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[Musique] L’incroyable odyssée de Dave Okumu


(Photo : Label Transgressive Records)

Ces derniers temps, la communauté noire, dans cette nécessité impérieuse de raconter sa douloureuse histoire et les injustices vécues (toujours d’actualité), s’est trouvé à la fois des symboles, de dignes porte-voix et une bande originale des plus inspirées et inspirantes.

Différents albums qui, pour parler d’une seule couleur de peau, empruntent et mélangent toutes les teintes et les envies. Parmi les plus belles réussites, citons celle de l’Australien Genesis Owusu (Smiling with No Teeth, 2021) ou, moins radical dans les propos, le disque de l’Anglais Wu-Lu (Loggerhead, 2022). Et, au-dessus du lot, toutes les productions du mystérieux et ultrafécond collectif londonien Sault.

Dave Okumu se situe au milieu de cette mêlée. Tout y concorde : ses origines d’abord, lui, le déraciné, fils d’un militant pacifiste du Kenya contraint à l’exil, né à Vienne, en Autriche, et finalement installé en Angleterre. Son sens de la discrétion ensuite, lui qui s’est fait un nom, humblement, à la tête de la formation The Invisible (ça ne s’invente pas!), culte pour certains, confidentielle pour les autres, mais aujourd’hui en sommeil. Enfin, un côté touche-à-tout (il est à la fois compositeur, multi-instrumentiste et producteur) qui le conduit à développer tous azimuts son univers musical, folle girouette qui s’agite au gré des rencontres et coopérations qui font tourner la tête : Beck, Adele, Amy Winehouse, Tony Allen, Foals, Yoko Ono…

Du haut de ses bientôt 47 ans, autant dire qu’il a les épaules, les connaissances et les appuis pour parler d’un sujet ambitieux, pour ne pas dire démesuré : soit les horreurs de l’esclavage et tous les traumatismes qui en ont découlé. Pour ce faire, une fois encore, il évite de se mettre trop à nu, et bien qu’il y parle également de son expérience familiale, il convoque ici l’esprit des ancêtres et de leurs successeurs comme soutien. Sept générations de «collaborateurs» comme il dit, qui s’incrustent sur I Came from Love, album habité, envoûtant et imaginatif, où les fantômes du passé se cachent dans chaque recoin, dans chaque chanson.

Véritable premier projet solo de Dave Okumu (après le conceptuel Knopperz il y a deux ans), cet album, traversant plus d’un siècle de colonialisme, de servitude et de souffrances, ne pouvait être que colossal. C’est pourquoi, avant sa sortie, il a été divisé en quatre EP, disséminés entre novembre 2022 et le mois dernier. C’est pourquoi aussi les quinze chansons qui courent sur plus d’une heure sont encadrées, introduites et ponctuées par la même personne : l’icône Grace Jones, image de la femme forte et indépendante des années 1980. Dès ses premiers mots, l’atmosphère est posée : elle cite ainsi un dénommé Elias Ball, propriétaire d’esclaves, conseillant aux futurs maîtres d’acheter «des terres et de jeunes» Noirs.

L’album se détache de toutes ses références, brillant par sa simple singularité

Au fil des morceaux, les références s’enchaînent. Elles sont bien sûr historiques, quand Dave Okumu emprunte un poème d’Aimé Césaire (My Negritude) et des textes du sociologue Stuart Hall, ou souligne, entre autres, l’attaque raciste de New Cross en 1981, incendie qui a fait quinze victimes (Blood Ah Go Run). Mais les clins d’œil sont aussi musicaux, caractérisés par un patchwork de musiques dites noires. Là, jazz, soul, funk, gospel, reggae, trip-hop et afrobeat se mêlent dans un souci d’honnêteté. On y trouve, sans confusion, le spoken word militant de Gil Scott-Heron, les trips magnétiques de Massive Attack, la colère à fleur de peau des Young Fathers, la pop suave de Prince. Et bien d’autres.

Malgré tout, I Came from Love est unique. Il se détache de toutes ces sommités, brillant par sa simple singularité. Mieux : comme le précise son titre, il ne s’agit pas d’un album amer. Non, grâce à un groove implacable et une âme généreuse, il parle de persévérance, de résistance, d’optimisme, de fierté. En somme, du besoin de surmonter l’amertume, la haine et l’isolement par l’amour. Dave Okumu et ses invités (Eska, Kwabs, Wesley…) en sont un bel exemple, car c’est ensemble que l’on est fort, que l’on se fait entendre et que l’on peut construire l’avenir. Après les douleurs, autant alors l’imaginer radieux.

 

Dave Okumu & The 7 Generations – I Came from Love

Sorti le 14 avril

Label Transgressive Records

Genre trip-hop / jazz / soul

 

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