vie, ce Petit Frère, malgré une scénographie assez réduite, propose également une réflexion pertinente sur l’amour fraternel, sur la création artistique, sur la vie de bohème, sur la migration, sur l’intégration, sur le génocide aussi. Des sujets qui, pour les derniers, résonnent étrangement avec l’actualité et ce qui se passe au Kurdistan.

Alors, oui, lors de cette première, les spectateurs ont dû faire face à quelques hésitations sur scène ; oui, on pourrait débattre de la pertinence de l’une ou l’autre scène, mais dans l’ensemble ce Petit Frère est une grande réussite. Les comédiens sont touchants, la mise en scène sensible. L’ensemble émeut autant qu’il bouscule. Dommage, du coup, que la salle du théâtre des Capucins soit restée en grande partie vide lors de cette représentation unique dans la capitale.

Pablo Chimienti

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