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René Frydman : «Ce livre m’a permis de plonger dans mon histoire»


Auteur d’un dictionnaire pour évoquer sa vie, le professeur René Frydman voulait aussi «raconter l’histoire autour de la médecine : l’époque, l’humanisme, l’humanitaire, l’engagement…». (photo : Téèze Wysocki)

Un dictionnaire pour une vie : à 78 ans, grand nom de la médecine et «père» du premier «bébé-éprouvette» français, René Frydman feuillette sa vie. Un bonheur de lecture, passionnant et bourré d’humanité. Rencontre.

Pas question de se livrer au sport de l’époque avec son chariot de révélations intimes. Le professeur René Frydman, 78 ans, a accepté de se raconter à la condition d’évoquer «rencontres, voyages, moments forts, combats professionnels». Résultat : Le Dictionnaire de ma vie. Vingt-six chapitres, comme les 26 lettres de l’alphabet. Bien sûr, en point d’orgue, le chirurgien, gynécologue et obstétricien est avant tout le «père» du premier «bébé-éprouvette» en France, une petite fille née le 24 février 1982 grâce à la fécondation in vitro (FIV) et prénommée Amandine. Professeur émérite, René Frydman a écrit tant et tant de pages de la médecine. Chef de service pendant 30 ans, il a accueilli plus de 350 stagiaires dont la plupart, à leur tour, sont en responsabilité dans des hôpitaux à travers le monde. Mû par le souci de l’autre, il a participé à la création de l’ONG Médecins sans frontières, mené le combat contre l’infertilité masculine, apporté la psychologie dans les services de maternité… Sa vie est un roman, un dictionnaire que l’on peut feuilleter à tout moment. Rencontre avec un grand homme de médecine, mais surtout un homme de bien et d’exception.

Peut-on résumer toute une vie de A à Z ?

René Frydman : Non! Avec ses 26 lettres, l’alphabet est bien trop court. Il faudrait plusieurs alphabets… Il y a aussi le choix de faire un deuxième dictionnaire, ou de faire appel à des écritures antiques qui ont plus de lettres, mais je ne les connais pas bien, à vrai dire! Ce Dictionnaire de ma vie, il a été fait en quatre, cinq mois. Ce sont des histoires, toutes vraies. Le but était de me souvenir d’un certain nombre de moments, et je n’avais pas envie de raconter l’histoire médicale vécue par moi. J’avais plutôt envie de raconter l’histoire autour de la médecine : l’époque, l’humanisme, l’humanitaire, l’engagement… Mais maintenant que c’est fini, que le livre est là, d’autres souvenirs me reviennent…

Ç’a été un choc pour moi !

Comment avez-vous choisi le sujet de chacune des 26 lettres ?

Un peu par association d’idées, d’images, de périodes. Quand je parle de l’Afrique, je n’évoque pas seulement Lambaréné et l’hôpital d’Albert Schweitzer… Ce livre m’a permis de plonger dans mon histoire, des moments et événements ont resurgi. Entre deux lettres, on peut naviguer, trouver son bonheur… Des livres, j’en ai écrit. Un ou deux étaient plus poétiques, d’autres grand public, je pensais justement qu’il était bon que le public ait connaissance de la médecine. Je suis partisan d’une médecine participative avec les patients, avec la nécessité de leur donner les informations pour la grossesse. Et puis, j’ai écrit un livre que j’aime beaucoup, un livre poétique, Lettre à une mère (2003).

Quarante ans plus tard, quelle image gardez-vous de ce 24 février 1982 ?

L’image qui me vient, c’est la découverte de ce nouveau-né au moment où elle passe de la vie cachée à la vie visible. Cette image, aussi, de la maman, du père, des deux sages-femmes, de l’anesthésiste, tout ce monde qui est autour… Comme s’il n’y avait pas de solitude. Et puis, un petit trésor qui arrive, dont on va s’assurer que c’est bien un trésor comme un autre…. Ce n’était pas une découverte, faut-il rappeler que la grossesse dure neuf mois, donc on a eu le temps de s’y faire, et qu’avant celle-là, il y en avait eu qui n’avaient pas tenu… On n’ouvrait pas une porte sur un terrain inconnu. Mais comme pour toute grossesse, vous ne connaissez pas la bouille de l’enfant. C’est toujours une découverte… Il y avait quelque chose de banal et en même temps de nouveau. Il y a eu aussi la conférence de presse, avec une centaine de journalistes… Ç’a été un choc pour moi !

Vous aviez tout de même conscience que c’était là un événement…

D’accord, mais quand vous vous retrouvez face à tant de personnes, les micros, la télé… La première fois, d’autant que vous n’y êtes pas préparé, c’est évidemment un choc!

Combien de temps avez-vous mis à vous remettre de cet événement ?

Jamais ! Les images reviennent de temps en temps. Ce n’est pas obsessionnel, c’est même plutôt sympathique… Tout de suite après la naissance de la petite fille se sont enchaînées d’autres préoccupations. Parce que, jusqu’à cette naissance, les gens doutaient… même chez les médecins!

Quel a été, quel est encore aujourd’hui, votre moteur ?

Le premier qui arrive à un objectif fixé, ça, c’est un moteur ! Et moi, j’ai pris un malin plaisir à être le premier. Parce que je fonctionne à l’envie de faire. C’est, chez moi, une espèce d’obsession… J’ai le goût de l’innovation. Et l’innovation, dans quelque domaine que ce soit, ça crée l’enthousiasme.

J’ai supervisé entre 70 000 et 75 000 accouchements (…) Et tout ce temps, une certitude : on n’est jamais sûr de ne pas s’être trompé…

Dans les années 1960, vous avez milité à l’Union des étudiants communistes, puis fréquenté les cercles trotskistes et maoïstes. Ces années militantes ont-elles influencé votre approche de la médecine ?

Ma préoccupation est toujours la même : partout, il existe des gens qui souffrent. J’éprouve un grand intérêt pour l’autre, particulièrement les plus faibles et démunis. J’ai vu mon premier accouchement à Cuba, et ai réalisé tout ce qui n’était pas mis en place pour le bien-être des femmes. Ensuite, au cours de mes voyages, j’ai vu beaucoup de structures dans le monde. On y apprend beaucoup. Il faut trouver les lignes rouges, et ne pas les franchir…

En trente-six ans de service, savez-vous exactement combien d’accouchements vous avez effectué ?

J’ai supervisé entre 70 000 et 75 000 accouchements… Ajoutez-y environ un millier de FIV par an, de la chirurgie gynécologique, de la médecine anténatale… Et tout ce temps, une certitude : on n’est jamais sûr de ne pas s’être trompé…

Votre combat du moment, c’est la gestation pour autrui (GPA)

C’est une des lignes rouges du moment. La GPA utilise le corps de la femme et le commercialise. Elle aliène la grande majorité des femmes qui ne s’en sort pas sans dégâts parce qu’abandonner un enfant sur commande… J’ai accouché deux « mères porteuses“ : la première a fait une tentative de suicide. On a appelé ses parents en urgence à l’hôpital, qui ont découvert que leur fille avait accouché d’un enfant qui n’était pas d’elle et qu’en plus, elle était entre la vie et la mort. J’essaie que ça ne recommence pas. La GPA, c’est le retour à l’esclavage et ça s’apparente à la prostitution, dans la mesure où il s’agit du corps de la femme dont, théoriquement, elle doit pouvoir disposer. Souvent, dans l’histoire de la GPA, la femme est prise dans une mafia…

On dit de vous que vous êtes un « iconoclaste humaniste ». Ça vous convient ?

Oui, parce que j’adore l’innovation. Elle apporte un humanisme, une autonomie. Mais je n’oublie pas que pour cette innovation, il y a la nécessité de beaucoup chercher et pas d’obligation de trouver.

P comme peintre, J comme jardin

«On ne va pas parler que de médical! Il y a tant d’autres choses», glisse-t-il dans la conversation. Dans Le Dictionnaire de ma vie, René Frydman évoque également les copains, Israël, les ombres, le village de Soumoulou, dans les Pyrénées-Atlantiques, ou encore les ours blancs d’Helsinki, les lamas du Chili et l’immense volière de Melbourne. L’auteur s’arrête aussi sur deux mots qui lui sont chers : «peintre» et «jardin».

«Vivre avec une peintre, c’est partager ses angoisses devant la toile vierge», écrit-il. Sa peintre à lui se prénomme Monique, ils se sont connus dans les années 1960, il faisait médecine, elle était étudiante aux Beaux-Arts à Toulouse. Ils se sont rapprochés en Sardaigne «durant cet été de vacances», se sont mariés et ont eu deux enfants. Monique Frydman expose encore et toujours, ces temps-ci dans une galerie parisienne, tout prochainement au Japon. «La peinture lui est chevillée au cœur, commente René Frydman. Monique devient une artiste de la couleur et de l’abstraction (…) Qu’il s’agisse d’immenses ou de petits tableaux, j’y trouve ce message de sérénité qu’on a tant de mal à partager. Parfois, dans le grand atelier qu’elle a fait construire au milieu de la verdure près de Paris, je m’endors assis dans un fauteuil sous le choc de cette présence picturale.»

Quant au jardin, il confie : «La vie tout entière me passionne (…) Il y a une espèce de renouvellement permanent quoi qu’il en coûte. Le rythme des saisons, c’est inéluctable, c’est une force supérieure. Ça nous rend modeste et curieux.» Parce que, écrit-il, «ma curiosité n’a pas de limites, qu’il s’agisse de l’humain, de l’animal, du végétal». Le médecin se rappelle alors les vers de Paul Verlaine : «Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches / Voici mon cœur qui ne bat que pour vous…» Et d’évoquer un souvenir, celui d’une communion avec la nature, une «incroyable sensation de bien-être», couché sur l’herbe. «Un moment intense et fugace, comme le sont souvent les instants de bonheur.» Et soudain surgit la question : «Comment ai-je pu vivre si longtemps sourd et aveugle aux attraits de la nature?».

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