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Serge Tonnar : «Je ne peux pas rester planté à observer et à critiquer»


Avec son nouveau groupe, composé de deux anciens de Legotrip et de deux nouveaux, Serge Tonnar dit avoir «retrouvé (sa) motivation». (Photo : antoine grimée)

Retour aux sources pour Serge Tonnar, qui sort Jo an Amen, influencé par les crises récentes. Un album aux accents blues et rock, émaillé de «protest songs», que nous raconte cet éternel révolté.

Sur la pochette de son nouvel album, Serge Tonnar «guide le peuple» comme dans un tableau de Delacroix… À la différence que sa banderole dit «Jo an Amen». Un haussement d’épaules, une forme de passivité que l’éternel révolté veut combattre, avec une dose d’autodérision et sans fatalisme.

Serge Tonnar invite à réfléchir sur les deux années de crises que l’on vient de vivre, et leurs conséquences sur le futur. «On semble être retourné à ce qu’on appelle « la normale », qui est quand même une vie folle», dénonce cet idéaliste. Ne pas se laisser faire, voilà la solution au problème. Encore faut-il que la société en prenne conscience… Serge Tonnar, lui, continue l’engagement, en musique et dans la vie, seul ou avec le Mouvement écologique, avec qui il vient de lancer un projet commun. Et espère voir se réveiller les consciences.

Demain soir, l’artiste fêtera la sortie de Jo an Amen sur la scène de la Kulturfabrik avec toute une soirée de musique : un concert de «près de deux heures» entre une première partie assurée par la jeune autrice-compositrice-interprète Eva Marija, et un DJ set de Bartleby Delicate. Parce que la révolte se fait aussi en chantant.

On vous a vu très actif depuis le début du covid, mais assez peu en tant que musicien. Jo an Amen, c’est un bilan de ces deux années?

Serge Tonnar : C’est complètement influencé par cette période, pendant laquelle je ne savais pas comment continuer mon boulot de musicien et chanteur. Est-ce que ça en valait encore la peine, d’ailleurs? Alors j’ai fait le Live aus der Stuff, le KUK, des projets pour la scène culturelle, en particulier pour le spectacle vivant, où les engagements des artistes ont été bouleversés. Ces initiatives en ligne m’ont pris beaucoup de temps et d’énergie.

Cet album naît de beaucoup de questionnements sur la réaction de la société face à ce danger du virus – pas comme réalité médicale, mais face à tout ce qu’il a entraîné. Là, il y a beaucoup de choses qui peuvent faire peur, quand on est un ami de la démocratie. Il y a de profondes fissures dans la société qui valent la peine d’être discutées. J’avais espéré, comme beaucoup de gens, que ce monde à l’arrêt allait engendrer des conséquences positives pour nos conditions de vie : moins de stress, une meilleure conscience des choses… En fait, il se passe tout le contraire, partout dans le monde.

On est comme le Titanic, en train de couler. Et moi, je serais l’orchestre qui continue de jouer…

Pour ce disque, vous vous entourez d’un « nouveau groupe composé de vieilles connaissances« 

Mes dix dernières années, je les ai passées avec le groupe Legotrip. Jusqu’en 2019, plus exactement, c’est-à-dire avant la pandémie. Quand j’ai recommencé à faire des concerts, j’ai approché différents musiciens. Dans le groupe actuel, il y a Éric Falchero (claviers) et Romain Christnach (basse), deux anciens de Legotrip, et deux nouveaux, le batteur Dirk Kellen et l’organiste et accordéoniste Ben Claus. Ils donnent une nouvelle sonorité à tout ça. On a beaucoup travaillé ensemble, et c’est grâce à ce groupe que j’ai retrouvé ma motivation. Claus, qui fait partie de Toxkäpp!, était notre ingénieur du son à l’époque de Legotrip; son arrivée dans le groupe s’est faite de façon naturelle. Dirk Kellen, c’est le plus jeune de l’équipe. Il amène un son plus rock, qui est la direction que je voulais prendre.

C’est un retour aux sources que vous cherchiez?

Oui. Ces dernières années, j’ai fait des projets un peu particuliers, où on incluait des chœurs, des marimbas, des cuivres… Cet album est plus direct, concentré sur le groupe. Plus rock, plus blues.

Aller à l’essentiel, c’est l’apanage des « protest songs », qui sont un autre aspect de ce disque…

C’est vrai, mais dans ces chansons, il y a aussi une forme d’autodérision. J’y questionne la révolte elle-même, quand elle se fait à l’intérieur du système. C’est le sens de la pochette, où je porte en étendard la soumission totale. Voilà ce que je me demande : si mes « protest songs » ne servent qu’à divertir les gens et à alimenter ce business musical où tout est « entertainment », ne vaudrait-il pas mieux que je me taise?

La révolte de l’artiste a-t-elle un sens si elle n’est pas accompagnée par l’action concrète?

D’autres artistes voient peut-être ça d’une façon différente, mais pour moi, l’engagement est aussi un besoin. Je ne peux pas rester planté à observer et à critiquer. Il faut que je participe, que j’apporte ma petite contribution… Bien sûr, dans l’engagement, il y a aussi une forme d’égoïsme : on se sent toujours mieux quand on fait quelque chose que quand on ne fait rien.

Quand tout est « entertainment », on peut aussi questionner la légitimité des engagements de chacun…

Beaucoup de révoltes semblent plus motivées par l’égoïsme de ceux qui y prennent part que par un altruisme qui nous ferait aller vers un monde meilleur. Le plus bel espoir nous vient des jeunes, avec les « Fridays for Future » et toutes les autres initiatives en faveur de l’écologie, donc de l’avenir. Pour le reste, on est comme le Titanic, en train de couler. Et moi, je serais l’orchestre qui continue de jouer (il rit)… Tout va bien, pourvu qu’on garde le « triple A »…

Dans Gëff met nach eng Chance, vous soulignez la violence de l’homme envers la nature. La chanson est liée à un projet que vous avez lancé avec le Mouvement écologique; il fallait un combat universel et humaniste pour vous voir associé à un mouvement politique?

Quand j’ai écrit cette chanson, il y a plus d’un an, je voulais la combiner avec une action qui fasse participer les gens. Toute ma vie, je me suis engagé dans les combats qui m’ont été importants, créé des associations, notamment « Mir wëllen iech ons Heemecht weisen », avec laquelle je fais depuis 2015 des activités culturelles entre réfugiés et Luxembourgeois. Je me suis engagé dans des collectifs d’artistes, des fondations pour personnes défavorisées… L’engagement concret est tout aussi important que l’engagement par les textes et la musique. Maintenant plus que jamais. Aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses pour ne pas s’engager. Ceux qui laissent faire participent aux problèmes.

Les crises actuelles – sanitaire, écologique, énergétique – remettent aussi en question l’avenir de l’industrie musicale. À quoi ressembleront les concerts dans quelques années?

Personnellement, je n’aurais pas trop de soucis d’aller parmi les gens avec ma guitare acoustique, je l’ai souvent fait, par exemple avec le Bopebistro Tour (NDLR : une tournée des cafés en 2012), où on n’avait même pas besoin d’électricité. Par ailleurs, mes tournées se font dans un rayon de 50 kilomètres au Luxembourg, c’est un concept assez durable… Mais ce ne serait pas si mal d’imaginer que ces crises débarrasseraient le monde de la musique de toute sa superficialité. On pourrait se concentrer sur l’essentiel, et on verrait ce qu’il reste.

À Londres, les activistes qui ont versé de la soupe sur Les Tournesols de Van Gogh ont posé cette question : « Qu’est-ce qui vaut le plus, l’art ou la vie? » Vous qui militez pour les deux, quelle est votre réponse?

Il n’y a pas à choisir, ces militantes se sont complètement trompées d’ennemi. Un avenir sans art n’est pas vraiment un avenir, même dans un monde plus écologique. Mais il faut que l’art joue aussi un rôle dans ce nouveau monde. Ce qui est majoritaire aujourd’hui, ce sont deux extrêmes. D’un côté, il y a l’ »entertainment », tout pour le public; de l’autre, l’art pour l’art, ou plutôt pour l’artiste, qui est financé par l’État à travers des bourses ou des subsides, et qui se fout de savoir si on s’intéresse à son œuvre ou si on vient voir sa pièce, car il est de toute façon payé. C’est une posture qu’on voit chez nous aussi… Pour moi, l’art doit toucher les gens, les faire réagir. Le reste, ça ne m’intéresse pas du tout.

Jo an Amen, de Serge Tonnar. Album release samedi, à 20 h. Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.

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