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[Théâtre] «Les Enfants» : l’avenir en jeu


(Photo : ©Bohumil Kostohryz)

Que laisse-t-on aux générations futures, surtout après un incident nucléaire ? En pleine crise climatique et énergétique, Lucy Kirkwood interroge les enjeux de legs et d’héritage, que le TOL relaye dans une mise en scène collective.

Le nucléaire, depuis son développement massif au siècle dernier, n’a pas fini de faire débat, entre les partisans d’une énergie propre, sans risque, et les pragmatiques au sang froid qui s’appuient sur un argument imparable : vu la consommation d’énergie actuelle, comment s’en passer ?

Véronique Fauconnet, «hypocrite» sur la question, n’arrive pas à trancher : «Quand je me balade et que je vois au loin cette fumée blanche, ça me gonfle !», dit-elle, avant de faire chauffer son café… dans le micro-ondes du TOL. Mais la directrice du théâtre de poche a un argument à faire valoir quand le vent souffle jusqu’à Bertrange depuis Bure (Meuse), lieu du projet d’enfouissement des déchets radioactifs : «On le fait sans savoir ce qui va se passer dans le futur». Une question de legs qui la dérange, comme beaucoup. D’où cette nouvelle pièce aux vertus cathartiques et aux thématiques qui font cogiter.

Son auteur, Lucy Kirkwood, s’est fait un nom dans le milieu de l’écriture contemporaine avec Chimerica, adaptée des planches au petit écran. Cette Britannique, 38 ans, vite repérée dans son pays, est en cette rentrée à l’affiche à Paris. Doublement même avec Le Firmament et Les Enfants (au théâtre de l’Atelier, avec notamment Frédéric Pierrot, le psy d’En Thérapie). Un «petit bijou», précise encore Véronique Fauconnet, que l’on retrouve cette semaine à Luxembourg.

Une œuvre à l’humour noir, dans un pur esprit «british», qui allie la culture du trio du boulevard à des questions idéologiques moins légères, le tout «sans donner de leçon». Et ça vise large : enjeux écologiques, conflit de générations, responsabilité sociale, citoyenne, éthique… Un sacré mixe qui rappelle, en creux, que «rien n’est simple» dans les démêlés actuels.

Fukushima et les «vétérans du talent»

Afin d’éviter de se perdre dans l’examen, Lucy Kirkwood s’appuie toutefois sur un fait concret (bien qu’improbable) : un incident nucléaire qui se passerait sur les côtes anglaises, suite à un tsunami, comme à Fukushima il y a plus de dix ans. C’est là, alors que les compteurs Geiger crépitent, que l’on découvre les trois «antihéros» : soit un couple (joué par Catherine Marques et Olivier Foubert) à qui vient rendre visite une amie (Véronique Fauconnet), qui n’avait pas donné de nouvelles depuis quasi quarante ans.

Est-ce l’amour de jeunesse pour l’homme qui la conduit jusqu’ici ? Peut-être, mais cette ancienne ingénieure vient surtout les sortir de leur retraite paisible pour leur demander de l’aider à intervenir au cœur de la centrale accidentée selon un principe clair : régler les problèmes qu’ils ont indirectement occasionnés.

S’impose alors le choix entre la culpabilité et la responsabilité, pour cette génération «dorée» des années 70-80 : fuir ou (ré)agir ? «C’est un peu comme la question « en cas de conflit, qu’est-ce que l’on ferait ? » Résister ou ne rien faire?», prolonge Olivier Foubert. En 2011, au Japon, la discussion n’a pas fait un pli : face au désastre nucléaire, 200 retraités, dont des scientifiques, se sont remontés les manches pour essayer de réparer les dégâts. On les a appelés les «vétérans du talent». «C’est une culture très différente de la nôtre, poursuit le comédien. Il y a un autre rapport à l’humain, à la société, au collectif, ce qui n’est pas le cas dans les sociétés occidentales plus individualistes, autocentrées. Chez eux, la pièce n’aurait pas de sens. Chez nous, oui!».

Progrès, atome et amour libre

Dans le collimateur de la pièce, cette génération qui a cru au progrès, à l’atome et à l’amour libre. Et la suivante, qui n’a connu que peu de troubles. Toujours Olivier Foubert, dans la cinquantaine et conscient de sa chance : «On n’a pas connu de conflit direct. C’est vrai, il y a eu le sida et la crise pétrolière, mais on était dans une société d’abondance, avec un vrai système de santé, des avantages… Toutes ces choses qui se cassent la gueule aujourd’hui».

D’où cette nécessité, selon eux, «d’apprendre à vivre avec moins», même si ce n’est pas encore entendu par tout le monde. Catherine Marques, pharmacienne quand elle n’est pas sous les projecteurs, témoigne : «On a décidé de ne plus donner de sachets aux gens. J’ai même mis, à la caisse, une photo du septième continent (NDLR : formé à partir de millions de tonnes de détritus). Un jour, une personne âgée est venue avec des sacs-poubelles en me disant « si vous en êtes là »… Ça m’a mis en colère ! Chez les plus jeunes, heureusement, il y a quelque chose qui se met en route».

Ainsi, Les Enfants serait une pièce à la fois «générationnelle» et «politique», selon Olivier Foubert. «Le nucléaire n’est pas tout le temps mis en avant. L’idée, c’est aussi qu’il y a un système capitaliste, des gouvernements et des groupes industriels qui font que les choses arrivent, en raison de calculs économiques et de cette impossibilité à se préparer à l’inconnu, à ce qui ne peut s’anticiper». Quant à la crise énergétique qui guette, le TOL et sa directrice y répondent par des «gestes simples» : «On va jouer dans nos vêtements ou d’autres, prêtés. Quatre tee-shirts de chez H&M à 25 euros, c’est cool, mais ce n’est plus possible ! D’une certaine manière, on s’est tous laissé avoir».

Les pièges du conformisme et d’un quotidien «douillet»

«Comment organiser son bonheur personnel sans hypothéquer l’avenir des autres?», voilà ce qui préoccupent ces «vieux» enfants, victimes consentantes du conformisme et d’un quotidien «douillet». «Il faut se tourner vers l’autre», clament-ils d’une même voix, ajoutant, à cette occasion, le geste à la parole avec une première mise en scène collective, permise selon trois principes, détaillés par Olivier Foubert : «On a de l’expérience, on se connait et on n’est que trois! Ç’aurait été plus compliqué avec La Cerisaie ou Richard III!» (rire général).

Une nouvelle expérience, certes «plus longue», «plus fatigante» et «plus contraignante», mais qui s’est passée sans forcer le geste. «À vivre, c’est étrangement simple», lâche Catherine Marques. Chacun avoue même se sentir nourri par les débats et échanges de ces dernières semaines. «De l’entraide» et de la «bienveillance», voilà ce qui amène à ce que les choses s’améliorent. Et beaucoup de persévérance quand, dès la sortie du TOL, on tombe sur l’enseigne Tesla.

La pièce

Suite à une catastrophe nucléaire, le monde tend inéluctablement vers son effondrement. Dans une maison isolée, un couple de scientifiques retraités vit paisiblement. Entre deux salutations au soleil, et loin des radiations, ils espèrent que la situation se stabilise. Un jour, une ancienne collègue brise ce confort et ce déni. S’impose alors le choix éthique entre la culpabilité et la responsabilité, tant individuelle que collective, pour cette génération des années 80 : fuir ou (ré)agir?

TOL – Luxembourg. Première jeudi à 20 h. Jusqu’au 28 octobre.

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